Laïcité, langue et Joseph Stiglitz

Laïcité — débat québécois



Je vais vous faire un petit triplé aujourd’hui, un peu fastidieux je vous l’avoue. Certaines plumes du souvent excellent L’aut’journal ont pris la mauvaise habitude de me prêter des propos et des intentions qui me sont pourtant parfaitement étrangers.
Je reviens sur trois cas récents: Louise Mailloux, Charles Castonguay et Pierre Dubuc.
Pour une Charte de la laïcité
J’ai publié récemment sur ce blogue une proposition de mise en œuvre d’une politique de la laïcité. Dans mon esprit, il s’agit de réfléchir à l’application concrète d’une future Charte de la laïcité que j’appelle de mes vœux.
Je le précise ici car j’ai été étonné de lire, sous la plume de Mme Louise Mailloux, que ma proposition devait remplacer la Charte. C’est évidemment faux.
Mme Mailloux est en désaccord avec ma tentative de concilier les progrès de la laïcité avec le fait majoritaire et avec mon approche progressive, étalée dans le temps. C’est son droit le plus strict.
Mais elle affirme que ma proposition d’éteindre progressivement les subventions aux écoles religieuses “ne s’appliquerait cependant pas aux écoles catholiques et protestantes”. C’est évidemment faux. Il s’agit de toutes les écoles, de toutes confessions, qui prodiguent un enseignement religieux dans leur pédagogie et profitent de fonds publics.
Le français, langue officielle, commune et prédominante
Dans un autre texte Charles Castonguay se montre perplexe face à l’application du concept de la “nette prédominance du français”. Il me pose quelques questions auxquelles il me fait plaisir de répondre.
Par exemple:
Lisée consacre, quant à lui, un chapitre entier de son livre Nous (2007) à prôner sans plus de précision la « nette prédominance du français ». Tout le monde est sans doute censé savoir d’instinct ce que ça veut dire.
Concrètement, qu’impliquerait donc, par exemple, faire du français la langue nettement prédominante en milieu de travail? Est-ce que ça voudrait dire que la nette majorité des communications entre travailleurs doivent se faire en français? [...]
Il faut souligner que Lisée ne préconise pas d’abandonner l’objectif du français langue commune, mais d’y accoler celui de la nette prédominance du français. Sans préciser, cependant, comment ces deux objectifs s’articuleraient, ni en général ni en particulier, notamment dans le domaine crucial des communications entre personnes de langue maternelle différente en milieu de travail.

Eh, bien cher Charles, puisque vous semblez avoir en main un exemplaire de mon livre Nous, vous trouverez la réponse à cette question en pages 40 et 41. D’abord je montre dans quelle hiérarchie je place cette nette prédominance, — je la subordonne aux autres principes — puis j’illustre ce qu’elle signifie dans les entreprises où l’anglais gruge la place du français à cause de la mondialisation de l’économie québécoise:

À mon avis, au niveau des principes généraux, le Québec devrait bien sûr réaffirmer que :
1. Le français est la seule langue officielle du Québec
_ 2. Son objectif est de faire du français la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires
_ 3. Son objectif est de faire du français la langue commune des Québécois
_ 4. Le gouvernement devrait ajouter dorénavant à ces objectifs le concept clé de prédominance du français.

La réalité du français au Québec est et doit demeurer celle d’une langue commune qui occupe la place centrale, mais qui cohabite avec d’autres langues, principalement la langue anglaise.
Cela est vrai dans notre économie : l’extraordinaire succès des produits Québécois sur le continent anglo-américain – le Québec y exporte plus de la moitié de tout ce qu’il produit – et, grâce au dynamisme de ses entreprises, son statut d’employeur de dizaines de milliers d’anglophones du Canada anglais et des États-Unis – 320 entreprises québécoises emploient directement plus de 60 000 citoyens états-uniens -, font de l’anglais une composante incontournable de la vie économique du Québec.
Cette tendance va se renforcer, c’est certain. Il serait désormais illusoire de vouloir faire du français « la seule langue » utilisée dans chacune des composantes d’une entreprise. Cela n’a d’ailleurs jamais été l’objectif de la loi 101. Mais ce qui était vu à l’époque comme des « exceptions » pour des entreprises exportatrices est en train de devenir la norme à l’heure où l’économie québécoise en son entier est exportatrice, à hauteur de 60% de son produit intérieur brut.
Il est cependant essentiel d’établir la prédominance du français, y compris au sein des entreprises exportatrices, pour ne pas se retrouver, de glissement en glissement, vers une généralisation de l’usage de l’anglais, parti du secteur des ventes à l’étranger, s’étendant à l’administration, puis à la production et jusqu’à demander au concierge et au manœuvre, au moment de l’embauche, une bonne connaissance de l’anglais.
Il ne s’agit plus d’imposer le français là où il était absent (bien que ce travail ne soit pas encore terminé). Il s’agit maintenant d’accepter, puis de défendre la prédominance du français dans une portion croissante de la vie économique québécoise.

Bref, loin de vouloir faire reculer l’usage du français dans l’entreprise (j’appuie d’ailleurs l’extension de la loi 101 aux entreprises de moins de 50 employés), je m’inquiète ici de la résurgence de l’anglais induite par la mondialisation et à laquelle la Charte de la langue française ouvre la porte par son article 142.
Je dis qu’il faut s’assurer du français langue de travail, partout, et de sa prédominance dans les composantes d’une entreprise où l’anglais est présent à cause de la fonction de cette composante: exportation, mise en marché à l’étranger, gestion des employés anglo-américains hors-Québec.
Charles Castonguay affirme que la force d’une langue est fondée sur son statut, davantage que sur son nombre. Étant l’auteur de la proposition voulant instituer au Québec une citoyenneté qui suppose pour tous les nouveaux arrivants une connaissance du français, je suis de tout coeur favorable à la défense et au rehaussement du statut du français.
Cependant je crois que le nombre y fait aussi. Et je suis très inquiet de la réduction de la proportion de francophones au Québec, dans la région métropolitaine et particulièrement sur l’ile, depuis le recensement de 1991 où cette proportion avait atteint un de ses sommets historiques, que j’ose appeler “point d’équilibre”.
Ma proposition consiste à indiquer que l’objectif national légitime, multiforme, devrait tendre à retrouver à peu de choses près ce point d’équilibre. Cela signifie, évidemment, davantage de français, en statut et en nombre.
Mais cela indique aussi aux autres composantes de la société québécoise, les nations autochtones, notre minorité nationale anglophone, les allophones qui retiennent leur langue en plus de connaître la langue commune, que notre objectif n’est pas leur éradication. C’est un concept qui, ajouté aux autres qui sont nos guides, nous permet d’affirmer notre force et notre volonté de maintenir cette force — voire, en l’espèce, de la rétablir — mais qui indique aussi notre respect pour nos concitoyens, autochtones et anglophones, qui n’ont pas le français comme langue d’usage.
De troublantes divagations
Le scribe le plus divertissant de L’aut’Journal est cependant Pierre Dubuc. Dans une série d’articles qu’il m’a consacrés ces derniers mois, puis dans un petit livre qu’il vient de mettre en vente, Pour une gauche à gauche, (et je le remercie de m’en avoir envoyé une copie), Dubuc m’apprend des choses étonnantes sur mon compte.
D’abord, et c’est en quatrième de couverture, il affirme sans rire que François Legault est “mon mentor” ! Legault, que j’ai beaucoup critiqué sur ce blogue, en sera aussi surpris que moi.
Un mentor est quelqu’un qui nous guide, nous conseille, nous inspire. Malheureusement, je ne crois pas en avoir. La personne qui s’en rapproche le plus serait plutôt Jacques Parizeau, à qui je dédie mon livre “Pour une gauche efficace” et où je le cite abondamment (et où on ne trouve pas une seule citation de mon “mentor” Legault, c’est bizarre).
M. Parizeau a d’ailleurs pris la parole au lancement de Pour une gauche efficace et m’a ravi en citant plusieurs fois mon livre dans son excellent ouvrage, Pour un Québec souverain.
Bref, cette affaire de mentor est étrange, mais moins encore que d’apprendre sous la plume de Dubuc que Joseph Facal était associé au concept de “gauche efficace” ! Le signataire du Manifeste des lucides n’appréciera pas, j’en suis certain, lui qui ne s’est jamais, au grand jamais, présenté comme un homme de gauche.
Le moment le plus amusant du livre vient cependant lorsque Dubuc discute des propositions avancées dans Imaginer l’après-crise, l’ouvrage collectif que j’ai codirigé avec Éric Montpetit, dans lequel on trouve des contributions des regrettés Paul Bernard et Gilles Dostaler. Dans la seconde partie du livre, je signe un texte intitulé “Le capitalisme: en sortir, le dompter ou le dépasser?”
Pour bien rire il faut connaître le contexte. Dans ce texte, je tente de mettre en ordre un certain nombre de propositions existantes et je cite le comité d’experts réunis par l’ONU et dirigé par le prix Nobel Joseph Stiglitz. Ce grand critique de la mondialisation propose une réforme des organisations internationales qui enlèverait aux seuls Fonds monétaire international, Organisation mondiale du commerce et Banque Mondiale, qui penchent toujours à droite, le monopole sur les interventions économiques onusiennes.
Il propose plutôt de chapeauter l’ensemble des institutions de l’ONU, dont l’UNESCO et l’Organisation internationale du travail, plus “sociaux”, d’un “Conseil mondial de coordination économique” qui aurait un statut analogue au Conseil de sécurité et qui intégrerait les aspects sociaux et environnementaux (ignorés par l’OMC et le FMI) dans son diagnostic économique continu.
C’est Stiglitz qui parle, et j’ai la faiblesse de le trouver brillant. Dubuc cite ces propos, mais sans les attribuer à Stiglitz comme je le fais. Au contraire, il me les attribue: “Lisée a un plan,” écrit-il. Puis — cramponnez vous — il ajoute: “Lisée est trop modeste pour dire que le CERIUM qu’il dirige pourrait très bien servir de secrétariat à cette nouvelle Internationale”. Hum… Puisque nous savons que l’auteur de ces lignes, Pierre Dubuc, est sain d’esprit, comment expliquer ces âneries ?
Dans le reste des écrits, Dubuc est parfois d’accord, parfois en désaccord avec moi, ce qui est fort bien. Mais il use à répétition d’une détestable habitude: le rejet par association. Par exemple, je m’inspire depuis plusieurs années de l’expérience d’Indianapolis qui a démontré que les cols bleus, syndiqués, pouvaient faire mieux que le privé dans la livraison des services, lorsqu’on leur en donnait les outils.
Dubuc applique à cet exemple son principe-clé: le maire d’Indianapolis, écrit-il, et un républicain pro-Bush. Il nous dit tout le mal qu’il faut en penser. Donc, l’expérience d’Indianapolis est à rejeter. CQFD. Lorsqu’on est de gauche et pro-syndical, ne serait-il pas utile de demander ce qu’en pensent les syndiqués et leurs organisations ? Dubuc n’en a cure. Pire, il a tort sur les faits. L’idée ne vient pas du maire, comme il l’écrit. Le maire voulait sous-traiter, comme tout bon maire de droite.
C’est le syndicat des cols bleus qui a imposé au maire le principe qui fut ensuite employé, avec pour effet d’augmenter le revenu et le nombre des syndiqués et d’améliorer l’efficacité des services publics. (Remarquez, je suis à la recherche de textes récents sur le sujet.)
Dubuc répète le procédé à plusieurs reprises. Sur l’éducation, je me permets un jeu de mots dans Pour une gauche efficace. Les Américains ont voté la loi No child left behind, (aucun enfant laissé derrière), il faut au Québec s’assurer qu’aucun adolescent ne soit laissé derrière. Puis je propose une panoplie de mesures qui n’ont rien à voir avec l’approche américaine et qui se fonde entièrement, pour le secondaire, sur les écoles publiques actuelles. Mais Dubuc s’appuie sur le jeu de mots pour dire tout le mal qu’il pense de l’expérience américaine, donc de la mienne. Re-CQFD.
Et encore et encore. Si Jean-Paul Gagné, du journal les Affaires, est favorable à une mesure que j’avance, elle est donc mauvaise. (Mais Gagné est aussi favorable à une Commission d’enquête sur la construction. C’est fâcheux. Faut-il donc être contre?). Si Marcel Boyer, du Cirano et un temps de l’IEDM, propose d’aider les entreprises d’économie sociale à obtenir, plutôt que Tony Accurso, des contrats publics, c’est nécessairement mauvais.
En gros, Dubuc pratique un genre de MacCarthysme de gauche. Il nous invite à la fermeture d’esprit.
Ah, il faut dire aussi que Dubuc est foncièrement opposé à l’économie sociale et solidaire. Une vraie divergence entre nous. (Si j’étais comme lui, j’invaliderais son opposition par association, en indiquant que les libertariens y sont aussi opposés. Mais ce serait de la pure démagogie.)
Il me trouve trop pro-américain, cela ne me surprend pas. Il insiste par contre pour donner un “Avis à ceux qui ne le sauraient pas: Jean-François Lisée est d’un anticommunisme virulent…”
Ah, oui, là, je suis coincé, je dois avouer. Je m’oppose avec virulence à un des systèmes les plus répressifs et les plus meurtriers que la planète ait connue. Je suis également opposé au fascisme, à la peste et aux feux de forêts. Je m’étonne que cela puisse étonner qui que ce soit !

Squared

Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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