Le dollar s'est effondré, dans la nuit du dimanche 16 au lundi 17 mars, sur le marché des changes asiatique. L'euro a atteint un nouveau pic historique de 1,5905 dollar, franchissant en quelques heures les barres des 1,57, 1,58, 1,59 dollar. Le billet vert est par ailleurs tombé sous le niveau des 100 yens et d'un franc suisse. Une chute aussi brutale de la monnaie américaine n'avait jamais été observée. Dans le sillage du dollar, les Bourses asiatiques ont, elles aussi, plongé. La Bourse de Tokyo a fini en baisse de 3,71 % lundi, s'inscrivant à son plus bas niveau depuis août 2005.
Le décrochage du billet vert a été provoqué par les nouveaux signes d'aggravation de la crise bancaire aux Etats-Unis. Les opérateurs ont surtout le sentiment que les autorités économiques et monétaires américaines ont totalement perdu le contrôle de la situation.
Dans la nuit, et sans même attendre sa réunion de mardi, la Réserve fédérale américaine avait abaissé en urgence son taux d'escompte, l'un de ses principaux taux directeurs, de 3,25 % à 3 %. Elle avait aussi annoncé la création d'une nouvelle facilité de crédit pour aider les grandes institutions à prêter aux autres acteurs financiers. Dans un communiqué, la Fed avait expliqué vouloir "injecter davantage de liquidités dans les marchés et aider à leur bon fonctionnement".
Cette nouvelle intervention en catastrophe de la Banque centrale américaine, loin de rassurer les marchés, a renforcé leurs inquiétudes. Les économistes ne craignent plus seulement l'entrée en récession de la première économie mondiale, ils se demandent si ce n'est pas l'ensemble du système financier américain qui est en train de s'écrouler, avec des risques de faillites bancaires en cascade, comme les Etats-Unis en avaient connu durant la Grande Dépression. Dimanche, Wall Street avait reçu un autre choc avec l'annonce du rachat de la banque d'affaires Bear Stearns (BSC) par JP Morgan pour un prix de 238 millions de dollars, un montant dérisoire lorsqu'on sait que le seul siège de BSC est évalué à plus de 1 milliard.
Les conseils d'administration des deux banques ont approuvé la transaction par échange d'actions, qui valorise chaque titre à seulement 2 dollars, alors que l'action Bear Stearns avait fini, vendredi, à 30 dollars. En 2007, la valeur du titre BSC avait atteint 170 dollars !
Ce prix bradé pour Bear Stearns a jeté un doute sur la valorisation boursière de tout le secteur bancaire. "Le fait que le conseil d'administration de Bear Stearns laisse ses actifs partir ainsi au rabais pose des questions sur la valeur des actifs de nombreux bilans comptables", a souligné Timothy Ghriskey, de la société Solaris Asset Management à New York.
"Le principal souci, compte tenu du rabais dont bénéficie JP Morgan pour acquérir Bear Stearns, c'est : "quelles autres institutions financières ont de la valeur dans l'environnement actuel ?"", ajoute-t-il.
Beaucoup craignent l'"effet domino". Citigroup, très investie dans les titres adossés aux crédits hypothécaires, est la plus menacée. Et quid de Lehman Brothers, qui doit publier ses comptes mardi ? En urgence, elle avait emprunté, vendredi, 2 milliards de dollars auprès d'un consortium international... et plongé de 15 % dans la journée.
"Le gouvernement fera ce qu'il faudra pour maintenir la stabilité de notre système financier", a assuré, dimanche, le secrétaire au Trésor, Henry Paulson.
Le débat est désormais engagé aux Etats-Unis. Schématiquement, deux camps se dégagent : ceux pour qui l'essentiel est d'abord d'éviter un effondrement de ce "système", aux conséquences incommensurables ; et ceux pour qui cette logique comporte autant de risques que de bénéfices.
La focalisation sur les seuls marchés financiers (baisses de taux et injections de liquidités de la Fed au profit des grands investisseurs) n'a, jusqu'ici, empêché ni la chute du dollar ni la récession. Pour ceux-là, une politique économique publique est devenue urgente.
"ETAT-RENFLOUEUR"
Pourquoi fallait-il impérativement "sauver" Bear Stearns ?, demande Le New York Times. Sa chroniqueuse Gretchen Morgenson rappelle que, dans les années 1990, on avait "laissé mourir" Lambert Drexel Burnham, emportée par ses engagements massifs sur les "obligations pourries".
Bear Stearns, ajoute-t-elle, s'est aussi fort mal comportée. Il fallait "faire de BSC un exemple", clame William Fleckenstein, président d'un fonds qui porte son nom. Car tant que la Fed actionnera la planche à billets - nous sommes devenus un "Etat-renfloueur" des spéculateurs, regrette-t-il -, les banques se sentent en situation d'impunité et recommenceront demain. "Hélas ! c'est le contribuable" qui en fait les frais, ajoute Mme Morgenson.
Les opérateurs des marchés attendaient, lundi matin, la réaction des autorités économiques internationales face à la brusque détérioration, durant la nuit, de la situation monétaire et financière. George Bush a convoqué à la Maison Blanche le patron de la Fed, le secrétaire au Trésor et les présidents des différentes autorités de marché. Les économistes n'excluaient pas une réunion d'urgence des ministres des finances du G7.
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Sylvain Cypel (à New York) et Pierre-Antoine Delhommais
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