La révolte populaire qui secoue l’Irak depuis plusieurs semaines est d’une grande importance pour l’avenir du pays et, au-delà, de l’ensemble du Proche-Orient. En effet, pour la première fois depuis la révolution islamiste iranienne, des chiites privilégient leur pays à la pesante tutelle du grand frère iranien.
Pour comprendre les enjeux, un retour en arrière s’impose. Lorsque George Bush décide d’envahir l’Irak en 2003 afin de renverser Saddam Hussein, il commet une erreur stratégique majeure. Le dictateur irakien est, en effet, de confession sunnite, religion minoritaire dans son pays. Traditionnellement, les sunnites sont plutôt les alliés des Américains dans la région, alors que les chiites sont leurs ennemis.
Mais depuis l’invasion du Koweït en 1990 et sa punition par George Bush père, Saddam n’est plus en odeur de sainteté à Washington.
Le 11 septembre passe ensuite par là et l’Amérique doit se venger. L’invasion de l’Afghanistan, foyer identifié d’Al-Qaïda, ne suffit pas, il faut frapper fort ailleurs. Pourquoi pas l’Irak, ce qui permettrait à l’armée américaine de prendre pied à un endroit stratégique, entre l’Iran et la Syrie ? C’est, en tout cas, le plan des néo-conservateurs qui règnent alors à la Maison-Blanche.
Certes, Saddam n’a rien à voir avec le 11 septembre et tout le monde le sait. Qu’importe : on invente la fable des armes de destruction massive et l’invasion est programmée, malgré l’opposition de la Russie et de la France, dont ce fut le dernier acte d’une politique étrangère indépendante de la tutelle américaine.
Cette décision calamiteuse plongea l’Irak dans le chaos et provoquera une vaste insurrection sunnite qui deviendra islamiste et sera le premier acte de la création de Daech. Pour les chiites, c’est une aubaine. De persécutés, ils se font persécuteurs après des élections qu’ils ont nécessairement gagnées puisqu’ils sont plus nombreux. Car, en Irak, comme souvent au Proche-Orient, on n’est pas de droite ou de gauche, mais chiite ou sunnite.
La guerre en Syrie et le chaos irakien vont permettre à l’Iran, la grande puissance chiite, de prendre progressivement le contrôle de l’Irak par le biais de milices chiites en lutte contre Daech, et d’un pouvoir corrompu et incapable.
Mais la misère dans laquelle s’enfonce le pays depuis 2003 va finir par susciter la colère d’une population qui ne supporte plus ses conditions de vie alors que la manne pétrolière est confisquée par une caste de privilégiés.
Cette colère se traduit par de grandes manifestations à Bagdad et dans le sud du pays. La répression est sanglante et l’on dénombre des centaines de morts tués par les forces de l’ordre ou des milices chiites qui prennent leurs ordres à Téhéran. Et de révolte contre la misère, la foule en vient à des slogans contre le pouvoir et contre l’Iran.
Les Irakiens veulent dorénavant exister hors de la tutelle iranienne, et le fait qu’ils soient chiites passe désormais derrière le fait qu’ils sont d’abord irakiens.
C’est peut-être un tournant.