Commission Charbonneau

La GRC joue les trouble-fête

Catania


Brian Myles - Les travaux de la commission Charbonneau seront sérieusement perturbés si la Gendarmerie royale du Canada (GRC) réussit à garder secrète la preuve qu'elle a accumulée contre la mafia dans l'opération Colisée.
C'est du moins ce qu'a laissé entendre le procureur en chef de la Commission, Sylvain Lussier, hier au terme d'un bref débat en Cour supérieure. Me Lussier s'est dit surpris par le refus de la GRC de partager le fruit de son enquête magistrale sur l'ancien parrain de la mafia à Montréal, feu Nicolo Rizzuto, et ses principaux associés. «Ça retarde nos travaux, nous avons un échéancier serré. Et nous perdons du temps avec ce genre d'exercice», a-t-il dit.
Interrogé sur les écueils potentiels qui guettent la Commission dans l'éventualité où la justice lui refuserait l'accès à cette preuve, Me Lussier est resté coi. La question a semblé embarrasser ses adjoints, Claude Chartrand, Denis Gallant et Sonia LeBel. À l'évidence, l'équipe restreinte de la commission Charbonneau, formée de quatre procureurs et de cinq enquêteurs de police, sera prise au dépourvu si elle n'a pas accès à la preuve de l'opération Colisée.
Formée en octobre dernier, la commission Charbonneau dispose d'un mandat très large pour examiner à la fois la collusion et la corruption dans l'octroi et la gestion des contrats publics dans la construction, l'infiltration du crime organisé sur les chantiers et le financement occulte des partis politiques. La juge France Charbonneau doit livrer son rapport final au plus tard le 19 octobre 2013. Elle compte faire une déclaration d'ouverture en mai prochain. Les premiers témoins doivent être entendus en septembre.
Me Lussier a d'ailleurs rappelé à la juge Guylène Beaugé que le temps presse. La Commission a envoyé le 11 janvier dernier une citation à comparaître au responsable des enquêtes criminelles de la GRC au Québec, Gaétan Courchesne, afin d'obtenir «tout document ou enregistrement obtenu, requis, saisi, préparé, produit, révisé relatif au projet Colisée pouvant s'avérer pertinent à l'exécution du mandat de la Commission».
La GRC a présenté vendredi dernier une requête en Cour supérieure pour forcer l'annulation de cette citation à comparaître. Lors d'une première audience, hier, devant la juge Beaugé, les deux parties ont convenu de reporter le débat sur le fond au 18 avril prochain. «Il y a des principes, des lois qui interdisent la divulgation de certains éléments du dossier de la GRC», a brièvement commenté Claude Joyal, avocat de la GRC et du Procureur général du Canada.
Dans sa requête, la GRC évoque plusieurs arguments de taille pour refuser la transmission des renseignements recherchés. La commission Charbonneau, de compétence provinciale, ne peut pas contraindre un représentant de la police fédérale à témoigner ou à produire des documents. La GRC ne veut pas nuire à ses enquêtes en cours, et elle cherche aussi à préserver ses méthodes d'enquête et l'anonymat de ses informateurs.
Des négociations à l'amiable pourraient cependant déboucher sur un compromis. «On aura des échanges, je ne peux pas anticiper les résultats. On va espérer que ce sera fructueux», a ajouté Me Joyal.
L'importance de Colisée
L'opération Colisée, menée avec l'aide des enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Sûreté du Québec (SQ), a permis à la GRC de porter un coup fatal au clan Rizzuto en 2006. Pas moins de 73 personnes avaient été arrêtées, dont le parrain et ses principaux associés (Francesco Arcadi, Paolo Renda, Rocco Sollecito, Francesco Del Balso et Lorenzo Giordano), principalement pour gangstérisme, trafic de drogue, bookmaking et corruption de fonctionnaires fédéraux.
La filature, l'écoute électronique et la surveillance vidéo ont permis aux enquêteurs de mieux comprendre l'étendue des liens entre la mafia et l'industrie de la construction. L'entrepreneur bien connu Frank Catania a notamment été filmé en présence de Nicolo Rizzuto, qui comptait son argent sous ses yeux. Des membres du clan Rizzuto ont aussi été surpris en train de discuter de la possibilité d'offrir un cadeau à M. Catania pour sa retraite. Aucune accusation n'a été portée contre M. Catania. Son fils Paolo dirige aujourd'hui l'entreprise.
Dans la même veine, un sergent de la GRC, Lorie MacDougall, avait déclaré lors d'un procès sur le blanchiment d'argent par la mafia, tenu en Italie en 2010, que des entrepreneurs devaient payer une commission de 5 % au clan Rizzuto en échange de son influence pour obtenir des contrats publics au Québec.
L'opération Colisée regorge d'informations semblables sur les liens allégués entre la mafia et l'industrie de la construction. La GRC ne s'y est guère attardée dans son enquête à huit volets, mais il s'agit du principal sujet d'intérêt de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction.


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