PROJET DE LOI C-51

La justice secrète

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La publicité est l’âme de la justice

Le renforcement de la confiance citoyenne envers le système de justice repose sur l’assise de la primauté du droit, laquelle est assurée par la publicité des débats judiciaires. Voilà pourquoi les procédures criminelles ont toujours lieu en audience publique. Cette obligation procédurale est le reflet du principe constitutionnel de la transparence judiciaire.

Selon Jeremy Bentham, philosophe et jurisconsulte, « la publicité est l’âme de la justice ». Lorsqu’un secret relatif à la sécurité nationale égare la justice, la démocratie a mauvaise mine. Exceptionnellement, une cour peut siéger à huis clos, si le juge suppute que cette mesure est justifiée par la moralité publique, le maintien de l’ordre ou de la bonne administration de la justice. Il peut aussi agir ainsi pour éviter toute atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. L’ensemble ou quelques membres du public peuvent alors être exclus de la cour, pour tout ou partie de l’audience.

Certes, la démocratie ne peut exiger des opérateurs du pouvoir exécutif de toujours agir ouvertement dans leur prise de décision, ce qui pourrait être source d’inefficacité. Par contre, rien n’empêche la méfiance des secrets d’État. Ceux-ci peuvent dissimuler des ressorts inavouables, des conflits d’intérêts et des turpitudes. La salubrité publique exige que la presse joue un rôle de questionnement.

Dans une affaire de terrorisme, bien qu’ils soient les yeux et les oreilles du public, les journalistes pourraient possiblement être exclus de la salle d’audience, au motif que la sécurité nationale est en cause. En l’état actuel du droit, la décision relève principalement du juge, ce qui n’empêche nullement celui-ci de consulter les parties.

Équilibre délicat

Voilà que le gouvernement Harper, dans le projet de loi C-51 (Loi antiterroriste de 2015), propose de reconnaître au poursuivant ou à un témoin une posture proactive en matière de huis clos. Autrement dit, de sa propre initiative, le juge pourrait rendre une ordonnance de huis clos ; il pourrait également le faire « sur demande du poursuivant ou d’un témoin ».

Serait-ce une façon d’amoindrir le rôle du juge et de rehausser celui du poursuivant et des témoins à charge ? Veut-on refaire l’équilibre — au profit de l’État — entre le droit au procès équitable et l’exigence sécuritaire ? À ce jour, les ministres Peter MacKay (Justice) et Steven Blaney (Sécurité publique) sont demeurés silencieux quant à la raison d’être de cette modification. Le fardeau de la preuve leur incombe.

Le législateur reconnaît déjà que la préservation de certains renseignements peut écorner l’équité procédurale. En certaines circonstances, le juge peut rendre les ordonnances requises pour garantir à l’inculpé la tenue d’un juste procès. Cette compétence réparatrice peut entraîner l’abandon d’une inculpation, sa modification, voire l’arrêt des procédures.

L’intérêt public exige parfois qu’un secret d’État ne soit pas dévoilé. Ainsi, la loi actuelle prévoit qu’un ministre ou un fonctionnaire peut s’opposer à la divulgation de renseignements qu’il considère comme étant d’intérêt public. Il appartient au tribunal d’apprécier les informations litigieuses et de statuer en conséquence.

Quoi qu’il en soit, une grille d’analyse établie par la Cour suprême s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats. Une ordonnance de huis clos ne doit être rendue que s’il est nécessaire d’écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables. De plus, les effets bénéfiques d’un huis clos doivent être plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public.

Au final, le juge doit soupeser les effets d’une ordonnance d’exception sur le droit à la libre expression, le droit de l’accusé au procès public et équitable et sur l’efficacité de l’administration de la justice. Quelle que soit l’intention gouvernementale à propos de la modification proposée en matière de huis clos, la magistrature restera vigilante.


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