La parole légère de Maxime Bernier

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Mad Max est avant tout un libertarien obsédé par le libre-marché : la question identitaire lui est étrangère


En psychanalyse freudienne, le lapsus linguae traduit l’émergence d’un désir refoulé aux dépens de celui qui le prononce. Il manifeste une sorte d’intention inconsciente, comme si son auteur trahissait quelque peu sa propre pensée.


Quand Maxime Bernier, en entrevue dans les bureaux de L’actualité à Montréal, s’est pris pour le chef du Parti conservateur — « Je suis le même Maxime Bernier, chef du Parti conservateur… euh… chef du Parti populaire », il s’agissait d’un lapsus un brin révélateur. Il a souri, s’est repris. Mais ce n’était pas son premier lapsus de la journée.


Un peu plus tôt, le chef populaire était de passage à l’émission Midi-Info de Radio-Canada. À une question de Madeleine Blais-Morin sur l’avortement, il a répondu avoir toujours voté « en faveur des pro-vie ». Il fallait bien sûr y déceler une erreur de langage et comprendre qu’il avait toujours voté « pour les pro-choix », et donc toujours voté contre toute forme de restriction du droit à l’avortement.


Ce jour-là, on a même eu droit à un troisième lapsus. Durant l’entretien à L’actualité, Maxime Bernier a évoqué les débats télévisés à venir ainsi que les chefs avec lesquels il va croiser le fer. Vint alors le moment de parler du chef du NPD. Là, une grande hésitation, puis le nom du leader néodémocrate prononcé péniblement: « Monsieur Singh là… Jagming ». Plutôt inélégant.


S’il ne faut pas accorder une importance démesurée aux lapsus de Maxime Bernier, ni à ceux des autres politiciens (on se souvient par exemple de Justin Trudeau lançant un « mon amour » à Gilles Duceppe lors du débat de 2015!), ils témoignent quand même d’une certaine désinvolture dans la manière de communiquer du chef du PPC, dans sa façon de tweeter ou d’appréhender certaines vérités.


Imprévisible, Maxime Bernier semble peu préoccupé par la responsabilité de la parole qui vient avec le rôle qu’il occupe dans le débat public, celui d’un politicien aux commandes d’un parti pancanadien dans un pays du G7. Le fait d’aspirer à devenir premier ministre ne semble pas l’avoir fait changer d’un iota. Il peut toujours se montrer indélicat, comme quand il s’attaque à la jeune militante environnementaliste Greta Thunberg ou à ses adversaires politiques.


Sa présence aux débats, les 7 et 10 octobre, pourrait toutefois changer les choses. Maxime Bernier fera alors face à un paradoxe : le temps de deux débats, il va se retrouver à côté des autres leaders sur le plateau d’un média national qu’il conspue à longueur de temps. Il va quitter la marge dans laquelle sa parole trouve son confort et sa chambre d’écho pour se rapprocher de la parole « dominante » qu’il n’hésite pas à critiquer. De quoi lui donner envie d’adoucir son discours? Rien n’est moins sûr.


C’est sur les enjeux climatiques que la parole de Maxime Bernier se montre la plus insaisissable. Le leader conservateur refuse d’être considéré comme un climatosceptique, mais avance constamment des arguments qui vont en ce sens. En matière d’environnement, Maxime Bernier dit tout et son contraire. Surtout son contraire.


Parmi les arguments classiques du leader du PPC que le Détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse a passé au crible, on retrouve « Al Gore qui nous disait déjà il y a 10 ans que certaines villes américaines allaient disparaître et elles n’ont toujours pas disparu »; « il faut baser les politiques publiques sur la raison et les faits »; un scientifique lui servant de caution, « le cofondateur de Greenpeace, Patrick Moore » (qui en fait n’a jamais fondé Greenpeace, ne publie pas de recherches et vit surtout de ses activités de lobbyiste rémunéré depuis 30 ans par différentes industries, en particulier le nucléaire, l’exploitation minière et forestière); ou encore, la soi-disant absence de consensus de la communauté scientifique (97 % des recherches publiées par des experts sur le climat confirment la théorie du réchauffement climatique causé par l’homme selon l’étude de l’historienne des sciences de l’Université Harvard, Naomi Oreskes). La liste est longue.


Interrogé sur l’incohérence de son discours en matière d’environnement, Maxime Bernier se garde bien de répondre directement à la question. Selon lui, les véritables irresponsables ne sont tout simplement pas là où on les attend. « Les discours alarmistes sur le climat? C’est irresponsable. On fait peur aux gens. L’adolescente Greta qui dit aux jeunes de faire la grève pour le climat? C’est irresponsable. Si on ne fait rien, c’est supposé être la fin du monde? C’est un discours irresponsable auprès des jeunes », déplore-t-il, préférant jeter l’opprobre sur ses adversaires. Justin Trudeau et Andrew Scheer sont à ses yeux des « hypocrites » et des « malhonnêtes », qui « mentent » à la population en faisant des promesses environnementales qu’il juge irréalistes. Pour lui, les vrais irresponsables, ce sont eux. Qu’ils parlent d’environnement, d’économie ou d’immigration.



« Je devrais être en faveur de la lutte contre les changements climatiques si j’étais opportuniste, non? »



« Singh? Il a dit que je ne devrais pas être au débat parce que je tenais des propos haineux. Des propos haineux, quand on parle de baisse d’immigration? C’est de l’hypocrisie! Trudeau? Il prêche une chose et fait le contraire. Après la tragédie de Christchurch, il a fait la leçon à tout le monde. Il a même laissé sous-entendre que comme je demande une baisse de l’immigration, j’ai des affinités avec des suprémacistes blancs! », s’emporte-t-il.


« Tous les partis ont une position sur l’immigration, se justifie le chef populaire. Donc, nous aussi on en a une. Tous les partis, c’est toujours plus plus plus plus. La diversité au maximum, le multiculturalisme au maximum. Nous, on dit « non, il faut faire une pause ». Ce serait irresponsable de notre part de ne pas avoir de position sur l’immigration. Et si votre question c’est de se demander si je le fais par opportunisme… Je devrais être en faveur de la lutte contre les changements climatiques si j’étais opportuniste, non? »


Et quand on l’accuse de souffler sur les braises, notamment en matière d’immigration et de multiculturalisme, il repousse ces accusations du revers de la main, refusant au passage d’être comparé aux autres leaders populistes, de Marine Le Pen à Donald Trump. « Contrairement à ces partis-là, on n’essaie pas de faire appel à l’émotion des gens. Je fais des rallyes où les gens me disent “ Maxime, je n’aime pas ta plateforme sur l’abolition de l’impôt sur les grands capitaux, ça va juste profiter aux riches “. Si je faisais de la politique basée sur les émotions, je dirais à cette personne : “ oui , tu as raison, les riches, les grosses compagnies, ce n’est pas bon “. Nous on ne fait pas ça. On dit : “ Il faut abolir l’impôt sur les grands capitaux, cela va à l’encontre de la création de richesse”. Il faut plus d’investissements et j’explique pourquoi! On ne fait pas appel à l’émotion, on fait appel à l’intelligence. Et on prône le libre marché. »


Lorsqu’il est arrivé à son entrevue dans les bureaux de L’actualité au centre-ville de Montréal, Maxime Bernier est arrivé élégamment vêtu d’un costume bleu nuit qui mettait parfaitement en valeur sa cravate jaune pâle. Aucun attaché politique autour de lui, aucun directeur de la communication pour contrôler le déroulement de l’entrevue. Maxime Bernier est venu seul, un peu comme un cow-boy solitaire peu soucieux du qu’en-dira-t-on. Un fait particulièrement rare, surtout en campagne électorale.


D’ailleurs, à la différence des autres politiciens, Maxime Bernier n’enregistre pas le contenu des entrevues qu’il accorde. Il n’a pas peur d’être mal cité. Sa parole n’est pas sacrée, elle n’a pas un poids démesuré.


Et c’est tout là le paradoxe de Maxime Bernier : ce qui semble le moins important pour lui, son discours, est aussi sa meilleure arme. Sauf qu’il donne parfois l’impression de ne pas en avoir pleinement conscience, notamment lorsqu’il évoque la relation amour-haine qu’il entretient avec les médias traditionnels.


« Regarde, j’ai fait un tweet hier en ce qui concerne Monsieur Trudeau et son affaire de blackface, j’ai dit que c’était hypocrite : 33 000 likes! Est-ce que les médias en ont parlé? On a parlé dans les médias traditionnels des réactions des autres chefs sur ce qui est arrivé à Monsieur Trudeau. On n’a pas parlé de mon tweet et de ses 33 000 likes et des nombreuses réactions. »


À son grand désarroi, Maxime Bernier se considère ignoré par les médias grands publics et traditionnels à tel point que c’est sur Twitter qu’il est forcé de trouver un peu d’espace médiatique, affichant en entrevue les statistiques de certains de ses tweets pour vanter une popularité qui serait largement sous-estimée. Selon lui, la principale raison de cette mise au ban est ce qu’il nomme la « rectitude politique à l’extrême » qui pollue le débat, et qui fait qu’ultimement, on ne puisse plus s’exprimer librement.


« C’est un fait que notre parti n’est pas couvert comme les autres partis. C’est un fait que les autres leaders ne veulent pas m’avoir au débat parce qu’on pose les vraies questions. Et ils ne veulent pas répondre aux vraies questions. Ils ont peur de faire des vrais débats, explique Maxime Bernier, avant de laisser s’exprimer son mécontentement quant à son absence au débat organisé par le réseau TVA. « Regardez, TVA fait un débat en français et je ne suis même pas invité! Je suis le chef d’un parti national, j’ai un siège au Québec, je participe à des débats nationaux en anglais dans ma propre province et TVA ne m’a pas invité! Allez leur demander pourquoi, moi je ne le sais pas! », s’emporte-t-il.


« Sans nous, les Canadiens n’auraient pas devant eux toutes les options. On est une option sérieuse, crédible. Et oui, on est différents des autres partis politiques!»


Ce positionnement à la marge des médias généralistes et des autres partis nationaux est peut-être la meilleure façon pour Bernier de se faire entendre, son discours comme ses idées trouvant alors une caisse de résonance, notamment sur les réseaux sociaux. Sauf que Maxime Bernier pourrait être tenté lors des débats de changer de position sur certains sujets, afin d’adopter des positions plus responsables dans l’espoir d’engranger plus de voix. Il s’en défend. « Absolument pas. On ne changera pas de position en participant au débat. Pour nous, le débat est une plateforme pour exposer nos idées à plus de Canadiens. Sans nous, les Canadiens n’auraient pas devant eux toutes les options. On est une option sérieuse, crédible. Et oui, on est différents des autres partis politiques!»


Pour le chef du Parti populaire, pas question donc de changer une fois sous les feux des projecteurs. Ce n’est pas le style de la maison. « Je suis le même que quand j’étais député conservateur ou ministre, j’ai déjà tout dit de mes positions. Le Maxime Bernier qui était ministre de l’Industrie et celui qui parle aujourd’hui d’immigration, c’est la même personne! »


Et s’il est battu en Beauce le 21 octobre, est-ce la fin de son parti et de sa carrière? La fin de sa parole, à la fois dérangeante et légère d’insouciance ?


« Le parti continuera d’exister, il est là pour longtemps, dit-il. Le Parti populaire, c’est plus que Maxime Bernier. C’est un mouvement qui vivra au-delà de Maxime Bernier. Et puis, je suis ici pour le long terme. J’ai 56 ans, je suis en pleine forme, c’est mon meilleur temps en politique. J’aime ce que je fais. Je défends des idées. »


***


Avant de le laisser s’en aller après une heure d’entretien, j’ai posé une dernière question à Maxime Bernier. « Vous êtes dans un avion. D’un côté, 300 scientifiques vous disent que la gravité est responsable de la chute de tout corps vers la surface du globe. De l’autre côté, un seul scientifique vous dit que cette théorie est bidon. Sautez-vous sans parachute? »


Ce à quoi Maxime Bernier répond : « Galilée aussi à l’époque était le seul scientifique. Et il se basait sur des faits. Aujourd’hui, tous les scientifiques au monde savent que le principe de gravité existe. Il n’y a pas un scientifique qui va aller contre ça. Mais actuellement, ce ne sont pas tous les scientifiques au monde qui sont d’accord avec le réchauffement climatique. »


Parfois, à écouter Maxime Bernier manier la langue et les arguments, on a l’impression d’un chef qui saute sans parachute.





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