Bannières anglaises

La Loi 101 impuissante

Anglicisation du Québec


par Patrick Lagacé, Caroline Touzin et Émilie Côté

Future Shop. Best Buy. Mountain Equipment Co-op. Payless ShoeSource. Sans contrevenir à la loi, Les magasins au nom anglais pullulent au Québec. Une journée de magasinage au Marché Central à Montréal vous en convaincra. Ça vous dérange? Seule la pression populaire, comme dans le cas d'Esso Les derniers jours, peut renverser la vapeur.
Québec n'a aucun recours face aux entreprises qui refusent de franciser leurs bannières: la loi canadienne sur les marques de commerce est du côté des Payless Shoesource, Pier 1 Imports ou Future Shop. Pour faire reculer les entreprises qui choisissent de ne pas franciser leur bannière, une seule solution, selon la ministre de la Culture du Québec: la pression populaire.
L'Office québécois de la langue française a le pouvoir, en vertu de la loi 101, de forcer les commerces à faire du français la langue prédominante d'affichage. Mais la loi 101 n'a aucune emprise sur les marques de commerce des commerçants, protégées par la convention de Paris sur les marques industrielles, dont le Canada est signataire. La Loi canadienne sur les marques de commerce invoque la convention de Paris.
Bref, si Esso avait voulu baptiser ses dépanneurs Marché Express du nom de On the run, rien ne l'empêchait de le faire. Tout comme Staples Business Depot a choisi, en 1993, d'adopter une bannière française pour le Québec: Bureau en gros.
Multiplication des bannières anglaises
Si vous avez cru remarquer, au cours des dernières années, une anglicisation des bannières, vous n'avez pas rêvé: l'OQLF a aussi constaté le phénomène. «En 2007, nous allons publier des études qui vont quantifier cette anglicisation, dit le porte-parole de l'Office, Gérald Paquette. Mais nous avons constaté une hausse des bannières commerciales anglaises, parmi les 5000 compagnies inscrites à l'OQLF.»
«Légalement, il n'y a rien à faire, a déclaré à La Presse Line Beauchamp, ministre de la Culture du Québec et responsable de l'application de la Charte de la langue française. Les noms de ces compagnies sont des marques de commerce protégées.»
Mme Beauchamp réagissait à la volte-face de l'Impériale Esso, qui a renoncé à l'appellation On the run pour ses dépanneurs québécois. La multiplication des bannières anglaises dans le paysage québécois, recensée par l'Office québécois de la langue française «me dérange, me heurte, comme Québécoise», dit Mme Beauchamp, ajoutant que «c'est comme consommateur qu'on a un pouvoir» sur les chaînes qui choisissent de ne pas franciser leurs bannières. «Comme Québécois, nous avons un devoir de vigilance de tous les instants.» Les Québécois sont-ils assez vigilants? «L'exemple de On the run, croit la ministre, montre que oui.»
Pour illustrer à quel point l'anglais occupe part importante des marquises commerciales, La Presse a choisi le Marché central comme échantillon. Résultat: le tiers des détaillants du métacentre du nord de Montréal ont des noms anglophones, comme Mountain Equipment Coop ou Best Buy. Or, si Athlete's World s'appelle Monde des athlètes au Québec, qu'est-ce qui empêche Future Shop d'adopter, par exemple, le nom Magasin du Futur? «C'est le nom de l'entreprise, dit Thierry Lopez, président des comités de francisation chez Future Shop et Best Buy, qui partagent le même propriétaire. Best Buy, Future Shop: ça passe les frontières. En Chine, nos magasins vont aussi s'appeler Best Buy.»
Même la responsable de la francisation de Mountain Equipment Co-op, qui n'a pas francisé sa bannière, avoue son malaise: «Ça fait peur autant de noms anglophones, dit Louise Abrique. J'ai le même choc matin après matin quand j'arrive au bureau du Marché central.»
L'OQLF tente de convaincre, sans pouvoir de coercition, les entreprises de franciser leurs bannières. «Les gestionnaires invoquent la mondialisation et le besoin d'uniformiser. Nous, on essaie de leur faire valoir le contraire, soit la localisation», dit le porte-parole Gérald Paquette.
Pour Yvon Samson, vice-président de Bureau en gros pour l'est du Canada, adopter une bannière française coûte, en effet, plus cher que de l'uniformiser en anglais. «Mais c'est une question de respect du marché. Nous sommes une compagnie globale, mais on pense local».
Et que penser de entreprises établies au Québec qui anglicisent leurs bannières, comme Aldo Outlet et Jacob Outlet, au Marché central? «Ce sont les premiers à qui nous adressons des reproches! dit M. Paquette, de l'OQLF. On a assez des multinationales qui le font» Chez Jacob et Aldo, personne n'a rappelé La Presse, hier.
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