La paix, pas l’OTAN

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L'Allemagne doir revenir à l'Ostpolitik de Willy Brandt

Pour la grande majorité de la population de l’ancienne République fédérale allemande, l’OTAN fut pendant de longues années garante de paix et liberté. L’anticommunisme, attisé par la peur de la Révolution mondiale fomentée par l’USSR, le blocus de Berlin et la construction du mur de Berlin ne laissèrent que peu de place pour réfléchir à des alternatives à l’OTAN. Ce n’est que lorsqu’en 1965 le président des Etats-Unis Lyndon B. Johnson commença à bombarder le Vietnam du Nord et à envoyer de plus en plus de troupes terrestres au Vietnam du Sud, que la discussion sur la politique et les objectifs du pouvoir dirigeant de l’Occident débuta, plus particulièrement dans les universités.


L’infrastructure militaire de l’OTAN, ayant à la base toujours été une structure militaire américaine, impliqua que l’Allemagne, comme les autres Etats membres de l’OTAN, prirent part à toutes les guerres des Etats-Unis. Ceci n’a pas changé jusqu’à ce jour.


Dans son livre «Le grand échiquier – L’Amérique et le reste du monde» Zbigniev Brzezinski, ancien conseiller de sécurité de Jimmy Carter, commente ce fait: «Pour le dire sans détour, l’Europe de l’Ouest et de plus en plus aussi l’Europe centrale restent dans une large mesure un protectorat américain et ces Etats rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires.»


L’opinion prédominante selon laquelle Gerhard Schröder n’aurait pas participé à la guerre contre l’Irak de George W. Bush n’est pas toute la vérité, cette guerre ayant aussi été menée depuis les installations militaires en Allemagne. Si Saddam Hussein avait disposé de missiles de plus longue portée, il aurait été en droit d’attaquer des installations américaines, telle que la base aérienne de Ramstein.


Lorsque dans les années 1980 le mouvement de paix s’opposa à la prolifération de missiles nucléaires à l’Est comme à l’Ouest, des incitations à quitter les infrastructures militaires de l’OTAN devinrent populaires. Entre temps, la participation de l’Allemagne à la guerre en Afghanistan et l’élargissement de l’OTAN vers l’Est – une des raisons fondamentales de la crise actuelle en Ukraine – préoccupent même une partie des politiciens du milieu conservatif car la question se pose de savoir si le fait de continuer à faire partie de l’OTAN n’est pas un danger grandissant pour la sécurité de la République fédérale allemande. La prétendue guerre contre le terrorisme des Etats-Unis est, selon l’analyse pertinente de Jürgen Todenhöfer, ancien député CDU au Bundestag, un «dressage au terrorisme» augmentant le danger d’attaques terroristes en Allemagne.


L’ancien chancelier fédéral Helmut Schmidt articulait déjà en 2007: «Le danger pour la paix dans le monde émane beaucoup moins de la Russie que des Etats-Unis.?(!) Même si l’hégémonie américaine perdurera encore un certain temps, il incombe aux nations européennes de sauvegarder leur dignité.?(!) La dignité implique le maintien de notre responsabilité devant notre propre conscience.»

Le 13 décembre 2014, lors de la démonstration «Friedenswinter» [«l’hiver de la paix»] à Berlin devant le bâtiment administratif de la présidence fédérale, le théologien Eugen Drewermann a déclaré: «L’OTAN est l’alliance la plus agressive de tous les temps.»


Donc: la paix, pas l’OTAN!


Mais qu’en sera-t-il si, comme le Pacte de Varsovie, l’OTAN est dissoute? «Die Linke» [la gauche allemande] sait que le changement d’alliances militaires n’est pas une condition suffisante pour garantir la paix. La politique extérieure est, et a toujours été, un combat pour les matières premières et pour les marchés. Tous les discours édulcorants sur les droits de l’homme, la démocratie et une économie du marché libre n’y changeront rien. La célèbre phrase de Jean Jaurès «Le capitalisme porte en soi la guerre comme le nuage la pluie» a souvent été confirmée au cours de ces dernières décennies.


Parce que la lutte pour les matières premières et le marché libre est aussi militaire, comme l’ont démontré les guerres en Irak, en Afghanistan et en Libye, le pape François en arrive au verdict suivant: «Je le répète, nous vivons la troisième guerre mondiale, mais fragmentée. Il existe des systèmes économiques qui doivent faire la guerre pour survivre. Alors on fabrique et on vend des armes.»


Etant donné que même pour «Die Linke» le capitalisme et la démocratie sont incompatibles, elle sait que pour la construction d’une société démocratique, un autre ordre économique est une condition absolue. Un autre ordre économique et démocratique transformerait également la structure actuelle du pouvoir dans le monde, dans lequel l’hégémonie globale des Etats-Unis a une dimension jamais atteinte jusqu’à ce jour.


Il est intéressant de constater que cette approche politique pour assurer la paix préconisée par «Die Linke» est également partagée par les purs et durs de la politique américaine. Dans son livre évoqué ci avant, Brzezinski écrit: «Une véritable démocratie populaire n’a encore jamais accédé à la suprématie internationale. La quête de la puissance et, en particulier, le coût économique et les sacrifices humains que l’exercice d’un tel pouvoir exige ne sont généralement pas compatibles avec l’instinct démocratique. La démocratisation va à l’encontre de la poussée impérialiste.»


C’est la même pensée qu’Emmanuel Kant a déjà formulée dans son «Essai philosophique sur la paix perpétuelle». Il y exige pour tous les Etats une Constitution républicaine, par laquelle il incomberait aux citoyens de décider de la guerre ou de la paix. Ils devraient décider eux-mêmes «s’ils veulent être exposés aux calamités de la guerre ou non». Placé dans le contexte actuel, cela revient à dire que nous n’aurions pas participé à la guerre en Afghanistan si la population avait pu voter ou si les politiciens et les journalistes approuvant ces guerres d’intervention avaient eux-mêmes été exposés aux calamités de la guerre en Afghanistan.


Le développement d’une société réellement démocratique, c’est-à-dire d’un ordre économique qui empêche la concentration de pouvoir résultant de gros fonds, parce qu’elle laisse ces fonds à ceux qui la génèrent par leur travail; elle est et reste la condition pour un monde structurellement pacifique.


«Die Linke» ne peut cependant pas s’arrêter à ce constat. A notre époque aussi, avec les structures contextuelles de la société et du pouvoir, il faut apporter des réponses. Et là, une éventuelle participation de «Die Linke» au gouvernement fédéral se fait jour.


Les médias dominants et les partis du système, tels le SPD et les Verts, considèrent que la volonté de «Die Linke» de participer aux guerres interventionnistes est un prérequis pour une participation au gouvernement. Si cette condition est maintenue, une coalition rouge-rouge-verte est exclue.


Le harcèlement sans fin des dernières années a insécurisé certains élus de «Die Linke» et les a poussés à tenir des propos irritants. Bien que l’interdiction de l’exportation d’armes ait été une promesse centrale de la dernière campagne électorale pour le Bundestag, quelques membres de «Die Linke» ont exigé des livraisons d’armes aux Kurdes pour combattre l’EI. Celui qui brise une promesse électorale décisive se comporte comme les partis du système et contribue à augmenter l’abstentionnisme électoral de la population.


L’erreur politique majeure de cette proposition, est que l’exigence de livrer des armes aux Kurdes revient à se soumettre à la logique belliciste de l’impérialisme étatsunien. C’est un secret de polichinelle que la politique américaine convoite les puits de pétrole dans la région kurde et qu’avec la déstabilisation de la région du Proche-Orient elle vise des structures politiques garantissant une exploitation de ces gisements pétrolifères par des grandes entreprises occidentales.


La tentative entreprise par quelques membres du parti «Die Linke» de biffer du programme électoral pour les élections européennes l’exigence du retrait de l’Allemagne des infrastructures militaires de l’OTAN, c’est-à-dire des Etats-Unis, est du même gabarit. Il a échappé aux personnes ayant fait cette proposition qu’ils plaident ainsi pour le maintien des infrastructures américaines sur le territoire allemand, d’où est guidée la guerre des drones américains provoquant des milliers de morts.


Au cours de ces prochaines années, il est primordial que «Die Linke» ne laisse planer aucun doute concernant le prérequis pour sa participation à un gouvernement fédéral, c’est-à-dire une politique extérieure qui se soustrait à toute escalade militaire causée par l’impérialisme américain.


Dans son programme fondamental, «Die Linke» exige la transformation de l’OTAN en une alliance de défense collective avec la participation de la Russie. Donc opposition à un élargissement unilatéral de l’OTAN vers l’Est. Celui-ci est un manquement à la parole donnée par l’Occident et a conduit à la crise actuelle en Ukraine. Les exigences résultant de ce concept de sécurité, surmontant les structures de la guerre froide et longtemps soutenues également par le SPD, sont les suivantes:


1. La politique de Mme Merkel envers la Russie doit être remplacée par une politique orientale de détente s’orientant à la judicieuse politique extérieure de Willy Brandt.

2. Un gouvernement auquel participe «Die Linke» n’admettra jamais l’adhésion de l’Ukraine ou d’un autre Etat limitrophe de la Russie à l’OTAN.

3. Un gouvernement auquel participe «Die Linke» n’admettra jamais le stationnement de troupes de l’OTAN à la frontière occidentale de la Russie.


En outre, nos conditions restent les mêmes. La Bundeswehr ne doit pas participer à des engagements bellicistes à l’étranger et les exportations d’armes dans des régions en crise doivent être immédiatement stoppées.


Il va de soi que ce catalogue d’exigences peut être complété. Ainsi faudra-t-il commencer à mettre en place un Corps Willy-Brandt pour l’aide en cas de catastrophes et pour la lutte contre les maladies. Néanmoins, il reste décisif qu’une participation de «Die Linke» au gouvernement fédéral n’est envisageable que si la politique extérieure de l’Allemagne – suite aux mésaventures en Afghanistan, en Ukraine et en Europe – est soumise à une réorientation fondamentale.


Oskar Lafontaine, Allemagne, 8/1/2015


Horizons et debats | N° 2, 26 janvier 2015

Article original : www.jungewelt.de/2015/01-08/021.php (Traduction Horizons et débats)


Source: http://horizons-et-debats.ch/index.php?id=4498



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