Tenter de lire la politique saoudienne dans le marc de café est plutôt hasardeux. La nomination de Mohammed bin Salman comme prince héritier d’Arabie Saoudite et futur roi de l’Arabie fait la jubilation de Moscou et la laisse plutôt dubitative.
Le prince héritier que le roi Salman a écarté, Mohammed bin Nayef, avait occupé le poste de ministre de l’Intérieur de l’Arabie Saoudite sans interruption depuis 2012 et a des années d’expérience dans le travail de renseignement. MBN est normalement considéré comme le plus pro-américain de la direction saoudienne. En février, Mike Pompeo a fait sa première tournée à l’étranger en tant que chef de la CIA à Riyad pour décerner la médaille George Tenet à MBN en reconnaissance de son « excellent travail de renseignement dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et sa contribution tout azimut à la sécurité mondiale et à la paix ». ( Al Jazeera )
Maintenant, quatre mois plus tard, le roi Salman a écarté MBN et l’a remplacé par son fils en qui il a confiance. Etrange, non?
L’agence de presse de l’Etat russe TASS a publié un article dans les heures qui ont suivi la nomination de MBS, citant une opinion d’expert, disant que le nouveau prince héritier peut être « prêt à parvenir à des compromis sur les questions régionales complexes – les crises en Syrie et au Yémen » Le rapport TASS a fait l’éloge de la « politique de MBS fondée sur une vue à long terme en créant un dialogue basé sur la confiance avec les autorités russes, en particulier avec le président Vladimir Poutine » ; cette politique a porté les relations saoudo-russes « à un niveau sans précédent au cours des dernières années », et conduisent à un partenariat qui « ouvre la porte à la résolution des conflits au Moyen-Orient « .
En effet, MBS est une figure familière pour le Kremlin. Il a visité la Russie quatre fois au cours de ces deux dernières années pour rencontrer Poutine. Un analyste de Moscou à l’agence de presse russe Spoutnik a écrit mercredi:
- Le fait qu’il ait été décidé que Mohammed bin Salman sera le prochain roi d’Arabie Saoudite – à condition bien sûr qu’aucun événement « cygne noir » ne lui retire cette position – représente une excellente nouvelle pour la Russie et la Chine en raison des relations de travail très productives que chacun a établies avec le nouveau prince héritier … ils comprennent simplement le potentiel de transformations positives du personnage … La Russie et la Chine espèrent voir leurs propres intérêts promus si Mohammed bin Salman devient le prochain roi saoudien.
Qu’est-ce qui qui explique ces grandes attentes ? Le pétrole, tout simplement. La coopération énergétique saoudo-russe a considérablement transformé les relations entre les deux pays. La décision de l’OPEP de réduire la production de pétrole a été une initiative commune saoudo-russe visant à équilibrer l’offre et la demande sur le marché du pétrole pour maintenir le prix stable à environ 50 $ par baril.
Mais, cette convergence d’intérêts signifie également contrer le profil d’exportateur d’énergie des Etats-Unis dont l’importance s’accroit rapidement. L’industrie de schiste des Etats-Unis est en mesure de stimuler la production pour tirer parti du prix du pétrole en créant une surabondance dans l’approvisionnement du pétrole. Par conséquent, l’Arabie Saoudite et la Russie espèrent renforcer le cartel pétrolier. Que la Russie devienne membre de l’OPEP n’est pas à exclure. Cette stratégie de coopération pétrolière pourrait prendre une dimension stratégique si une intégration peut être réalisée entre l’OPEP et le Forum des pays exportateurs de gaz, le grand projet étant qu’un méga cartel peut bloquer un rôle perturbateur des Etats-Unis sur le marché mondial.
C’est un jeu à gros enjeux, compte tenu du contexte complexe de l’introduction en bourse d’Aramco, qui devrait avoir lieu l’année prochaine. MBS espère que l’introduction en bourse amènera les premières injections de capital dans un gigantesque fonds souverain qui pourrait fournir les bases pour son projet ambitieux appelé Vision 2030, projet de développement à long terme par lequel il espère transformer l’Arabie Saoudite en une économie diversifiée et efficace et moderniser le pays.
Sans surprise, l’évaluation de MBS de l’introduction en bourse à 2 trillions $ est contestée par les analystes occidentaux. Un rapport de Reuters jeudi a estimé que si le prix du pétrole reste où il est maintenant, à environ 50 $ par baril, Aramco vaudrait moins de 1,1 billion $. De toute évidence, la pression occidentale est mise en place pour maintenir les prix du pétrole à un niveau bas pour obliger MBS à vendre les actions Aramco à prix réduit.
Pendant ce temps, l’administration Trump fait des démarches pour sécuriser l’introduction en bourse d’Aramco, la plus grande de l’histoire pour la Bourse de New York. Mais l’Arabie Saoudite ne s’engage pas à cause du malaise dû aux lois des États-Unis qui permettent aux victimes des attaques du 9/11 de poursuivre en justice le gouvernement saoudien. En définitive, l’autonomie stratégique de l’Arabie Saoudite (c’est à dire MBS) est sérieusement remise en cause. (Voir le commentaire sur le prix du pétrole intitulé Why Is Saudi Arabia Desperate For Higher Oil Prices? )
Par conséquent, des questions se poseront sur le fait que mardi le Département d’Etat ait choisi de son propre chef de faire une déclaration coïncidant avec le décret royal nommant MBS comme prince héritier, jetant le discrédit sur la position saoudienne dans le bras de fer avec le Qatar qui porte l’empreinte de MBS. Le porte-parole du département d’Etat Heather Nauert a laissé entendre que les Etats-Unis « auront à intervenir dans une sorte de rôle formel de médiation » et, ce qui est surprenant, il a continué en faisant fortement référence à l’implication passée de l’Arabie Saoudite dans le terrorisme – « soit par le financement du terrorisme soit par d’autres moyens » – et en ne faisant pas assez pour lutter contre le terrorisme.
Le pronostic des analystes russes est le suivant : étant donné l’attraction de MBS vers la multipolarité dans la politique pétrolière, il pourrait affronter des vents contraires dans sa tentative de succéder à son père. Le contrôle du marché mondial du pétrole a été un thème stratégique de la guerre froide et il ne peut en être autrement dans une nouvelle guerre froide.
Les stratèges américains estiment depuis le milieu des années quarante que maintenir « un contrôle substantiel du monde » par le contrôle du pétrole du Moyen-Orient doit être « l’un des plus grands prix matériels dans l’histoire du monde » – pour citer un mémorandum de 1945 du Département d’Etat au président Harry Truman. En termes simples, la montée du nationalisme saoudien est la dernière chose que Washington souhaite, au moment où il espère faire un jeu de massacre dans la privatisation d’Aramco. C’est que, Aramco est un État dans l’État de l’Arabie Saoudite.
M K Bhadrakumar
Source : http://blogs.rediff.com/mkbhadrakumar/2017/06/24/surge-of-saudi-nationalism-hurts-us-interests/
Traduction : Avic – Réseau International
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