Le charivari comme arme politique

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Le recours au charivari par le mouvement étudiant dans les rues de Montréal témoigne d'un encrage historique remarquable dans la tradition politique québécoise et rappelle la stratégie mise de l'avant par le mouvement patriote à la veille des rébellions de 1837 et 1838.
En France comme dans la vallée du Saint-Laurent, un charivari se produit traditionnellement lors du mariage d'un couple mal assorti. Selon l'historien Allan Greer, «le ton carnavalesque et railleur des rassemblements, leur cadre nocturne, le vacarme, les masques et les costumes des participants, les longues processions dans les rues et leur caractère résolument public, tout cela rappelle des pratiques françaises qui remontent au Moyen Âge».
Les premières mentions des charivaris remontent au XIVe siècle. À l'origine, «le charivari est un bruit confus, tumultueux et désagréable, d'une assemblée de gens qui crient d'une manière bouffonne, et font du tumulte avec des poêles, chaudrons, des cors et des tambours, pour faire quelque sorte de confusion à ceux qui se marient en secondes noces». L'ambiance, à la fois festive mais aussi hostile, oblige alors les nouveaux mariés à faire appel à un médiateur afin de négocier une amende afin de rétablir un climat plus paisible.
À compter de l'été de 1837, le charivari est récupéré à des fins politiques par les patriotes en vue d'intimider leurs adversaires politiques tout en accolant une certaine légitimité à leur geste. Cela se limite dans la plupart des cas à briser quelques carreaux, à endommager les abords d'une propriété ou à proférer des menaces. Les cas de violence physique sont peu nombreux. Les juges de paix et les officiers de milices demeurés fidèles à la Couronne sont plus particulièrement visés par les charivaristes et finissent en général par remettre leur commission ou par quitter la région.
Ces charivaris n'ont alors rien de spontané et démontrent un certain degré de détermination nourri par des rancunes bien ancrées qui finissent par concerner toutes les classes sociales. Ainsi, lors du charivari contre Louis Bessette, le 2 novembre à Saint-Athanase (Iberville), sur 28 participants identifiés par les affidavits, 16 ont pu être retrouvés sur les listes nominatives à titre de «patriarches», des chefs de famille bien établis dans la paroisse. Pour Yvan Lamonde, «dix ans de tensions coloniales, dix ans de tergiversations métropolitaines, dix ans d'attentes finalement déçues, la pression militaire britannique, la radicalité de certains éléments du Parti patriote ajoutée à d'autres causes permettent de comprendre que la situation ait évolué vers un goulot d'étranglement dont la responsabilité est difficilement imputable à une personne ou à un seul des protagonistes».
L'utilisation du charivari politique fut en fin de compte réussie à la veille des troubles de 1837: «[et] seule une poignée d'officiers de milice et de juges de paix détiennent encore une commission de la reine dans les comtés ruraux du district de Montréal, et ces individus sont isolés et assiégés».
Après les rébellions, la coutume du charivari renoue avec son rôle de tribunal populaire visant à condamner les moeurs contraires à la morale. Encore de nos jours, les journaux rapportent parfois le récit d'épisodes de colère populaire envers des individus ne se conformant pas à un code moral en vigueur. Le mouvement étudiant actuel semble, lui, davantage renouer avec la grande tradition des charivaris politiques héritée des patriotes.
Après six semaines de grève, il me tarde bien sûr de renouer avec mes étudiants. Mais en attendant que je puisse à nouveau leur enseigner l'histoire du Québec, ceux-ci semblent bien décidés à écrire eux-mêmes l'histoire ou, dans le cas de la tradition du charivari, à la réécrire...
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Gilles Laporte - Professeur d'histoire au cégep du Vieux-Montréal

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