Le dragon et le chevalier

1996

Jeudi dernier, Lucien Bouchard rencontrait en privé une douzaine d'anglophones, dont Michael Goldbloom, Peter Blaikie, Royal Orr et Gretta Chambers. Faisant la fine bouche, le président d'Alliance Québec aurait plutôt exigé une rencontre séparée avec le premier ministre... D'autres échanges, privés et publics, seraient en préparation.
Cette main que Lucien Bouchard tend systématiquement aux anglophones s'inscrit dans un discours global sur la «réconciliation» postréférendaire. L'intention est noble. Mais est-il réaliste de parler de réconciliation lorsque 60% de francophones veulent la souveraineté, 95% d'anglophones la rejettent et 60% d'entre eux approuvent l'idée de la partition? Cette polarisation - tout aussi marquée sur la question linguistique - appelle à un indispensable dialogue bien plus qu'à une inatteignable réconciliation.
Derrière le discours de «réconciliation» se cache une hantise profonde face au phénomène partitionniste anglo-montréalais. N'est-ce pas dans l'espoir de calmer ce mouvement que M. Bouchard multiplie les déclarations apaisantes et les rencontres?
Les opportunistes
Pendant ce temps, certains anglophones connus se servent de l'épouvantail partitionniste de la manière la plus outrageusement opportuniste. En échange de leur dissociation publique, ils usent de l'attention médiatique qu'on leur accorde pour exiger des assouplissements à la loi 101, un statut bilingue pour Montréal, un ministère spécial ou une déclaration du premier ministre sur l'«égalité» des citoyens - comme si les anglophones le comprendraient enfin après une millionième déclaration solennelle d'un leader souverainiste!
Heureusement, la plupart des anglophones qui s'opposent à la partition le font par principe. Parmi ceux-là, certains - et non les moindres - ont eu l'honnêteté de dire que seules la suppression de la loi 101 et la disparition du mouvement souverainiste calmeraient enfin la majorité des Anglo-Québécois.
Plutôt que de confondre la partition avec une angoisse - qui en fait est de la colère pure et dure -, ne pourrait-on pas regarder le dragon partitionniste bien en face, en analyser la genèse et en tirer les conclusions appropriées?
Sa genèse est pourtant connue. La très grande majorité des anglophones, partitionnistes ou non, ne veulent tout simplement pas que le Québec devienne souverain tout comme ils refusent que l'on renforce le français dans la région montréalaise. La perception chez ceux-ci, c'est que c'est l'anglais qui est menacé à Montréal, et non le français...
Ces positions sont renforcées par des leaders d'opinion et des avocats qui alimentent copieusement - et depuis longtemps - leur hargne contre la souveraineté et la francisation. Dans un tel contexte, comment se surprendre que le résultat du 30 octobre ait débouché sur le retour de l'idée partitionniste, qui n'est que le rejet ultime d'un Québec moderne qui s'entête dans sa quête de souveraineté et de francité?
Ce qui distingue les anglophones qui rejettent la partition de ceux qui l'appuient, est leur attachement au Québec quel que soit le résultat du prochain référendum. Ces anglophones sont fédéralistes. Mais ils veulent rester ici - dans un Québec non morcelé - quoi qu'il arrive. Ils sont l'équivalent des francophones fédéralistes qui sont attachés au Canada, mais qui refusent de détruire le Québec qu'ils aiment s'il devient souverain.
Des Canadiens vivant au Québec
Quant aux partitionnistes - loin d'être tous des fous -, leur attachement au Québec est soit très faible, soit inexistant. Pour certains, il s'agit de «dissuader» les souverainistes en les menaçant avec l'arme de la partition. Pour d'autres, on espère les «punir» le lendemain d'un OUI en charcutant le Québec. Parmi ces derniers, on retrouve ceux dont on ne parle jamais: les francophobes. Et pourtant, après un OUI, les anglophones qui ressentent un attachement suffisant au Québec resteront. Les autres partiront. Il n'y aura pas de partition qui, de toute façon, ne pourrait se faire que par une guerre civile ou l'imposition par Ottawa de son autorité politique et militaire sur des morceaux du territoire de l'Etat successeur québécois.
Les conséquences: des concessions inutiles
Bref toute tentative d'éliminer l'idée de partition avec de coûteuses concessions - excepté [accepter?] la disparition de la loi 101 et du PQ - est vouée d'avance à l'échec. Ce qui ne veut pas dire que le dialogue avec les anglophones n'est pas nécessaire. En fait il est essentiel. Mais pour que ce dialogue puisse se dérouler en toute lucidité, il devra s'appuyer sur une forte volonté de voir la communauté anglophone dans toute sa complexité et sous toutes ses facettes. Plus que tout celui qui entend «dialoguer» doit se sentir prêt à affronter la face sombre de la communauté anglophone autant qu'il peut en administrer les richesses et le dynamisme.
Comme par le passé, francophones et anglophones sauront bien trouver des aires communes, quoi qu'il arrive. Mais tant qu'il existera ici un parti voué à la souveraineté et à la promotion du français, les positions dominantes chez les francophones et anglophones sur ces questions demeureront inconciliables.
Le danger, dans le contexte actuel, c'est que le gouvernement en vienne à croire qu'il pourra calmer les partitionnistes en échange de compromis qui tourneraient invariablement à la compromission. S'il doit «dialoguer» avec les Anglo-Québécois, il doit le faire en gardant les yeux ouverts. Et surtout, ce dialogue ne saurait avoir préséance sur celui qu'il tient avec les «autres» citoyens. Car le gouvernement est celui de tous les Québécois, quelle que soit leur origine. Voilà la pratique pleine et entière de la démocratie et d'un nationalisme véritablement civique.


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