Analyse

La « laïcité ouverte » vue par Daniel Weinstock

Laïcité — débat québécois

Analyse
Mohamed Pascal Hilout critique la « laïcité ouverte » vue par Daniel Weinstock, conseiller de Bouchard-Taylor
4 Janvier 2008 par Mohamed Pascal Hilout
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Selon Daniel Weinstock, « la laïcité est devenue une manière politiquement correcte de dire des choses méchantes, notamment à l’endroit de la communauté musulmane. Tout d’un coup on se découvre laïque au Québec parce que, essentiellement, on n’aime pas trop les femmes voilées ». Il promeut une forme de « laïcité ouverte » qui risque plutôt, selon Mohamed Pascal Hilout, « de nous enfermer à tout jamais les uns aux autres. »
Nous publions ici un article que le Français Mohamed Pascal Hilout a écrit pour Point de BASCULE. M. Hilout a fondé « le nouvel islam », (http://nouvel-islam.org/resume.php3) « qui est une alternative à l’islam classique tel que nous l’avons hérité de nos ancêtres. Il a comme ambition d’offrir aux musulmans de France et d’Occident de vraies options pour vivre en harmonie avec leur nouvel espace et avec le temps. »
M. Hilout a participé à Paris, en décembre dernier, à une conférence organisée au siège de l’UNESCO sur le thème « Identités, appartenances, diversités - Islam et identité nationale. » Daniel Weinstock, membre du comité d’experts conseillant la Commission Bouchard-Taylor, y a exposé sa vision d’une « laïcité » ouverte dans sa conférence intitulée « Identités et sociétés multiculturelles. ». Mohamed Pascal Hilout participait à cette conférence et nous offre, dans son article, sa réponse à la vision proposée par Daniel Weinstock.
Rappelons que dans son document de consultation, la Commission Bouchard-Taylor indique qu’elle a choisi d’aborder de façon large son mandat d’analyser la question des « accommodements raisonnables reliés aux différences culturelles », et d’ouvrir le débat sur des questions comme l’interculturalisme, l’immigration, la laïcité et la thématique de l’identité québécoise.
Au chapitre de la laïcité, le document de consultation décrit 2 modèles possibles de laïcité, qui influent directement sur les règles du « vivre- ensemble ». Définie en tant que principe de séparation de l’État et de l’Église, la laïcité peut être associée tantôt à la neutralité de l’État face aux diverses religions ou visions du monde, tantôt à une évacuation plus ou moins complète du religieux de l’espace public. On peut vouloir défendre une « laïcité ouverte » ou une « laïcité intégrale ».
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M. Daniel Weinstein, «co-géniteur» d’une laïcité ouverte, par Mohamed Pascal Hilout
Le 8 décembre 2007, j’ai eu grand plaisir à écouter le Québécois Daniel Weinstock qui nous a fait un exposé intitulé « Identités et sociétés multiculturelles ». C’était à Paris, dans le prestigieux siège de l’UNESCO. L’enregistrement audio de son intervention est disponible sous le site Islam & Laïcité, association qui avait organisé une conférence portant justement sur les « Identités, appartenances, diversités - Islam et identité nationale.»
Je ne m’attarderai pas sur les détails de cette séance pour m’intéresser à l’idée de laïcité ouverte dont M. Weinstock se considère, en quelque sorte, comme un «co-géniteur» (cf. son intervention à partir de la 28ème minute).
Voilà comment ce thème est introduit par notre conférencier : « S’il est possible d’entamer maintenant une réflexion philosophiquement sérieuse sur la manière de gérer les accommodements raisonnables, notamment pour des motifs religieux, je crois que la Commission Bouchard Taylor serait bien avisée d’entamer une réflexion sur la laïcité.»
Avant d’esquisser les contours de sa propre conception de la laïcité, M. Weinstock précise que le Canada est un pays qui n’est actuellement ni théocratique ni laïque : « … Ce n’est qu’en 2008 que le Québec n’aura plus d’éducation religieuse professionnelle à l’école ». Il pense qu’aujourd’hui, au Canada, « la notion de laïcité est utilisée notamment dans un contexte anti-islamiste, islamophobe : tout d’un coup on se découvre laïque au Québec parce que, essentiellement, on n’aime pas trop les femmes voilées, parce que, essentiellement, on aime pas trop … (silence - complément d’objet non explicité), la laïcité est devenue une manière politiquement correcte de dire des choses méchantes, notamment à l’endroit de la communauté musulmane… »
« La laïcité pour moi est essentiellement comme le principe de neutralité. Sur les affaires de religion, sur les affaires de différences culturelles, l’Etat doit être scrupuleusement neutre. On peut voir cette exigence de deux manières : une manière française, une manière qu’on caricature souvent comme étant la manière française,… c’est comme un principe catégorique : quand vous occupez une position officielle, dans un espace officiel, pas de croix, pas de kippa, pas de voile, pas de quoi que ce soit…. Moi je verrais plutôt une laïcité ouverte qui pousserait pour une neutralité que je verrais comme étant un essaim institutionnel. Alors on peut se poser la question suivante : qu’est ce qui produit l’effet de neutralité le plus important ? Une société dans laquelle la neutralité de principe telle que je viens de la décrire est pratiquée, mais qui exclue potentiellement de postes officiels des individus dont les obligations religieuses les forcent à porter le voile, la kippa, la croix ou tout ce que vous voulez ? Ou bien une société qui dit « écoutez, dans la mesure où vous faites votre travail de manière neutre, dans la mesure où rien dans ce que vous faites ne trahit une obédience particulière, portez ce que vous voulez » ?
«Ce qui fait que, par exemple, notre fonction publique pourrait être plus représentative de ce qui est véritablement la société, que ne le serait une société laïque plutôt sur le mode « principiel », qui bloquerait à l’entrée des individus dont les obligations religieuses, encoure une fois, les obligeraient à porter tel ou tel signe religieux. Je crois que pour des raisons aussi bien philosophiques que pratiques, il est peut être de mise, d’étudier au moins la possibilité d’instituer une forme de laïcité donc plus ouverte…»
Reconnaissons d’abord à M. Weinstock le mérite d’être absolument clair dans l’exposé de ses idées : s’il opte pour une « laïcité ouverte », c’est parce qu’il considère qu’une laïcité à la française « bloquerait à l’entrée des individus … », autrement dit, il considère que la laïcité française est fermée. Mais sait-il qu’en France un débat contradictoire a déjà eu lieu sur le même sujet ?
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Même Jean Baubérot [a], historien français
de la laïcité, soupçonné d’être adepte d’une laïcité ouverte, nous met en garde : « une laïcité ouverte peut se trouver happée par les religions (ou tout autre doctrine) jkauxquelles elle s’ouvre » Voir son article du 15 janvier 2005, consacré, justement, au sujet qui nous préoccupe : Laïcité ouverte ? http://jeanbauberotlaicite.blogspirit.com/archive/2005/01/15/laicite_ouverte.html.
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Il me semble que M. Weinstock serait bien avisé de considérer que les religions sont intimement liées à une certaine conception de la communauté qu’elles ont vite fait de transformer en peuple. On ne peut oublier que les religions ont aussi été fondatrices de nations, donc de « légitimités » et d’autorités, non seulement spirituelles et célestes, mais aussi platement terrestres. En tant que Français musulman, je suis toujours atterré de constater que beaucoup de mes coreligionnaires établis en Europe (certains depuis des générations) se définissent avant tout comme musulmans, se rattachant beaucoup plus à la oumma (nation) musulmane qu’aux pays d’asile politique ou d’émigration économique, dont ils devraient se considérer comme citoyens.[b]
En tant que citoyen canadien et membre de la communauté juive, M. Weinstock sait très bien combien il a été problématique pour le «peuple juif» de toujours se considérer en diaspora ou d’être relégué à ce statut peu enviable. Je crois que les religions ont toujours eu comme objectif déclaré de « séparer le bon grain de l’ivraie ». Nous devons nous avouer que le judaïsme, dont M. Weinstock a hérité, et que l’islam, dont j’ai hérité, ont la fâcheuse capacité de bien ficeler les individus dans un solide cocon de soie clanique et communautaire, fait de prescriptions contraignantes, d’interdits divers et variés, s’immisçant dans ce que contient mon sandwich ou mon assiette, y compris à la cantine scolaire et dans les réceptions où je suis invité, dans ce que contient mon verre, dans mes relations matrimoniales, dans mes carrés sépulcraux qu’il me faut choisir à part ou à l’écart, dans mes signes voyants et particuliers d’appartenance, le marquage dans ma chair qui me lie à tout jamais à la confrérie des circoncis… tout cela dans une belle chaleur filiale, festive et liturgique faite d’attachement maladif à la langue des patriarches aussi étrangers pour nous autres que Mathusalem. En somme, il s’agit là de mécanismes religieux qui s’inscrivent dans le corps, l’espace et le temps pour nous enraciner dans un ailleurs spatio-temporel mythique : à Jérusalem d’avant les Romains et à la Mecque et Médine du VIIe siècle. En un mot, à force d’être attachantes, les religions juive et musulmane finissent par être collantes et handicapantes pour les individus que nous sommes.
Comme je l’ai expliqué à M. Weinstock et à son audience de l’UNESCO, le voile de ma sœur musulmane crie à tous ceux qui ont un peu de cœur pour l’entendre, qu’elle est réservée aux musulmans et aux convertis bien circoncis. Les voiles sont, à n’en pas douter, des cloisons ambulantes, si elles ne sont pas carrément hideuses et dégradantes (voiles intégraux). Le vivre- ensemble (j’insiste sur ensemble) dans ce cas est forcément très difficile, si ce n’est impossible. A moins que M. Weinstock ne se voile la face, son concept de « laïcité ouverte » risque de se révéler résolument promoteur d’un laisser aller, d’un laisser vivre à côté, à part ou carrément à l’écart. Ceci n’est pas un projet d’avenir, nullement souhaitable pour un Canada ou pour tout autre pays libre, accueillant et ouvert. En émigrant au Canada, beaucoup de musulmans, et surtout de musulmanes, espéraient pouvoir ainsi échapper à l’emprise religieuse de leurs sociétés d’origine. Leurs espoirs risquent d’être trahis par l’attitude faussement libérale de M. Weinstock qui conférerait une légitimité, une visibilité et donc un poids prépondérant aux tenants des ficelles à soie dont se drapent certaines minorités visibles et très actives.
Pour initier une réelle fusion humaniste au sein de nouvelles nations faites, non seulement de liberté, mais aussi d’une réelle ouverture sur les autres, nous autres juifs et musulmans, nous devons remettre en question et renoncer à ce qui est séparatiste, clanique et communautariste dans les prescriptions de nos deux religions sœurs puisées aux mêmes sources de nos patriarches communs. Nous devons tous œuvrer, main dans la main, pour abattre définitivement les cloisons et les murs de nos propres ghettos ancestraux ! Je n’ai pas honte à dire qu’il y a deux mille ans, deux cousins très célèbres nous ont un peu donné l’exemple : Jésus et Saül (alias St Paul).
* Jean Baubérot est professeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris. Il a été le seul membre de la Commission Stasi à refuser une législation interdisant l’affichage ostentatoire de signes religieux à l’école publique française.
* Un sondage du Pew Global Attitudes Project révélait en juin 2006 que 81% des musulmans sondés se considéraient « avant tout comme musulmans » et seulement 7% « avant tout comme citoyens d’Angleterre ». (69% resp. 3% en Espagne, 66% resp. 13% en Allemagne et 46% resp. 42% en France). Heureusement que c’est au pays de la LAÏCITE que les musulmans se considèrent à 42% comme citoyens français. Malgré cela, l’identification à l’Europe pose donc de sérieux problèmes à mes coreligionnaires.

Squared

Mohamed Pascal Hilout1 article

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M. Hilout a fondé « le nouvel islam », « qui est une alternative à l’islam classique tel que nous l’avons hérité de nos ancêtres. Il a comme ambition d’offrir aux musulmans de France et d’Occident de vraies options pour vivre en harmonie avec leur nouvel espace et avec le temps. »





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