Il devient clair qu’il y a une stratégie bien plus ambitieuse derrière la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union Européenne, surnommée “BREXIT“. Bien loin ici d’un gouvernement réticent mené par le Premier Ministre Theresa May, forcé d’écouter la Vox Populi d’une majorité des votants 2016, qui ont voté pour la sortie de l’Union Européenne, des signes émergent d’une stratégie détournée bien planifiée aux plus hauts niveaux du pouvoir britannique, incluant la Maison des Windsor et les pouvoirs des institutions financières de la redoutable City de Londres. La Grande-Bretagne laisse tomber l’UE en tant qu’une option devenue impraticable, et semble tenter de bâtir une nouvelle union anglophone aux côtés des États-Unis et des nations du Commonwealth – les anciennes colonies de l’Empire britannique avant 1914.
Les Britanniques ont une histoire longue et variée, émergeant de la surprenante défaite de l’Invincible Armada espagnole en 1588, jusqu’à devenir en trois siècles le plus puissant empire sur la terre, jusqu’à la grande dépression de 1873 qui fut suivie par deux guerres mondiales dévastatrices au XXe siècle, forçant les patriarches de l’Empire britannique à ravaler durement leur fierté, et à accepter un rôle de partenaire junior, au côté de la puissance dominante en 1945, les États-Unis.
Leur décision de rejoindre l’Union Monétaire Européenne en 1992, allait contre cette tradition consistant à rester à l’écart de l’activité de l’Europe continentale, une tradition consistant à rester une puissance atlantique, utilisant la “relation spéciale“ anglo-américaine qui avait été bâtie durant les années de guerre par Churchill et Roosevelt. Lorsque les cercles de pouvoir américain détruisirent délibérément la possibilité britannique de rejoindre l’euro émergeant, par l’entremise de l’agence d’un opérateur de fonds spéculatif nommé George Soros, agissant comme un “assassin solitaire“ en 1992, il était clair que Wall Street et Washington ne permettrait pas au pouvoir financier énorme de la City de Londres, de fusionner avec celui de l’Allemagne, de la France et des autres économies continentales, afin d’être en mesure de défier l’hégémonie du dollar américain et de Wall Street.
À présent, les négociations du Brexit entre la Commission européenne et le Gouvernement britannique, ont pris un air d’acrimonie amère du côté de l’UE, pour ne pas dire plus franchement de sabotage. Pour une raison et non des moindres, que le précédent britannique inculque aux autres Etats-Membres de l’UE la notion selon laquelle une sortie de l’UE devient une option praticable. Pourtant, il semble que Bruxelles commence à sentir qu’un agenda plus profond arrive à pied de Londres, un de ceux qui pourraient facilement mener à la fin du projet bâtard que fut l’Euro, et avec lui de toute l’UE telle que nous la connaissions avant le BREXIT.
La mort de la fusion des places boursières.
Le 29 mars, symboliquement le même jour de la présentation formelle par le Premier Ministre Theresa May du plan de son Gouvernement en vue du Brexit, la Commission européenne de Bruxelles a annoncé que la fusion à 31 milliards de dollars qui était planifiée entre la Deutsche Börse de Francfort et le London Stock Exchange, était enterrée. Et il y a ici également une énorme lutte de pouvoir. Car l’enjeu réel de cette fusion était de savoir où résiderait le contrôle ultime – à Londres ou à Francfort – de ce qui serait devenu un Goliath du Commerce financier de dimension mondiale, en termes de volumes échangés. La fusion aurait créé en effet une mega-Bourse. L’Index Global des Centres Financiers (IGCF [Global Financial Centres Index -GFCI]), qui produit deux fois par an au nom de l’Autorité Centrale Financière du Qatar [Qatar Financial Centre Authority], classe aujourd’hui Londres en tant que numéro un, devant New York. Francfort est le plus gros centre financier sur le continent européen[i].
La fusion proposée s’est effondrée en effet, lorsque l’Union Européenne a posé des conditions sévères pour Londres afin d’autoriser l’approbation, en des termes que Londres a refusés. Le vrai enjeu, pourtant, n’était pas pour Londres de céder une partie de ses affaires en France. Il s’agissait de savoir où le contrôle aurait résidé, et Londres insistait pour qu’il soit clairement basé à Londres.
Qu’il s’agisse d’une coïncidence, le même jour que Bruxelles posa son veto sur la fusion Londres-Francfort, la Grande-Bretagne présenta formellement son plan pour le Brexit. L’UE annonce à cor et à cri qu’elle va le rendre le plus onéreux que possible pour la Grande-Bretagne. Les officiels de l’UE suggèrent que la Grande-Bretagne puisse être forcée de payer quelque chose comme 60 milliards d’euros pour quitter l’UE, et soit forcée à continuer d’accepter les taxes de l’UE, son droit environnemental et du travail, si la Grande-Bretagne désire conserver son pacte de libre commerce avec l’UE. Or le volume combiné des autres économies de l’UE comprend de loin les plus grands partenaires commerciaux de la Grande-Bretagne, représentant 46 % des exportations britanniques l’année dernière[ii].
Je veux suggérer ici, qu’il y a un arrière-plan géopolitique bien plus menaçant que le seul Brexit, et qui n’est pas du tout évoqué jusqu’à présent. Et c’est ce qui se trouve réellement de facto derrière cette guérilla entre la Grande-Bretagne et ce qu’il reste de l’UE : une guerre qui pourrait décider du futur de l’Euro lui-même en tant que monnaie unique, pour de nombreuses années à venir, de même que pour le façonnage de notre “équilibre“ des puissances géopolitiques du monde, pour reprendre l’expression britannique favorite[iii].
Une Union anglophone?
Le journal allemand en ligne Deutsche Wirtschafts Nachrichten (DWN), présente un argument intrigant selon lequel le Brexit n’a pas constitué uniquement un pur exemple de démocratie à l’œuvre. Mais au contraire, il met en évidence le fait que les plus puissantes factions au sein de l’Etablissement britannique, ont discrètement exercé leur influence, par l’entremise des médias britanniques et partout ailleurs, afin d’orienter les choses vers le vote du Brexit. Il argumente de façon convaincante, que les cercles dirigeants britanniques ont atteint un consensus avant ce Brexit, afin de sortir de l’UE défaillante qui prétendait forcer la Grande-Bretagne, autrefois l’hégémonie mondiale, à devenir un joueur inconséquent d’un drame n’aurait été conçu qu’à Bruxelles. À présent, poursuit le DWN, la Grande-Bretagne va chercher à se rebâtir pour elle-même un nouveau Pouvoir Mondial, en usant pour le fonder de son réseau historique de nations issues du Commonwealth Britain.[iv]
Ce n’est pas si démodé que ça peut le paraître. La Société Royale du Commonwealth britannique [Royal Commonwealth Society] planifie d’ouvrir une nouvelle branche aux États-Unis, avec l’idée un jour d’amener l’Amérique dans ce groupe multinational en tant que “membre associé“. D’après un rapport du 23 février paru dans le journal conservateur britannique The Telegraph, Michael Lake, le Directeur de cette Société Royale du Commonwealth a déclaré avoir écrit une lettre formelle en décembre dernier au Président Trump nouvellement élu, délivré en main propre par Nigel Farage, la voix principale du Brexit britannique, l’ancien dirigeant du parti britannique UKIP. Lake a donc déclaré au Telegraph l’ouverture d’une nouvelle branche de la Société Royale du Commonwealth aux États-Unis, destiné à « favoriser les liens britanniques avec l’Amérique, développant de nouvelles connexions entre les deux pays qui partagent déjà un langage commun ».
Lake a encore déclaré que la Grande-Bretagne cherche à revigorer le Commonwealth britannique en tant qu’une alternative à la structure supranationale “de haut en bas [top-down]“ de l’UE. L’objet du Commonwealth est de promouvoir des liens “mutuellement avantageux“ avec des “amis fiables“ autour du monde, dans tous les domaines depuis les affaires jusqu’à la Défense.[v]
En quittant l’UE, la Grande-Bretagne redevient en effet libre de négocier des accords de libre commerce bilatéraux avec ses partenaires du Commonwealth comme l’Australie et où les USA, libre de toute contrainte relative à l’approbation de ces accords par les 28 états membres (jusqu’à récemment) de l’UE.
Avec cette nouvelle liberté de manœuvre, les banques britanniques ne vont pas être liées par les législations bancaires de l’UE, comme la loi bancaire onéreuse du “renflouement interne [bail-in]“ adoptée l’année passée[vi], qui pourrait requérir les déposants des banques et autres actionnaires plutôt que les contribuables afin de supporter les coûts d’une nouvelle (et inévitable) crise bancaire dans l’UE.
Mieux, la livre sterling britannique, qui est un membre du panel des cinq monnaies de réserve majeure sélectionnée par le FMI aux côtés du dollar américain, du yen japonais et du Renminbi chinois, sera libre de joindre les efforts de Washington et de Wall Street afin d’attaquer et de mettre finalement à bas l’Euro hautement vulnérable. La livre sterling britannique est la troisième plus grosse devise de paiement mondial après le dollar et l’euro. Si la Grande-Bretagne, libérée des contraintes de l’UE, peut mettre à bas l’euro, la livre sterling pourrait devenir la grande bénéficiaire de cette nouvelle guerre des monnaies menées par la Grande-Bretagne du côté de Washington, contre la fragile Eurozone avec ses problèmes italiens, grecs et espagnols[vii].
La Grande-Bretagne, en collusion avec les États-Unis, formellement ou de manière informelle, pourrait bien représenter un redoutable défi pour la paix mondiale. La Grande-Bretagne est une puissance nucléaire œuvrant en coopération complète en matière de renseignement [full intelligence-sharing] avec Washington, ce qui est dénié à l’Allemagne. La Grande-Bretagne déploie ses militaires autour du monde de concert avec les États-Unis. La Grande-Bretagne est historiquement l’opposant géopolitique, au gré des deux dernières guerres mondiales, tant de l’Allemagne que de la Russie et de la Chine, si l’on remonte jusqu’aux années 1840 avec les Guerres de l’Opium.
Or les machinations de la Grande-Bretagne qui se déroulent en ce moment même, évoque l’esprit leurs projets précédents, qui fut promu par l’un des penseurs stratégiques de l’Empire britannique avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, H.G. Wells. Durant les années 1930, lorsque l’on sentait que la Seconde Guerre mondiale allait être inévitable, Wells et ses amis de la très influente Table Ronde Britannique [British Round Table] et notamment Lord Lothian, qui devint Ambassadeur britannique à Washington, poussèrent en avant une stratégie radicale. Wells devait la qualifier, comme un ordre dominé par une « grande synthèse parlant anglais et pensant anglais, menant l’humanité par la force du nombre, de la richesse, de l’équipement et de l’étendue »[viii].
En commun accord avec Cecil Rhodes, le fondateur de cette fraternité de la Table Ronde, H.G. Wells insista sur le fait que l’ordre du monde à venir devrait être basé sur une coopération « entre tous les peuples de l’Ouest [Occidentaux], et plus particulièrement entre tous les peuples Nordiques », ce par quoi il voulait dire les anglo-saxons et les peuples de parenté raciale. Il insista sur le fait que « l’Empire Britannique devait être le précurseur d’un État mondial ou rien », et que cet État mondial devrait être aussi un état dans lequel « la Grande-Bretagne devrait tirer les États-Unis jusqu’à une entente plus proche », dans ce qui serait une nouvelle union anglophone.
Cela marchera-t-il en 2017 ? Pas forcément, si l’on en juge de l’état évidé des deux économies britanniques et américaines, comme de la qualité toute aussi évidée de leurs politiciens nationaux respectifs. Mais cela ne veut pas dire que les britanniques ne vont pas tout de même tenter d’impulser ce projet. Peut-être par exemple en poussant la stratégie américaine au Yémen, en utilisant des SAS ou d’autres forces spéciales britanniques en tant que hors-d’œuvre, puis ensuite vers la Russie de Poutine ou vers la Chine ?
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William F. Engdahl est consultant en risques stratégiques et conférencier, titulaire d’un diplôme en Sciences Politiques de l’Université de Princeton. Il est l’auteur de plusieurs livres à succès sur le pétrole, la géopolitique et les OGM.
Traduction par Jean-Maxime Corneille, pour Réseau International, article original paru dans New Eastern Outlook.
[i] Foo Yun Chee, EU vetos Deutsche Boerse London Stock Exchange merger deal, March 29, 2017, http://www.reuters.com/article/us-lse-m-a-deutsche-boerse-eu-idUSKBN1700XG.
[ii] Robin Emmott, Alastair Macdonald, EU offers Brexit trade talks sets tough transition terms, March 31, 2017, http://www.reuters.com/article/us-britain-eu-idUSKBN171391.
[iii] Sur l’origine de la doctrine britannique de l’« Equilibre des Puissances », voir « Trump est-il l’homme de (sous-)main d’ Henry A. Kissinger & Cie?“ (William Engdahl, 30 Decembre 2016).
[iv] Deutsche Wirtschafts Nachrichten, EU Fesseln gelöst Großbritannien will wieder eine Weltmacht werden, 30 March, 2017, https://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2017/03/30/eu-fesseln-geloest-grossbritannien-will-wieder-eine-weltmacht-werden/?nlid=69090fe45c.
[v] Telegraph, United States could become an associate member of the Commonwealth,
23 February 2017, http://www.telegraph.co.uk/news/2017/02/23/donald-trumps-love-royal-family-may-see-united-states-join-commonwealth/.
[vi] Voir : « L’Euro est en train de tuer l’Europe“. (F. William Engdahl, 12 novembre 2016).
[vii] Deutsche Wirtschafts Nachrichten, op. cit.
[viii] « great English-speaking English-thinking synthesis, leading mankind by sheer force of numbers, wealth, equipment and scope. » : « An Experiment in Autobiography » (H. G. Wells, Chap.9 : « The Idea of a Planned World », § 1 : « Anticipations (1900) and the “New Republic” », accessible ici : https://ebooks.adelaide.edu.au/w/wells/hg/experiment_in_autobiography/chapter9.html
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