Le champ de ruines

Crise mondiale — crise financière


Les Américains se remettront tant bien que mal de l'actuelle crise financière, quel que soit le remède que l'on finira bien par trouver entre Wall Street et le Capitole au cours des prochains jours. Ils le feront parce qu'ils composent encore une nation qui ne se compte jamais pour battue, qui est toujours inventive, déterminée et puissante.
Mais il en restera quelque chose.
Et ce sera quelque chose d'extrêmement grave pour l'«empire malgré lui», comme on a souvent désigné les États-Unis. Un empire dont, depuis huit ans, on voit s'effriter la réputation, l'influence, le pouvoir réel dans le monde. Et, surtout, disparaître le degré de confiance dont son administration et ses institutions ont toujours joui, malgré tout ce qu'on en a dit, même aux heures les plus noires du XXe siècle: celles des guerres les plus sanguinaires ou des pires difficultés économiques, des dictatures triomphantes ou des abyssales dévaluations monétaires.
De toutes les institutions américaines, le dollar aura été la plus respectée, que ce soit dans les officines feutrées des banques centrales gérant les nations ouvertes, ou sous le comptoir dans les pays fermés où le bas peuple n'avait pas le droit d'y toucher ce dollar, donc, ce billet vert, ce symbole de l'économie la plus solide et la plus fiable de la planète, est maintenant délavé, rogné, piétiné.
L'idée d'incertitude y est désormais, et pour toujours, accolée.
Cette effrayante lézarde dans l'édifice financier américain vient après les déconfitures de son appareil militaire, dont la lente dégringolade a, peut-on estimer, insidieusement débuté en Corée. Après l'érosion de son hégémonie scientifique et technologique - de fait, cela indiffère les étudiants américains, alors que la jeunesse asiatique bouffe de la molécule et de l'algorithme. Et après la grande désillusion face à sa diplomatie, à telle enseigne qu'on voit la France de Nicolas Sarkozy reprendre gaillardement un rôle que, depuis le cardinal de Richelieu, elle a toujours estimé lui appartenir!
La seule force intacte des États-Unis demeure aujourd'hui sa culture. Mais pour combien de temps encore? La culture n'est pas une bête autosuffisante qui puisse éternellement demeurer en meilleure santé que la société qui la nourrit.
Peut-être la culture américaine a-t-elle eu à ce jour la chance de demeurer à peu près hors de portée de la politique. Car c'est la politique, en particulier celle qui a été infligée au pays depuis huit ans, qui est à la source des maux actuels. Et ce, bien davantage que l'appât du gain de Wall Street; ou l'incompétence de l'appareil militaire; ou le déclin des universités; ou l'abdication généralisée de la responsabilité individuelle
La semaine dernière, devant l'Assemblée générale de l'ONU puis lors de son adresse télévisée à la nation, on a vu un George W. Bush subitement vieilli de 10 ans. Il avait la tête de celui qui titube, sonné, dans un champ de ruines.
Forcément, il sait maintenant ce que sera sa place dans l'Histoire.


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