La guerre

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Kouchner va-t-en-guerre

Sarkozy me fait penser à ces personnages de dessins animés qui, arrivés au bout de la falaise, continuent à courir dans le vide. Ce qui conduit à se poser deux questions : est-on encore loin du bout ? Qui entraînera-t-il dans sa chute ?
« Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre/On le sait bien/On n’aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire/On dit : c’est le destin.../Tant pis pour le Sud... » S’il a cherché à se faire remarquer, dimanche dernier, Bernard Kouchner a réussi son coup.
Interrogé lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI, le ministre étranger aux Affaires a redit toute l’inquiétude que lui inspirait la situation en Iran et l’urgence qu’il y avait, à ses yeux, à contrer le régime des mollahs dans sa marche vers la maîtrise du nucléaire. L’échange vaut d’être vu [1]. « Il faut se préparer au pire », lâche Kouchner (l’air de l’homme qui en sait plus long qu’il ne veut bien dire). Nicolas Beytoux : « Et c’est quoi le pire ? » B. K. (l’air de s’adresser à un débile) : « Mais le pire, c’est la guerre, monsieur ! » N. B. (sec) : « Oui, et on se prépare comment ? » B. K. (petit rire supérieur) : « D’abord en préparant des plans qui sont l’apanage des états-majors [...] et en proposant que des sanctions plus efficaces soient éventuellement mises au point. » Nous sommes donc prévenus, par la bouche d’un homme qui nous aurait déjà volontiers fourrés dans le pétrin en Irak s’il n’en avait tenu qu’à lui : dans le secret de nos états-majors (entendez : Paris-Washington-Londres-Tel-Aviv) se concoctent des plans d’attaque contre l’Iran ; et, en attendant d’être fin prêts, les mêmes (plus l’ONU, on espère bien sa caution) vont agiter les menaces de sanctions propres à flanquer la trouille au plus téméraire des barbus.
Grotesque ? La posture du matamore du Quai d’Orsay, assurément. Le propos est pourtant à prendre en compte : il exprime celui de son maître, Sarko l’Américain ; lequel traduit celui du sien, George Dubbleyou.
DANS LA PANIÈRE
C’est qu’il faudrait être aveugle pour ne pas voir ce qui se prépare : tout simplement la réédition du scénario qui, en 2003, a conduit au bombardement puis à l’invasion de l’Irak, avec les brillants résultats qu’on sait ; soit une intense préparation psychologique de l’opinion mondiale, avec ce qu’il faut de mensonges et de leurres pour lui faire accepter, au final, l’intervention armée.
« Il faut se préparer au pire... » La France de Sarkozy et Kouchner tiendra cette fois toute sa place au côté du grand allié-ami, avec qui nous nous sommes bien heureusement réconciliés. Tournée, une bonne fois, la page du chiraco-villepinisme, ce donquichottisme ridicule hérité du gaullisme, avec sa prétention à faire entendre sa différence, à se démarquer de la ligne de l’Empire : ce manichéisme au parfum de croisade, ces exhortations à porter le fer dans le camp du Mal, à mener jusqu’au bout la guerre au Terrorisme au nom de la Civilisation ­ la nôtre, la blanche, chrétienne, occidentale ; la seule qui vaille. Les propos bravaches de Kouchner sont l’écho fidèle de ceux du président bling-bling, qui avait déjà fait sursauter lors de son discours devant les ambassadeurs de France réunis fin août : la France officielle est aujourd’hui en pointe dans la défense et illustration de la politique impériale bushienne ; et, paradoxalement, au moment même où le départ de Tony Blair redonne un peu d’air à une diplomatie britannique semblant vouloir prendre quelque distance avec un président américain discrédité. La place est libre de caniche à Bush : voyez-les, la queue frétillante, qui se précipitent dans la panière. Sous les applaudissements de la claque de nos néo-cons médiatiques, eux aussi de plus en plus décomplexés (il faut avoir entendu, sur Inter, un Val aboyer aux chausses de Chomsky ; ou un Adler, sur France Culture, traiter Villepin de munichois, l’injure suprême pour ces gens-là, pour mesurer comme ils tiennent le haut du pavé...) [2].
Dominique de Villepin qui, il faut bien le constater (ce dimanche soir aussi sur France 5, à « Ripostes »), est le seul à tenir un discours d’opposition audible.
LA FUITE EN AVANT
Ces rodomontades sarko-kouchnériennes ne seraient pas suffisantes pour qu’on s’en émeuve outre mesure s’il n’y avait un contexte qui leur donne quelque consistance.
À commencer par la situation d’un président des États-Unis d’Amérique en fin de mandat, largement discrédité à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, ayant empêtré son pays dans une guerre dont on ne voit pas l’issue, mais persistant dans l’erreur avec une obstination qui confine à la débilité mentale : évoque-t-on le Vietnam à propos de l’Irak (on l’évoque de plus en plus souvent...) que George Dubbleyou regrette, non que son pays s’y soit jadis enlisé, mais au contraire qu’il ait alors fait preuve de faiblesse en ne se donnant pas les moyens de gagner la guerre (quels moyens avaient donc manqué, hors la frappe nucléaire, on se le demande) ! Et le même Dubbleyou d’enchaîner sur les risques d’holocauste que l’Iran fait courir au monde, et donc la nécessité de mettre ce pays voyou hors d’état de nuire.
Certains disent que la situation irakienne est telle qu’elle interdit aux États-Unis de se lancer dans un nouveau conflit ; on peut aussi soutenir le contraire, la thèse de la fuite en avant : c’est parce qu’il ne sait comment se dépêtrer du merdier irakien que Bush peut être tenté d’ouvrir un nouveau front en espérant détourner l’attention et faire oublier ses impérities antérieures (on se garderait bien cette fois de risquer un troufion au sol, tout devant se régler par des bombardements intensifs, y compris nucléaires). À l’appui de cette thèse, et de l’imminence du danger, aussi bien l’affaire du B-52 qui a survolé le territoire américain en portant des missiles à ogives nucléaires sous ses ailes (« erreur », dit la thèse officielle ; mais bien des observateurs font remarquer que ce bombardier s’est posé à Barksdale, en Louisiane, base opérationnelle utilisée pour les bombardements sur l’Irak en 1996, 1998 et 2003, et que l’« erreur » n’en est peut-être pas une, mais bel et bien un épisode des préparatifs de bombardements de l’Iran avec des armes nucléaires tactiques), que la mystérieuse expédition aérienne récente de l’aviation israélienne en Syrie (destruction de charges nucléaires en provenance de Corée du Nord ?), l’ensemble de ces faits, rumeurs, déclarations finissant par créer, admettons-le, un inquiétant bruit de fond.
Bush junior est comme Nicolas de Neuilly-Bocsa : le genre de type qui n’hésite pas à courir dans le vide.
DRôLE D’ÉPOQUE
Car (et j’en reviens à mon propos initial), ne supportant pas qu’on détecte dans son parcours une légère baisse de régime, le président bling-bling a décidé d’accélérer encore la cadence.
La croissance n’atteindra pas, aux dires de tous les experts, les 2,5 % sur lesquels il comptait ? Qu’à cela ne tienne, il ira « la chercher » (avec les dents ? Au fond des chiottes ?) et elle sera, mesdames et messieurs, pas de 1,8, pas de 2, pas de 2,2, ni même de 2,5 mais de 3 %, qu’on se le dise ! (la Cour : « Ah, comme il est volontaire ! ») ; le nombre d’immigrés sans papiers reste trop élevé, on va le soupçonner de laxisme ! Il engueule son housard fidèle, le couperosé auvergnat, qui lui-même convoque les préfets et exige des résultats (la Cour : « Ah, comme il sait être ferme ! ») ; nos partenaires européens commencent à en avoir ras-le-bol de son activisme effréné (et la chancelière se plaint de ses mains baladeuses !), critiquent de plus en plus fermement sa politique économique qui creuse les déficits : il contre-attaque en fustigeant la Banque européenne et en remontant les bretelles du Premier ministre luxembourgeois (la Cour : « Ah, qu’il est offensif ! »), etc. Il court, continue d’occuper tout le terrain, discourt de tout, fait la leçon aux architectes, aux flics, aux banquiers, aux patrons, aux syndicats : et la semaine en cours est annoncée comme décisive.
Ça passe ou ça casse.
Pendant ce temps, la gauche se cherche. Elle erre sur les tréteaux, de colloque en fête de L’Huma, telle Soubise, une lanterne à la main. Elle publie beaucoup, règle ses comptes. Elle cherche à remobiliser ses troupes égaillées, parle d’union, de renouveau, de refondation, de reconstruction, que sais-je encore ? Tant de discours, entendus tant de fois.
Sarkozy court. La Cour s’esbaudit. Le bourgeois prospère. Le prolo en bave. L’étranger tremble et souffre. La société du spectacle déroule ses fastes, que deux de ses grands clowns [3] viennent de quitter définitivement, aussi différents l’un de l’autre que possible, mais que l’on pleure tour à tour et pareillement, à pleines pages, à gros bouillons. Drôle d’époque.
Ce bloc-notes s’interrompt cette semaine pour un mois. Je vous retrouve fin octobre.
Notes
[1] On le trouve sur le Net, par exemple sur Daily Motion.
[2] Au même moment, du reste, comme dans une mise en scène bien orchestrée, un certain Morin, qui se dit ministre de la défense d’en rire, suggère tout bonnement de renoncer à notre autonomie militaire (toute relative) et de réintégrer la direction militaire de l’Otan, dont de Gaulle nous a sortis.
[3] Jacques Martin et ­ nettement plus happy few ­ Jean-François Bizot.
[4] On le trouve sur le Net, par exemple sur Daily Motion.
[5] Au même moment, du reste, comme dans une mise en scène bien orchestrée, un certain Morin, qui se dit ministre de la défense d’en rire, suggère tout bonnement de renoncer à notre autonomie militaire (toute relative) et de réintégrer la direction militaire de l’Otan, dont de Gaulle nous a sortis.
[6] Jacques Martin et ­ nettement plus happy few ­ Jean-François Bizot.


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