Les 165 contributions (jusqu’ici) en réponse à l’article de Benoit Renaud intitulé « Port de signes religieux - Québec solidaire ose aller à contre-courant » (ci-dessous) montrent la complexité du débat sur la laïcité. Mais également, elles révèlent le niveau d’émotivité que peut générer un tel débat. Apostrophes, dénonciations de tout genre, persiflages accompagnent malheureusement trop souvent les opinions exprimées.
Cette complexité se révèle dans le fait que ce débat manifeste des convergences de forces sociales qui, sur d’autres terrains, se rangent habituellement dans des camps opposés. En clair, le débat divise des forces progressistes et de gauche, forces qu’il faut unifier pour qu’elles puissent se battre ensemble contre leur ennemi commun. Il serait désastreux de vouloir balayer ce débat sous le tapis sous prétexte de combats plus urgents. Le retour du refoulé, on ne peut en douter se ferait rapidement. Derrière la passion qui anime et mine ce débat, il y a des convergences dans la gauche qu’il faut préciser pour bien établir l’ampleur des débats.
Avec tout ce qui est véhiculé sur Québec solidaire à propos de la laïcité, face à toutes les positions qu’on lui attribue, il est dans un premier temps nécessaire, pour revenir aux faits, de rappeler ce qui a été adopté.
Qu’a donc adopté Québec solidaire sur la laïcité ?
Dans les débats récents sur les positions de Québec solidaire concernant la laïcité, on a prêté bien des positions et beaucoup d’intentions à QS. Nous rappelons ici les positions réellement adoptées à son dernier congrès.
Décision1 : Nous voulons vivre dans un Québec laïque qui consacre la séparation des institutions religieuse et de l’État. Ainsi Québec solidaire propose un modèle de laïcité conçu comme la combinaison de la neutralité des institutions publiques sur le plan des croyances (incluant le scepticisme et l’incroyance) avec la liberté pour l’individu d’exprimer ses propres convictions, dans un contexte favorisant l’échange et le dialogue. Le processus de laïcisation des institutions du Québec n’est toujours pas terminé. L’avancement de ce processus dépend autant d’une politique d’état claire que d’une volonté de l’ensemble de la société d’établir sans concession et de façon définitive la neutralité de l’État sur le plan de la religion. L’État étant laïque, les signes religieux ne sont pas admis dans les institutions publiques.
Décision 2 : C’est l’État qui est laïque, pas les individus. Le port de signes religieux est accepté pour les usagers et usagères des services offerts par l’État. En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instruments de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. Le port de signes religieux peut également être restreint s’ils entravent l’exercice de la fonction ou contreviennent à des normes de sécurité.
Décision 3 : Mettre en dépôt cette question (la proposition sur le non financement des écoles confessionnelles ou de toute activité religieuse) jusqu’à un débat plus vaste lors d’un congrès à venir sur l’éducation ainsi que sur les politiques de subventions de l’État.
Voilà les seules propositions qui ont été adoptées. Comme on peut le déduire, le débat reste à poursuivre au sein de Québec solidaire et une vaste majorité des membres sont tout à fait à l’aise avec cette perspective. Le temps est à la poursuite de la discussion, pas à claquer les portes.
Un champ de convergences qu’il faut délimiter
La laïcité est essentielle à toute société démocratique. La neutralité de l’État face aux différentes religions et convictions y compris le droit de ne pas croire, la séparation de l’État et des religions donc la lutte contre toute domination de la religion sur l’État et le respect de la liberté de pensée et de religion sont les dimensions essentielles de la laïcité. Les membres de Québec solidaire semblent partager la compréhension que la laïcité s’inscrit dans trois espaces : l’espace privé de l’individu et de la famille, l’espace social de la société civile et l’espace sociale civique de l’État. La religion ne relève pas seulement de l’espace privée. La laïcité reconnaît également le droit de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement dans l’espace public. Cette convergence signifie que la laïcité n’impose ni les renoncement des usagers et des usagères des institutions publiques à l’expression de leurs convictions ni leur restriction au seul espace privé. Aucune proposition allant dans le sens de restreindre le droit d’expression convictions religieuses ou philosophiques des usagers et usagères dans la sphère publique n’a été présenté dans le cadre du débat à Québec solidaire. C’est une position laïque qui refuse la logique qui a présidé à l’adoption de la loi qui interdisait le port du voile par les élèves dans les écoles françaises en 2004. Cette convergence est importante.
Le champ des divergences qu’il faut baliser
La divergence s’inscrit dans le cadre de l’espace civique de l’État. La question n’est pas celle de la neutralité des institutions, mais bien celle des conditions rendant effectives tant la neutralité que la séparation entre les institutions et la religion. Pour nombre important de membres de Québec solidaire, adopter la proposition suivante relève d’une rupture certaine avec orientation conséquemment laïque . « …En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers et dernières peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instruments de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. Le port de signes religieux peut également être restreint s’ils entravent l’exercice de la fonction ou contreviennent à des normes de sécurité. » En fait, ce que dit la proposition de Québec solidaire au-delà de la justification sociale, c’est que le port de signes religieux par les fonctionnaires ne constitue pas en soi un instrument de prosélytisme et qu’il peut s’inscrire dans le respect du devoir de réserve. Ce qu’elle dit c’est qu’il ne faut pas juger sur les seuls signes mais sur les comportements effectifs. Comme l’écrit Micheline Milot : « La neutralité de l’État se concrétise dans l’impartialité de l’exercice de la fonction et de la justification des décisions rendues…. La majorité des adhésions à diverses convictions est inapparente, ce qui ne signifie pas que celles-ci n’interfèrent pas dans le service assuré par la personne qui y adhère et même qu’elles ne soient pas offensantes à l’égard d’autrui. La liberté d’expression se verrait limitée de manière importante pour motif de nocivité présumée d’un objet ou d’un tissu qui affecterait inéluctablement le jugement de la personne qui le porte. Cela pourrait équivaloir, en droit, au refus de la présomption d’innocence, tandis que la personne dont les convictions ne sont pas visibles jouit d’une sorte de sauf conduit selon lequel ses décisions sont présumées neutres. » (Micheline Milot, La laïcité, p. 100)
La laïcité, fondement de la tolérance citoyenne
La laïcité est au fondement de la tolérance citoyenne, elle ne doit pas être un instrument d’une ethnicisation de la citoyenneté. Elle ne doit pas reprendre à son compte le discours sur l’insécurité identitaire. Ce sont les luttes pour l’égalité effective des conditions sociales de toutes les composantes de la population qui sera l’axe porteur de l’intégration. L’appel au ralliement de valeurs communes si ces dernières ne sont pas le résultats de combats communs pour une véritable égalité sociale restera complètement improductive. Ce n’est surtout pas la lutte pour une invisibilisation des membres des cultures minoritaires qui permettront à ces derniers d’être partie prenante d’une véritable citoyenneté. Leur intégration dans la citoyenne passe par l’égalité sociale, économique et politique.
Il faut cesser de se payer de mots
L’égalité des hommes et des femmes au Québec est loin d’être une réalité, c’est l’objet d’un combat encore à mener. Il faut arrêter de viser le patriarcat des minorités culturelles comme le seul et unique danger du maintien de l’oppression des femmes alors que le patriarcat se porte malheureusement encore très bien dans la majorité évitant ainsi d’examiner les voies des alliances nécessaires. La laïcité de l’État au Québec est loin d’être réalisée alors que une partie importante de la jeunesse se retrouve dans des écoles privées confessionnelles subventionnées par l’État, que le maintien de symboles religieux catholiques dans les institutions publique est justifié par des prétentions patrimoniales. La décision du gouvernement Charest de laisser suspendue une croix dans la salle de l’Assemblée nationale est éloquente à cet égard. Où est le signe qui signifiera l’appartenance des non-chrétiens et des athé-e-s à la société québécoise ?
La lutte pour la laïcité est une axe du combat pour une intégration citoyenne véritable. Elle ne peut se cantonner dans la défense d’un universalisme abstrait et à reprendre des prétentions sur des valeurs qui le plus souvent servent à masquer la réalité. En somme, il s’agit plutôt de réduire les écarts entre égalité citoyenne proclamée et la réalité des inégalités et des discriminations. Il s’agit de refuser de stigmatiser des populations entières et de montrer que ce sont des luttes sociales concrètes qui peuvent fournir le creuset efficace d’un partage mutuel et d’une véritable transformation des mœurs, sources concrètes de nouvelles solidarités.
La laïcité
Des débats productifs exigent l’écoute, l’échange et le refus de l’invective !
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