La France majuscule

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«France ne peut être la France sans grandeur» - Gal de Gaulle

Les Français ont bien des congés à leur calendrier, mais le 14 juillet n’est pas un jour férié comme les autres. C’est leur grand-messe républicaine, dont le point d’orgue est le défilé militaire sur les Champs-Élysées. C’est à voir au moins une fois dans sa vie. Il était donc naturel que, l’été dernier, au terme d’une année passée en France, j’y emmène mes enfants, ma femme et nos amis québécois en visite.

Pour bien réussir son 14 juillet, il faut un marchepied, un escabeau et un périscope. C’est à cause de la foule, monstrueuse. Si on n’arrive pas deux heures d’avance, on sera relégué à la septième, la treizième ou la vingtième rangée. L’escabeau, j’avais. Le marchepied aussi. N’ayant trouvé aucun périscope dans les commerces, je me suis résolu à en fabriquer un avec une boîte et deux miroirs de poche. Mes filles, qui ne sont pas en reste, l’ont enrubanné avec du papier bleu-blanc-rouge.

Le matin du défilé, j’avais l’air un peu fou dans le métro avec mon périscope bleu-blanc-rouge qui dépassait du sac à dos et mon escabeau sur l’épaule. J’ai eu l’air moins fou quand, étant arrivés en retard, nous avons pu déployer notre escabeau à la 20e rangée pour regarder défiler la troupe et les engins par-dessus la foule entre les branches de platanes.

Si vous avez un marchepied, un escabeau et un périscope, vous pouvez même vous payer le luxe d’arriver en retard. Vous pourrez ainsi observer à loisir le défilé aérien, qui précède le défilé terrestre, depuis les rues environnantes sans avoir à maudire les platanes. Les Rafales, les Mirages, les hélicoptères d’attaque, tout y passe, même l’avion du président.

Petit à-côté intéressant que nous avons découvert après le défilé alors que nous prenions un verre à l’un des cafés flottants près du pont Alexandre III : les hélicos militaires passent en rase-mottes au-dessus de la Seine et viennent se poser devant les Invalides pour la visite du public. Si vous avez de la chance, vous pourrez même observer peinard les démonstrations de paras suspendus aux hélicos par des filins et qui se balancent au-dessus de la Seine.

L’esprit français

Outre l’orgie de matériel et de soldats, le défilé du 14 juillet révèle un certain nombre de pulsions réprimées que même des pacifistes déclarés comme ma femme et nos amis québécois éprouvent, à commencer par une fascination d’enfant pour les engins de guerre et le respect absolu devant l’étalement de la force brute. Au fond, le défilé du 14 juillet, c’est aussi la célébration d’une Machine qui a dompté la Bête. Chaque État a ce pouvoir essentiel : celui de pouvoir contenir et libérer la violence la plus absolue. Les Français ont ceci de particulier d’en célébrer la démonstration une fois l’an, le 14 juillet, aux Champs-Élysées.

C’est le 14 juillet — ou à l’occasion d’événements graves comme les massacres de Charlie Hebdo en janvier dernier — que l’on prend la pleine mesure de l’esprit français : leur petit côté « yahoo-même-pas-peur », certes, mais surtout un sentiment qu’ils éprouvent dans leurs tripes. Les Français sont « citoyens », un mot qu’ils prennent très au sérieux dans tous ses sens de devoirs envers un objet que nous connaissons mal : la République.

Dans cette chronique, qui porte sur la francophonie au sens le plus large, il m’arrive souvent de critiquer les Français pour ce qu’ils font de travers. C’est parce que la France a toujours été et demeure le plus gros morceau de cette francophonie des nations dont elle est encore le vaisseau amiral. J’irais même jusqu’à dire que parmi la demi-douzaine de bonnes raisons qui expliquent la survie du fait français en Amérique, il y a que notre langue est aussi celle de la France.

Les Français ont du coeur et ils ont à coeur ce qu’ils sont — même quand ils ne sont pas d’accord entre eux et malgré la sinistrose qui les traverse depuis quelques années. Les Français ont construit l’une des principales puissances économiques du monde, l’une des puissances militaires les plus respectées, une puissance diplomatique qui a peu d’égales et une puissance géopolitique indéniable, encore capable de se projeter sur des morceaux de continents dans trois océans.

La France n’est pas un pays ordinaire : elle est même extraordinaire, parce qu’elle est porteuse de sens très au-delà de sa population. La France est une nation d’exception, qui a ce privilège très rare de « signifier » quelque chose pour l’ensemble de l’humanité. Son drapeau est l’un des plus reconnaissables qui soient. Son hymne national est l’un des plus connus sur le globe. En tant que francophones, nous participons de sa langue et de sa culture, qui constituent l’un des principaux espaces géoculturels mondialisés, et qui continuent de susciter une demande tous azimuts par-delà ses locuteurs naturels.

C’est cette France-là, la France majuscule, que célèbrent les Français le 14 juillet, et nous à travers eux. Alors, disons-le sans ironie : vive la France !


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