Une lame de fond déferle sur le continent asiatique

Le fil qui relie Hong Kong à Moscou, en passant par Téhéran et Idleb

Chronique de la guerre de Gog et Magog

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Tribune libre

Ces dernières semaines les rubriques « Affaires internationales » des médias nous ont rapporté quatre événements sans rapport apparent.


Hong Kong : la paralysie


D’abord, le mouvement de contestation à Hong Kong contre le gouvernement chinois, qui ne cesse de s’aggraver, mouvement dont « la révolte des parapluies » de 2014 était la répétition générale.


Verra-t-on, vingt après « Tienʼanmen », les chars de l’Armée populaire de Chine écraser dans le sang le soulèvement de l’ancienne colonie britannique ? Il se pourrait que ce gigantesque « élan de liberté » soit bientôt stoppé par Pékin, soucieux de maintenir l’ordre face aux aspirations à l’autonomie voire au séparatisme qui peuvent exister dans son vaste empire (on pense en particulier aux provinces du Tibet et du Xinjiang), quitte à reproduire une nouvelle Vendée, un nouveau Printemps de Prague… Les dernières nouvelles nous apprennent le blocage de l’aéroport, qui a commencé vendredi 9 août.


Iran : l’escalade


Ensuite, la montée des tensions entre les États-Unis de Trump et lʼIran de Rohani, qui semble avoir atteint un point de non-retour suite à l’affaire des pétroliers attaqués dans la mer d’Oman, le 13 juin 2019, à laquelle a succédé l’incident au large des côtes de Gibraltar, où un navire iranien a été arraisonné par la flotte britannique le 4 juillet. Pour des raisons obscures, si ce n’est de déférence vis-à-vis des Saoudiens et d’Israël, Washington ayant rompu l’accord sur le nucléaire conclu par l’administration Obama, a contraint le modéré chef du gouvernement iranien à donner des coups de menton, un exercice qui lui est peu familier, tant il est réputé pour sa rondeur, sa bonhomie et son sens de la diplomatie.


Daech : la menace


Troisièmement, en Syrie et en Irak personne ne parvient à terrasser définitivement Daech, dont les derniers fidèles se terrent dans le réduit dʼIdleb, quand en d’autres endroits de la terre des soldats du « califat » commettent les pires atrocités ou projettent d’en commettre. 65 morts : tel est le bilan d’un assaut perpétré par Boko Haram le 27 juillet au Nigéria. En Tunisie, rapporte L’Express le 17 juillet, Daech appelle à de nouveaux attentats. Et le 3 août The Guardian a cité un avertissement lancé par les Nations Unies quant à de nouvelles attaques djihadistes qui pourraient avoir lieu en Europe avant la fin de l’année. La guerre contre le takfirisme (le terrorisme islamiste sunnite) est loin d’être terminée, son « calife » Abu Bakr al-Baghdadi n’ayant pas été occis. Il se serait réfugié en Libye, qui pourrait être la prochaine base de l’État islamique, s’il ne s’implante pas – autre option possible – dans le Caucase ou en Asie centrale.


Russie : le trouble


Et nous nous rapprochons ainsi de la Russie : car, enfin, l’autre fait notable que la presse occidentale a abondamment relayé, est l’irruption à Moscou de manifestations de l’opposition durement réprimées par le pouvoir « poutinien », avec pléthore d’arrestations à la clé. Si les exactions de la police de Castaner contre les Gilets jaunes sont minimisées par notre « grande presse » nationale, celles exercées par l’État russe contre ses citoyens sont systématiquement amplifiées, afin de ternir l’image de son chef auprès de l’opinion, laquelle est depuis des années conditionnée par l’ingénierie sociale des puissances occidentales à voir en Poutine un impitoyable dictateur aux mains couvertes de sang, ennemi des belles valeurs de l’Ouest : démocratie, droits de l’homme, libertés individuelles, etc. L’héritage de 1789 en somme.


Comment y voir clair dans les nuées ténébreuses de ce chaos mondial ? À quel fil d’Ariane peut-on s’agripper pour ne pas tâtonner, et même éviter de se perdre dans les méandres de ce labyrinthique flot d’informations qui chaque jour se déverse, relatant les multiples tensions et conflits déchirant notre monde ?


C’est de la bouche de l’ancien président américain George W. Bush qu’est sorti le mot magique, susurré au téléphone à l’oreille de son homologue Jacques Chirac, peu avant sa parodie de croisade en Irak : « Les prophéties bibliques sont sur le point de s’accomplir », « Gog et Magog sont à l’œuvre au Proche-Orient. » « Les attentats du 11 septembre, ajoute-t-il, en sont la preuve : une armée islamiste fondamentaliste mondiale menace le monde occidental qui soutient Israël. »


L’OTAN et Daech contre le reste du monde


Dans l’introduction de son remarquable essai Occident et Islam, le chercheur indépendant spécialiste de géostratégie Youssef Hindi, souligne que l’ « agressive politique d’encerclement – endiguement – conduite contre la Chine et la Russie par les États-Unis et ses alliés dans ce bras armé qu’est lʼOrganisation du Traité de l’Atlantique Nord pourrait bien être l’ombre d’une guerre mondiale à venir.[…] Notons que dans les faits la guerre officielle contre le Terrorisme se déroule essentiellement sur le territoire de pays au préalable ciblés par les États-Unis et Israël : Syrie, Irak, Libye, Yémen. Dans les faits, cette lutte anti-terroriste contre […] Daech, al-Qaïda alias al-Nosra, occulte l’appui, les soutiens logistiques et financiers de ces mêmes États coalisés apportent, directement ou indirectement aux fanatiques des organisations d’obédience wahhabite. »


Implicitement, il fait référence à une grille d’interprétation que nous avons développée dans un dossier paru en décembre 2018 consacré à Saint Augustin. Trump a très récemment montré la validité de cette thèse, en révélant urbi et orbi que Daech est un instrument de la politique extérieure américaine. « ʽʽNous souhaitons que l’Europe reprenne 2 500 djihadistes de Daech, qu’ils retournent en Europe : en France, en Allemagne, dans d’autres endroits. Si elle ne les prend pas, nous devrons probablement les relâcher en Europeʼʼ, a-t-il déclaré aux journalistes jeudi 1er août », relatait Sputniknews le 2 août dernier.


Révolution et Jihad : même combat


Ceux qui ont scénarisé le film Le Chant du loup (dont il a été fait une brève chronique ici) semblent souscrire à cette vision des choses : le terrorisme est l’outil d’un projet du diable qui vise à déclencher un conflit généralisé, une troisième guerre mondiale, opposant Ouest et Est, à la fois par la violence islamo-takfirie mais aussi par la violence libérale-démocratique.


C’est pourquoi le 26 décembre 2018 nous soulignions, à propos de ce conflit global « qui oppose des structures réticulaires transnationales désirant la domination planétaire – soit une ploutocratie protestante protégée par sa citadelle insulaire se prenant pour le gendarme du monde, qui soutient une théocratie juive qui entend déployer ses frontières du Nil jusqu’à l’Euphrate, et qui combat après l’avoir suscitée une théocratie musulmane qui projette de reconstituer un califat s’étendant cette fois du Maroc à l’Indonésie – les nationalistes français n’ont pas à prendre parti. En optant pour la neutralité ils échappent au piège tendu par le princeps hujus mundi


Nous n’avons pas à choisir entre Gog et Magog, entre le terrorisme dʼÉtat et lʼÉtat terroriste. Nous n’avons pas à nous engager dans ce que l’on nous présente comme une guerre entre le Bien et le Mal. »


Ce même prince de la terre que Charles Maurras évoque avec un brin d’ironie socratique dans Lʼétang de Berre, commentant Là-bas, le roman publié par Huysmans : « laissons-lui ce diable cornu et laid comme ses saints. Gardons le nôtre tel qu’on nous le légua ; il est beau comme Pan, aux pieds de bouc, aux yeux d’étoiles et fait la guerre à Dieu sous la cuirasse verte de feuilles et de fleurs que lui tisse en chantant le vœu de la vaste nature. Mais ne prions pas que le diable. »


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