Le beau risque, prise 2

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« La souveraineté s’éloigne en même temps que s’accélère notre ravalement au rang de minorité ethnique parmi d’autres. »

Andrew Scheer et le Parti conservateur disent tendre la main aux Québécois.


Ils visent d’abord les déçus de Justin Trudeau, qui confond la réalité avec l’univers de Passe-Partout.


Ils visent ensuite les souverainistes qui en viennent progressivement à la conclusion que la souveraineté n’arrivera jamais.


Un « remake »


Michel Gauthier, jadis un important leader souverainiste, est une première prise intéressante à cet égard.


M. Gauthier ne dit pas qu’il a eu tort d’être souverainiste.


Il dit que la souveraineté n’arrivera pas. C’est malheureusement très possible.


Plutôt que de se cogner la tête contre les murs, il se demande comment défendre au mieux les intérêts du Québec.


Dit-il tout haut ce que pensent tout bas beaucoup de souverainistes découragés ?


Il y a certainement des indications de cela.


Voyez les déboires du PQ et l’agonie du Bloc.


Voyez la percée de la CAQ.


Il est révélateur que la CAQ soit particulièrement forte chez les électeurs francophones de plus de 55 ans, c’est-à-dire les baby-boomers qui ont connu l’âge d’or du mouvement souverainiste... et ses deux défaites référendaires.


Le problème est que nous avons déjà joué dans le film que proposent MM. Scheer et Gauthier.


Au milieu des années 1980, René Lévesque comprend qu’il n’y aura pas d’autre référendum à court terme.


Il propose alors « le beau risque » : une alliance avec les conservateurs de Brian Mulroney, beaucoup plus ouvert à nos aspirations nationales que Trudeau père et Jean Chrétien.


Ce sera la grande époque des Lucien Bouchard, Benoît Bouchard et autres ministres fédéraux cherchant à ramener le Québec dans le giron canadien avec « honneur et enthousiasme », comme on disait.


Résultat : l’échec de l’accord du lac Meech déboucha sur une crise constitutionnelle qui mit la table pour le référendum de 1995.


Autre contexte


La main tendue par M. Scheer et saisie par M. Gauthier survient toutefois dans un contexte radicalement différent à deux titres.


D’abord, tétanisés par l’échec de Meech et par la grande frousse référendaire de 1995, ni le Canada anglais ni les conservateurs n’iront bien loin dans leurs ouvertures à l’endroit du Québec.


M. Scheer fera des ouvertures discrètes et symboliques à la Stephen Harper, loin de celles de M. Mulroney.


Ensuite, le Canada de 2018 n’est pas le Canada de 1990.


Plus le nombre de Canadiens nés à l’étranger augmente, plus il devient difficile de vendre l’idée d’un statut spécial aux Québécois parce qu’ils étaient là avant un sikh de Toronto.


La souveraineté s’éloigne en même temps que s’accélère notre ravalement au rang de minorité ethnique parmi d’autres.


Karl Marx disait que l’histoire aime se répéter : la première fois sous forme de tragédie, la deuxième, sous forme de farce.


Les deux peuvent se combiner.