La révolte arabe et les intellectuels français

"Il y a peu de chances que nous regrettions ces régimes qui vont tomber. Quand bien même le pire en profiterait", estime Caroline Fourest.

La révolte arabe et les intellectuels juifs médiatiques français

"Il y a peu de chances que nous regrettions ces régimes qui vont tomber. Quand bien même le pire en profiterait", estime Caroline Fourest.

Par Catherine Gouëset - Faut-il soutenir la soif de liberté et de changement des Tunisiens et des Egyptiens? Finkielkraut, Glucksman, Adler... une partie de l'intelligentsia tricolore ne cache pas sa gêne.

Faut-il soutenir la soif de liberté et de changement de la "rue arabe"? Cette question suscite le malaise d'une partie des intellectuels et chroniqueurs français, les "néoconservateurs à la française", comme les appelle Libération.
En interrogeant, le 3 février, Alain Finkielkraut sur son silence face aux événements en cours, c'est justement Libération qui a lancé le débat. Le quotidien rappelle que ces intellectuels médiatiques avaient refusé de condamner l'intervention américaine en Irak, "au nom de la démocratisation du monde arabe". Ils ont également été prompts à soutenir les manifestations contre les régimes prosoviétiques à l'Est dans les années 1990 ou, plus récemment, contre la réélection contestée, et contestable, de Mahmoud Ahmadinejad en Iran.
Mais pour l'Egypte et la Tunisie, c'est une autre histoire. "Dans les pays de l'Est, il y avait une tradition démocratique dont les intellectuels dissidents, notamment tchécoslovaques ou polonais, étaient les héritiers. Une telle tradition existe-t-elle en Egypte? Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr", assène Alain Finkielkraut. Il rejette la comparaison, souvent citée, des mouvements islamistes de Tunisie ou d'Egypte avec le parti "islamo-conservateur" AKP en Turquie. "L'AKP doit composer avec les laïcs et ceux-ci ont, en Turquie, une force et une légitimité sans équivalent dans les pays arabes", explique-t-il.
Les risques des révolutions arabes...
André Glucksmann, dans une chronique confiée au même Libération ce lundi 7 février, nuance: "Pas question de déplorer la chute d'un tyran, explique-t-il. Saluons les révolutions arabes (...) mais de grâce ne les flattons pas. Les risques, tous, même les pires périls, sont devant elles" prévient-il.
Alexandre Adler , lui aussi, paraît plus inquiet que réjoui par les événements en cours. "Vers une dictature intégriste au Caire?" interroge-t-il , dans Le Figaro du 29 janvier. Il exprime son mépris pour Mohamed El-Baradei, l'un des opposants à Moubarak, qu'il qualifie de "pervers polymorphe". Ce dernier a "tout fait à la tête de l'Agence internationale de l'énergie atomique à Vienne pour couvrir ses amis iraniens dans leurs menées prolifératrices" et est maintenant "le cheval de Troie intéressé" des Frères musulmans, peste le chroniqueur.
"Alain Finkielkraut est un culturaliste. Il est semble-t-il des aires culturelles sans tradition de démocratie et donc qui ne peuvent y prétendre", s'emportent Sophie Bessis et Ali Mezghani dans Libération, ce lundi. "La solidité des traditions démocratiques en Europe de l'est se situe certainement, selon lui, dans l'ADN des peuples", moquent-ils, en rappelant que ces pays ont aussi connu des "absolutismes monarchiques ou religieux" et "des dictatures fascistes et communistes."
Daniel Lindenberg, historien des idées, interrogé par Le Monde du 6 février, va plus loin: "beaucoup d'intellectuels pensent au fond d'eux-mêmes que les peuples arabes sont des arriérés congénitaux à qui ne convient que la politique du bâton".
Soulignant la "maturité des insurgés", Bernard-Henri Lévy s'était réjoui, lui, de la chute de Ben Ali dans son Bloc-notes du Point, le 20 janvier. BHL expliquait que Rached Ghannouchi, le leader du parti islamique Ennahda, ne deviendrait pas un nouveau Khomeiny: "Il suffit de lire les timides déclarations qu'il a pu faire depuis la fuite de Ben Ali pour comprendre que ce n'est pas demain la veille", disait-il. "Alors pourquoi, ne pas renoncer à nos idées toutes faites? Pourquoi ne pas nous laisser porter par l'événement et par la leçon de démocratie arabe, pour l'heure sans équivoque, qu'administre la Tunisie?" demandait-il.

Il n'y a pas de "révolution arabe" unique, qu'il faudrait, de Tunis à Sanaa en passant par Alexandrie, saluer dans des termes identiques


Mais, lui aussi craint de voir les islamistes "ramasser la mise après la chute de Moubarak", comme il l'écrit dans un éditorial du 3 février. "Il faut se débarrasser des idées toutes faites: à commencer par celle d'une 'révolution arabe' unique, émettant sur une longueur d'onde unique, et qu'il faudrait, de Tunis à Sanaa en passant par Alexandrie, saluer dans des termes identiques", écrit-il.
"Curieusement, nos trois vedettes médiatiques qui s'inquiètent fortement de l'arrivée au pouvoir d'un mouvement intégriste religieux, n'ont jamais rien dit contre le fait qu'en Israël un parti de cette nature soit membre depuis longtemps de la coalition gouvernementale. Le parti Shass, un parti extrémiste religieux (et raciste), est au pouvoir en Israël avec un autre parti d'extrême droite, celui-ci laïc et tout aussi raciste, Israel Beiteinu", s'étonne Pascal Boniface dans son blog du Nouvel Obs.
"Il y a peu de chances que nous regrettions ces régimes qui vont tomber. Quand bien même le pire en profiterait", tranche Caroline Fourest, croisée de la laïcité dans sa tribune publiée dans Le Monde du 5 février. Evoquant cette "crainte du pire" exprimée par Benyamin Netanyahu, elle souligne que "son inquiétude serait plus convaincante s'il avait su profiter de la 'stabilité' de l'Egypte pour faire avancer le processus de paix. Au lieu de refuser toutes les concessions faites par l'Autorité palestinienne. Résultat, le processus de paix est enterré, l'Autorité palestinienne discréditée, le Hamas revigoré et la gauche israélienne au fond du trou. En quoi cela pourrait-il être pire? Le conflit du Proche-Orient pourrit la géopolitique depuis trop longtemps. Il a perdu le droit de justifier qu'on diffère, en plus, la démocratisation arabe."
"Quand la Hongrie s'est soulevée contre la tyrannie en 1956, la propagande de l'Etat s'est déchaînée", explique Jean-François Kahn, toujours dans Libération. Et l'ancien directeur de Marianne de conclure: "Des éléments droitiers, réactionnaires et même fascisants participaient de cette révolte. C'était vrai. Et leurs héritiers ont même gagné les dernières élections. Pour autant, fallait-il s'interdire de soutenir cette insurrection magnifique?"


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