La remarque faite par le porte-parole de la milice kurde syrienne samedi selon laquelle leur assaut final sur la ville de Raqqa, la « capitale » de Daech débutera « dans les prochains jours » met en évidence la lutte féroce qui se joue pour le contrôle de l’Est de la Syrie limitrophe de l’Irak. Daech se dirige vers la défaite et la question est maintenant de savoir ce qui se passera par la suite.
La grande question est de savoir si la Syrie survivra ou sera balkanisée. Le président russe Vladimir Poutine a soulevé cette triste réalité quand il a déclaré vendredi,
«Le démembrement possible de la Syrie doit-il susciter l’inquiétude ? Oui, certainement. Nous sommes en train de mettre en place en ce moment des zones de désescalade et nous craignons que ces zones de désescalade deviennent un plan directeur pour de futures frontières. La Russie espère que ces zones de sécurité servent à interagir avec le gouvernement de Assad, pour commencer au moins une sorte de dialogue, une certaine interaction, puisque cela contribuerait à la coopération politique future afin de rétablir le contrôle de la Syrie sur tout son territoire et préserver l’intégrité territoriale du pays.»
Bien sûr, il y a le danger que la guerre syrienne puisse devenir un « conflit gelé ». La clé, est donc de prendre le contrôle des postes frontaliers de l’Irak avec la Syrie au milieu d’immenses terres désertiques à travers lesquelles l’Iran apporte une aide vitale aux forces gouvernementales et au Hezbollah et les combattants chiites qui luttent contre les insurgés et Daech.
Comme le montre la carte ici, les régions frontalières syro-irakienne sont en grande partie sous le contrôle soit des combattants kurdes et d’autres insurgés soutenus par les Etats-Unis, soit de Daech et d’autres groupes extrémistes. Le gouvernement syrien aspire à reprendre le contrôle de ces régions.
Pour l’essentiel, la lutte est pour le contrôle des postes frontaliers qui sont représentés sur la carte. De toute évidence, le passage de la frontière en haut dans le nord est sous le contrôle de la milice kurde et il reste à voir (a) si les Etats-Unis permettront aux Kurdes d’arriver à un accord avec Damas; (b) si la Turquie permettra aux Kurdes de consolider leur emprise dans cette région; (c) si les forces gouvernementales trop dispersées s’en prendront aux Kurdes ou au contraire, vont considérer comme tactiquement plus prudent d’éviter un accrochage à ce moment et garder les options ouvertes, pour à terme, négocier un accord de partage du pouvoir avec les Kurdes .
À la différence du front nord, les fronts du centre et du sud sont âprement disputée. Comme le montre la carte, il y a un poste frontalier au front du centre à Al-Bukamal (où l’Euphrate entre en Irak), et un autre poste frontalier clé à Al-Tanf dans le front sud.
Dans le front central, les forces de Bachar Al-Assad sont à Palmyre et se dirigent vers Deir Ez-Zor où une garnison syrienne tient désespérément contre un siège des groupes djihadistes. Les États-Unis semblent encourager les combattants de Daech à Raqqa à évacuer vers Deir Ez-Zor. Mais les frappes de missiles de croisière russe ont récemment ciblé ces convois de Daech. ( Spoutnik ) Les États-Unis préfèrent apparemment que, d’une certaine manière, les forces de Assad soient empêchées d’atteindre Deir Ez-Zor, car à partir de là, elles pourraient prendre le contrôle de la route menant à la frontière à Al-Bukamal. ( Voir la carte ).
De même, dans le front sud, les États-Unis font obstacle à l’avance des forces gouvernementales à al-Tanf (qui est relié à Damas), un autre passage de la frontière en Irak. Les Etats-Unis espèrent que les groupes rebelles à al-Tanf prendront également le contrôle du poste frontalier d’Al-Bukamal au nord, de manière à ce que les proxies des États-Unis prennent le contrôle de l’ensemble de la frontière syro-irakienne, ainsi que la région sud de la Syrie à cheval sur la frontière avec la Jordanie et les hauteurs du Golan. Le jeu ici vise essentiellement à couper l’accès de l’Iran au Liban (Hezbollah).
Pourquoi est-il si important pour les Etats-Unis d’empêcher les forces de Assad de prendre le contrôle des postes frontaliers d’Al-Bukamal et d’Al-Tanf ? Pour le dire simplement, le spectre de la réouverture d’une route terrestre Damas-Bagdad-Téhéran est ce qui hante les Etats-Unis (et Israël), parce qu’une telle voie terrestre solide aura un effet multiplicateur sur la capacité de l’Iran à influencer les futurs développements en Syrie (et au Liban).
Les États-Unis ne se sont pas directement impliqués dans la mêlée à ce jour pour prendre le contrôle de la frontière entre la Syrie et l’Irak. Ils persistent à prétendre qu’ils sont étroitement concentrés sur la lutte contre Daech. Cependant, lorsqu’il a semblé que les forces de Assad avançaient vers Al-Tanf récemment (18 mai), les Etats-Unis les ont forcées à faire demi-tour en les bombardant.
L’équilibre global des forces est en faveur du gouvernement syrien et dans un avenir envisageable, il devrait prendre le contrôle de Deir Ez-Zor, Al-Bukamal et Al-Tanf. Ainsi, les Etats-Unis doivent trouver un moyen de se forcer à travailler avec Assad (et l’Iran) plutôt que contre lui. L’autre option sera de supporter les coûts élevés d’une stratégie à long terme, sans fin, d’interventions militaires et d’occupation, qui ne figure pas dans le calcul de la politique étrangère du président Donald Trump. Le meilleur pari américain sera de chercher une sorte d’entente avec la Russie basée sur l’hypothèse que Moscou pourrait ne pas pleinement partager l’agenda dr Assad et son allié iranien. Mais Moscou n’a aucune raison de parier sur un autre cheval que celui sur lequel il l’a fait jusqu’ici, qui se trouve également être un cheval gagnant.
M K Bhadrakumar
Source : http://blogs.rediff.com/mkbhadrakumar/2017/06/04/the-scramble-for-control-of-syrian-iraqi-border/
Traduction : Avic – Réseau International
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