Mort de Kadhafi

Le chien fou

Géopolitique — Afrique du Nord



Le colonel Mouammar Kadhafi est mort comme il a régenté la Libye: violemment. Quarante-deux ans durant, il aura été simultanément brutal, erratique, excentrique, bouffon colérique ayant eu une inclination prononcée et constante pour la destruction. À telle enseigne qu'il laisse la Libye aux prises avec des défis autrement plus complexes, et donc redoutables, qu'en Tunisie et en Égypte.
Au classement de la dictature, Kadhafi s'est toujours distingué de ses homologues par sa propension à accompagner la répression de ses concitoyens par la réalisation de coups sanglants à l'étranger, le proche comme le lointain. Lorsqu'il ne faisait pas exploser un Boeing au-dessus de l'Écosse, il envahissait le Tchad. Lorsqu'il n'invitait pas les brutes sanguinaires comme Charles Taylor à venir s'entraîner en sol libyen, il fournissait en armes et en argent les Brigades rouges italiennes ou les militants de l'IRA. À la différence d'un Ben Ali ou d'un Hosni Moubarak, il s'alimentait jour après jour aux sources de la mégalomanie la plus absolue qui soit. À preuve, le plus récent titre dont il s'était affublé: le roi des rois d'Afrique.
Question titre, celui auquel il fut le plus attaché tout au long de son règne est leader de la révolution. Libyenne? Non, mondiale. Parce qu'il avait écrit un livre vert qu'il présentait comme la troisième théorie entre le capitalisme et le socialisme, il estimait qu'il lui revenait le droit de commander la Libye, le Moyen-Orient, l'Afrique... D'où ces tentatives à répétition d'imposer le panarabisme et le panafricanisme aux dirigeants voisins en concevant un nombre imposant d'opérations tordues. À preuve (bis), il a été acteur d'une douzaine de coups d'État sur le continent africain. Il était mégalo et tout naturellement mythomane.
De toutes les nations africaines et arabes, la libyenne est bien évidemment celle à qui les tourments les plus virulents ont été infligés. Davantage que Moubarak ou Ben Ali, il a aiguisé jusqu'à l'obsession les différences ethniques qui, dans ce pays, sont plus nombreuses qu'ailleurs. Il y a les tribus berbères et les bédouines qui se subdivisent en clans concurrents. Des tribus et des clans qui, du moins pour certains d'entre eux, ont mis la main sur des arsenaux du colonel. Des tribus, surtout chez les Berbères, on insiste, qui veulent en découdre avec celles rattachées au Bédouin Kadhafi.
En plus d'avoir divisé, il s'est attaché à conjuguer la gestion du pays avec anarchie, avec chaos. Contrairement, encore là, à la Tunisie et à l'Égypte, il n'y a pas l'ombre d'une société civile. Pas de syndicat, pas d'administration publique, pas de corps pouvant assurer la sécurité des Libyens. Comme s'il avait décliné sur tous les tons et jour après jour l'adage suivant: après moi, le déluge.
Les conditions qui prévalent aujourd'hui se confondent tellement avec la fragilité qu'elles commandent une suite quelque peu contraire à celle souhaitée par les dirigeants du Conseil national de transition (CNT). Ces derniers ont annoncé qu'une Constitution serait rédigée d'ici neuf mois maximum et que des élections seraient tenues dix mois plus tard. Selon une analyse de l'ONU, le scénario du CNT, s'il devient réalité, va se conclure par un échec pouvant déboucher une autre guerre civile. En fait, l'héritage de Kadhafi étant à l'image du pays en lambeaux, il faut espérer que le CNT aura la sagesse d'observer les devoirs qu'impose le temps long de l'histoire.


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