La victoire du droit à l’obscurantisme

L'inculture de ses élites politiciennes retarde l'évolution sociale du Québec



Le dossier, vu par Godin
Parlons sérieusement. Lorsqu’un parent musulman demande à une maternelle le droit d’imposer à sa fillette un “écouteur anti-bruit” pour la protéger contre… la musique, il fait preuve d’obscurantisme.
Mais lorsque la maternelle accepte, elle fait beaucoup plus. Elle reconnaît au parent le droit à l’obscurantisme et le droit de l’imposer à son enfant, dans une institution publique !
Comme ce sont les éducateurs de maternelle qui mettent et enlèvent l’écouteur à la fillette pendant les moments, nombreux, où la satanée musique est entendue, le service public devient, non seulement le spectateur inactif, non seulement le complice conscient, mais le servile exécutant de l’obscurantisme.
Le cas, certes, est exceptionnel. C’est la réponse de la société québécoise qui fait problème. Jusqu’à la ministre Line Beauchamp qui affirme que ce n’est “pas un compromis au programme québécois des études”. Elle a raison. Ce n’est pas un compromis. C’est une reddition.
On nous explique que cet “accommodement” n’est appliqué que pour un an. Qu’il vise l’intégration de l’enfant. C’est faux. L’accommodement vise strictement à se plier aux volontés obscurantistes du parent. Et maintenant qu’il a eu gain de cause, et maintenant que même la ministre trouve cela acceptable, pourquoi ne pourra-t-il pas, demain, réclamer l’écouteur anti-bruit en première année, et en deuxième, et en troisième ?
L’État québécois, du haut en bas, n’a établi autour de ce cas ahurissant aucun principe qui puisse indiquer aux obscurantistes que leurs demandes sont irrecevables.
Savoir où tracer la ligne
L’argument invoqué est toujours le même: notre objectif est le bien de la fillette. Puisque la maternelle cinq ans n’est pas obligatoire, le refus de l’accommodement pourrait conduire le parent à soustraire sa fille à l’école publique. Elle serait donc dans l’obscurantisme à temps plein. Ma réponse à moi est autre: presque 100% des enfants vont désormais à la maternelle cinq ans. Cette année de préparation fait désormais partie d’introduction aux savoirs de base. Il est temps de rendre cette année obligatoire.
Bien. Mais alors, nous dit-on, les obscurantistes enverront leurs enfants dans les écoles religieuses dont plusieurs, au Québec, sont subventionnées. Ma réponse à moi (que j’ai développée ici) programmer l’élimination graduelle des subventions publiques aux écoles religieuses. Pour les écoles religieuses non-subventionnées, n’accréditer que celles qui appliquent le programme d’études général, incluant évidemment sport et musique.
Le but de la société québécoise n’est pas d’aménager des lieux où les obscurantistes pourront à loisir endoctriner leurs enfants. Le but de la société québécoise doit être de permettre à chacun des enfants québécois de s’épanouir pleinement, au contact de la connaissance, de la science et de la culture. Si, devenus adultes consentants, ils souhaitent choisir l’obscurantisme, ce sera leur droit.
Société et obscurantisme
Je me répète mais j’estime que tous le débat récent sur l’intégration et les accommodements évacue une question essentielle: le fait qu’il est légitime, pour une société, d’indiquer son refus des comportements obscurantistes, du moins dans l’espace public.
Chacun a des droits, bien évidemment, y compris la liberté de conscience, même lorsque cette liberté signifie l’adhésion à une variante de la foi qu’on peut qualifier d’orthodoxe. Dans ces cas, il s’agit en quelque sorte du droit de vivre en marge des valeurs plus généralement acceptées – notamment l’égalité des sexes et la volonté de vivre ensemble.
La société doit, c’est certain, admettre et protéger ces choix religieux orthodoxes. Elle n’est cependant pas tenue de s’y montrer favorable ou d’agir pour qu’un mode de vie marginal puisse se déployer dans l’espace public sans entraîner nombre d’inconvénients à ses adhérents. C’est ma conviction que, règle générale, il appartient aux citoyens québécois qui choisissent des croyances ou un comportement marginal de s’accommoder des pratiques communes, plutôt que l’inverse.
J’estime de plus qu’il est tout à fait légitime que la société québécoise prenne consciemment la décision d’envoyer le signal que ces choix de vie ne sont pas ceux qu’elle valorise, notamment lorsqu’ils impliquent une vision inégale des sexes ou le refus de l’interaction avec les autres membres de la société, comme dans le cas de la fillette privée de musique.
Voilà ce à quoi servirait une Charte de la laïcité: à ce que la société québécoise dise clairement et lisiblement, à elle-même d’abord et à tous ceux qui veulent se joindre à elle ensuite, les principes qu’elle compte appliquer. (J’ai proposé un calendrier d’application ici, de manière à en maximiser le succès.)
Charest: une responsabilité écrasante
Dans cette affaire, comme dans celle de la décision de fournir des hijabs aux musulmanes gardiennes de prison, la responsabilité du gouvernement Charest est écrasante. Le Rapport Bouchard-Taylor, à mon avis très décevant, proposait au moins d’interdire aux juges, policiers et gardiens de prison de porter des signes religieux ostentatoires. Le gouvernement n’a même pas légiféré sur ce point, consensuel entre tous, ce qui mène au précédent maintenant créé pour les geôlières.
Pourquoi pas, demain, les policières ?
Sur ce point, comme sur la langue en général, Jean Charest aura fait perdre au moins huit ans au Québec. Espérons que cette question sera aussi posée, le jour où, enfin, l’électorat lui donnera son dernier bulletin de notes.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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