Corporatisme du Collège des médecins du Québec et intransigeance des facultés de médecine

La population québécoise prise en otage

Tribune libre


« Passer la nuit pour avoir un médecin [de famille] » titrait la chaîne LCN, dans son édition du samedi 9 janvier 2010. La journaliste Chantal Leblond commentait ainsi la photo envoyée par un téléspectateur Donald Poirier dans le cadre de la rubrique Mon topo, une section réservée aux téléspectateurs.
Selon la journaliste, une centaine de personnes faisait la file dehors pour avoir un médecin de famille par un temps très froid. Donald Poirier, l’auteur de Mon topo disait avoir attendu plus de 13 mois pour avoir un médecin de famille. Il a voulu sauter sur l’occasion de figurer parmi la cinquantaine de patients que le médecin de famille, arrivé en septembre 2009 à Sept-Îles, a voulu ajouter dans sa liste de patients. Cette problématique témoigne une fois de plus la situation dans laquelle les Québécois sont plongés depuis des années.
La rapidité de la prise en charge du patient laisse à désirer. Une étude de l’Institut Fraser publiée au mois d’octobre 2009 révélait que « le délai avant de recevoir un traitement ou subir une chirurgie est de 16, 6 semaines » . (Les délais d'attente restent trop longs dans les hôpitaux. Marie-Eve SHAFFER – Métro Montréal – 30 octobre 2009). Pire encore, le temps d’attente est très long au niveau des hôpitaux (parfois plus de huit heures d’attente entre le temps de passer au triage et de voir un médecin) mais aussi les délais d’attente pour le traitement de certaines maladies par les spécialistes sont trop longs. Les patients québécois prennent leur mal en patience puisqu’ils attendent en moyenne 8,2 semaines avant de se faire traiter par un médecin spécialiste .
L’engorgement des urgences n’est pas prêt de se résorber. En 2010, le temps d’attente a été souvent évoqué dans les joutes oratoires à l’Assemblée nationale du Québec.
« Le critique péquiste en matière de santé, Bernard Drainville , a indiqué que, sept ans plus tard, «l'attente dans les urgences n'a jamais été aussi élevée»: 17 heures et demie en moyenne. Quelque 50 000 personnes ont attendu plus de 48 heures, comparativement à 40 000 l'an dernier. M. Bolduc avait promis «beaucoup d'améliorations» lorsqu'il est entré en fonction, en 2008. «Deux ans plus tard, les résultats non seulement ne sont pas là, mais c'est un échec patent, a lancé M. Drainville. Jusqu'à maintenant, il n'a absolument pas fait la preuve qu'il était le soi-disant expert dans la gestion des salles d'urgences qu'il prétendait être lorsqu'il est devenu ministre de la Santé.»

Au Québec les médecins sont payés à l’acte par le biais de la carte d’assurance- maladie. La pénurie artificielle, diront certains sceptiques, crée la loi de l’offre et de la demande. Le pouvoir de négociation des médecins devient plus fort dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre médicale. Une équation qui démontre que la rareté de personnel entraîne de fait plusieurs marges de manœuvre de la part des ordres professionnels sensés défendre les intérêts de la population. Certains Québécois disent avec raison que certains acteurs institutionnels du système médical comme celui du Collège des médecins du Québec (CMQ) maintiennent superficiellement la pénurie de main-d’œuvre médicale.
Léo-Paul Lauzon, professeur au Département des sciences comptables de l'Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM tire à boulets rouges sur le Collège des médecins du Québec. « Ces médecins qui créent une pénurie artificielle de médecins au Québec afin d’exercer un chantage abject sur la population et de «booster» leurs gros salaires indécents et injustifiables, exactement comme le font les pétrolières.
Le gouvernement a une attitude plus bienveillante envers ce syndicat qu’envers les autres qui, il est vrai, représentent que des travailleurs ordinaires. Plus facile de jouer au matamore avec ces derniers. » (« Le « coloré » docteur Lamontagne », l’Aut-journal, 21 janvier 2009, Léo-Paul Lauzon).
Au Québec, certains médecins spécialistes (par exemple des orthopédistes, des anesthésistes, des chirurgiens etc.) peuvent gagner plus de 350 000 $ par année . Le tarif journalier de base d’un orthopédiste dans un hôpital québécois est de 700 à 800 $. (Haïti: les orthopédistes veulent être payés, Denis Lessard, La Presse, 27 janvier 2010).
Culture corporative du Collège des médecins du Québec
Est-ce que le CMQ veut maintenir son image corporatiste associée à l’histoire de sa création ? Souvenez-vous d’Irma LeVasseur ?
Au Québec, il fut un temps où les femmes n’avaient pas accès à l’université. Elles étaient obligées de s’exiler aux États-Unis pour faire des études supérieures à l’instar de la grande figure historique féminine, Irma LeVasseur (1878-1964), la première femme médecin francophone au Québec (médecin avec droit de pratique aux États-Unis en 1900 et en 1903 au Québec). Pour qu’elle ait le droit de pratique, la co-fondatrice de l'Hôpital pour enfants Sainte-Justine devait impérativement obtenir une autorisation officielle du Collège des médecins et chirurgiens du Québec. Une loi privée de l'Assemblée nationale du Québec, lui délivre le droit de pratique le 25 avril 1903.
L’histoire de cette corporation nous renseigne sur le triple changement des acronymes : Collège des médecins et chirurgiens du Bas-Canada (CMCBC) depuis 1847, Corporation professionnelle des médecins du Québec (CPMQ) en 1974, Collège des médecins du Québec (CMQ) en 1994 .
La modification de la dénomination par les administrateurs de la CPMQ de corporation à Collège des médecins n’a pas changé l’esprit de « corporation ». Qui dit corporation, dit fermeture et exclusion : défense exclusive des intérêts des membres. Le chapeau de Collège sonne certes mieux que corporation mais n’exclue en rien la politique de non-ouverture de cette instance.
Le corporatisme des médecins n’est pas une perception mais une réalité bien ancrée. La perception d’une culture corporative est loin de disparaitre. Le Collège des médecins du Québec sort la rhétorique de la défense du public mais ce même public exige d’avoir accès à des talents.
Le CMQ se dit ouvert mais dans le concret beaucoup de médecins étrangers sont laissés sur le carreau. Si « le CMQ estime que les personnes formées à l’extérieur du Québec représentent une force indéniable et un des éléments de la solution à la pénurie d’effectifs » alors pourquoi priver des Québécois des médecins étrangers ?
Le fardeau de la non-intégration des médecins n’incombe pas seulement au Collège des médecins du Québec. Les médecins étrangers ne comprennent pas malgré la pénurie de personnel dans le domaine de la santé que les facultés de médecine ne leur donnent pas la possibilité de pratiquer au Québec. Quand ils ont des permis de travail, ils ne pratiquent pas et vice versa. Un éternel recommencement dans le processus d’intégration crée des frustrations chez les médecins diplômés à l’étranger.
Intransigeance des facultés de médecine
Une mesure contraignante des facultés de médecine de famille comme celle de l’Université de Montréal exclut à l’admission en résidence certains médecins diplômés hors du Canada et des États-Unis (DHCEU), pour raison de durée de non pratique ou durée d’éloignement de la pratique. Mais, autre paradoxe du système de santé, certains médecins à qui on refusait de pratiquer dispensaient des cours à l’université!
Malgré des postes vacants (87 postes en 2007, 102 postes en 2008, 94 postes en 2009), les quatre facultés de médecine du Québec (Université Laval, Université McGill, Université de Montréal, Université de Sherbrooke) n’ont pas voulu donner des places de résidence aux médecins étrangers qu’elles qualifient d’incompétents. (Lire à ce sujet : Faut-il fermer les vannes de l’immigration aux médecins diplômés à l’étranger ? par Doudou SOW).
Il existe un véritable paradoxe entre la non-intégration des médecins étrangers et les besoins de la main-d’œuvre : « Un peu plus de 2000 des 18 000 médecins qui pratiquent au Québec ont obtenu leur diplôme dans une université étrangère. Il en faudrait au moins 2000 de plus, tant généralistes que spécialistes, pour combler tous les besoins. » (Médecins étrangers : La porte restera dure à ouvrir, Pascale Breton, La Presse, 16 mai 2005.) Certaines statistiques indiquent que 3000 médecins diplômés à l’étranger ne peuvent pas exercer dans la Belle Province (Source : Médecins d’Ailleurs, 2008).
Le gouvernement libéral du Québec qui revendique sa proactivité dans l’épineux dossier des médecins étrangers se justifie souvent par le fait que l’évaluation des compétences des médecins diplômés hors Canada et États-Unis tout comme la question des résidences ne ressortent pas de ses compétences.
Nous sommes d’avis que les professionnels médicaux doivent répondre à toutes les exigences demandées par toute personne voulant exercer une profession réglementée quelle que soit son origine. La question n’est pas d’abaisser les standards d’admission à l’ordre professionnel mais plus de les assouplir en tenant compte de la pénurie de personnel dans le domaine médical.
La réalité sur le terrain démontre que le Collège des médecins du Québec ainsi que les facultés de médecine ne facilitent pas l’intégration des médecins étrangers. Dès lors, il devient urgent de mettre en place une stratégie de solution globale prenant en compte tous les aspects de la problématique d’insertion des médecins diplômés hors du Canada et des États-Unis. Il est temps que la situation change pour l’intérêt de toute la population québécoise.
Vous désirez commenter cet article? dousow@yahoo.fr
*Ce texte fait partie d’une série de 20 articles publiés sur le sujet des difficultés d’intégration des médecins diplômés à l’étranger (MDE).

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Doudou Sow26 articles

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Sociologue de formation, spécialisé en Travail et organisations, l’auteur
est actuellement conseiller en emploi pour le projet Mentorat
Québec-Pluriel au Carrefour jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé
(Montréal-Nord).





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    27 novembre 2010

    Avec le scandale des pots de vin révélé par le journal La Gazette du 27 novembre( des patients qui soudoient des médecins pour se faire opérer dans des délais raisonnables) ,le système de santé québécois vient encore de traverser une grave crise. Une médecine à deux vitesses qui taxe la maladie plutôt que de se soucier du bien-être de la population.Le ministre de la santé, Yves Bolduc, qui est juge et partie devra démissionner pour son manque de leadership.