La honte

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Le Québec n’a pas l’ombre d’une politique mémorielle digne de ce nom

La visite de François Hollande qui s’est achevée mercredi à Montréal devait être la première depuis des lustres où la guerre diplomatique entre Paris, Québec et Ottawa serait mise de côté. Il faut en effet remonter loin dans l’histoire pour trouver des gouvernements québécois et fédéral qui sont à ce point au même diapason. Mais, chassez le naturel et il revient au galop.

Certes, durant cette visite de trois jours, il n’y eut pas de frictions diplomatiques. Mais il fallait beaucoup de naïveté pour penser qu’un président français ne saisirait pas au vol la polémique sur le pont Champlain. Pas besoin de transformer Champlain en saint, comme certains sont en train de le faire, pour savoir qu’il fut le héros et le fondateur de la Nouvelle-France. Il ne fait donc aucun doute que le rappel, à deux reprises, par François Hollande de son importance dans l’histoire n’est pas un hasard. Ce serait mal connaître la place qu’occupe la mémoire historique dans un pays comme France et la connaissance fine qu’on a du Québec à l’Élysée.

On remarquera d’ailleurs que François Hollande a poussé la perspicacité jusqu’à reprendre les mots mêmes qui furent ceux du gouvernement fédéral lors du 400e anniversaire de Québec. Tentant de s’approprier le personnage, Ottawa avait alors qualifié Champlain de « premier gouverneur général du Canada ». Une formule aussi ridicule sur le plan historique que si l’on qualifiait William Johnston de dernier « gouverneur de la Nouvelle-France ». Mais, passons. Chose certaine, si François Hollande n’est pas le plus grand président de la Ve République, c’est un fin diplomate qui manie les mots avec justesse.

Mais le plus surprenant dans cette affaire, c’est la manière dont notre classe politique fait mine de la considérer comme une simple maladresse politique. Comme si ce n’était pas le dernier épisode d’une longue série visant à occulter une partie de la mémoire historique des Québécois. Qu’on en juge.

Plusieurs années avant le 400e anniversaire de Québec (2008), le gouvernement de Jean Chrétien avait tout fait pour faire de l’ombre à ces célébrations. Il avait imaginé pour cela une grande rencontre internationale rassemblant la France, le Canada et les États-Unis à Port-Royal (en Nouvelle-Écosse), soudainement rebaptisé berceau de l’Amérique française. Fondé par Champlain trois ans avant Québec, Port-Royal ne fut pourtant jamais un lieu de peuplement permanent.

Le projet échoua à cause de la conjoncture internationale. On tenta alors de gommer autant que possible l’aspect historique du 400e anniversaire de Québec. D’abord en évitant d’y associer des historiens. Ensuite, en poussant l’absurde dans ses derniers retranchements : célébrer l’Amérique française en invitant le Britannique Paul McCartney sur les Plaines, fallait quand même le faire !

Le scandale faillit se répéter en 2009, à l’occasion du 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham. Les organisateurs tentèrent de transformer l’événement en grande foire de la reconstitution avec un bal masqué en prime. Comme s’il y avait quelque chose à fêter dans cette défaite qui marque de manière tragique la naissance des Canadiens (français).

L’offensive ne devait pas s’arrêter là. En 2013, au lieu de commémorer le traité de Paris cédant le Canada à l’Angleterre, à coups de millions, le gouvernement fédéral sortit un nouveau lapin de son chapeau : la Guerre canado-américaine de 1812-1815. L’événement avait beau être pratiquement inconnu (et controversé chez les historiens), il était jugé plus « rassembleur ». Depuis deux ans, le gouvernement fédéral a tout fait pour que le traité de Paris ne vienne pas au Canada. L’ancien Musée des civilisations a refusé d’accueillir à Ottawa la copie anglaise pourtant exposée à Boston. Plus récemment, Ottawa a tenté en vain de bloquer la venue au Musée de la civilisation de Québec de l’original français. Grâce à la France, le traité y a finalement été exposé le mois dernier, mais avec un an de retard. Dernier épisode en date, le 18 octobre dernier, le gouverneur général David Johnston ne s’est-il pas permis d’intervenir comme s’il était un simple universitaire dans le programme des délibérations scientifiques d’un colloque portant sur la Conférence de Québec ?

Et l’on nous dira après cela que le projet de débaptiser le pont Champlain est un simple accident de parcours ! Il faut se rendre à l’évidence. Depuis au moins 20 ans, Ottawa poursuit une politique mémorielle qui vise à effacer des pans entiers de la mémoire historique des Québécois. Il s’agit d’y substituer une mémoire canadienne dans laquelle celle du Québec devrait se dissoudre. Pendant ce temps, le Québec n’a pas l’ombre d’une politique mémorielle comme il en existe dans toutes les nations dignes de ce nom. Au mieux, il improvise, quand il ne regarde pas l’eau couler sous le… pont Champlain. Cette semaine, il n’était pas difficile de choisir qui, entre François Hollande et Philippe Couillard, a le mieux défendu la mémoire historique des Québécois. Il y a des moments comme ça où l’on peut avoir honte de ses représentants.


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