«C'est le fonctionnement lui-même qui est pervers, et non les dysfonctions. Ce n'est pas la corruption qui est perverse, c'est l'ordre, et la corruption est une façon de le pousser au pire, jusqu'à la parodie» Jean Baudrillard
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Les scandales financiers ont été nombreux à éclater au grand jour cette année. Tant et si bien que les acteurs de ces crimes occupent aujourd'hui une place quasi quotidienne dans les grands médias. Dans les journaux, on a vu les têtes de Vincent Lacroix, Bernard Madoff et Earl Jones dix fois plutôt qu'une au cours des derniers mois. Ils sont nos «escrocs», nos «criminels».
Ils sont ceux qui empêchent le bon fonctionnement du marché financier. On les pointe du doigt, accusés qu'ils sont d'avoir dilapidé les fonds de retraite de centaines de travailleurs privés d'épargne au terme d'une vie de labeur.
Débat passionné s'il en est un, certains citoyens floués étant allés jusqu'à proférer des menaces de mort. Et si ces fraudeurs n'étaient réalité que de simples financiers, malhonnêtes certes, qui ont poussé jusqu'à la parodie les règles d'un système qui est le nôtre? Et si les «bons épargnants» n'étaient pas aussi purs qu'on le croit?
La figure manichéenne bons/méchants mise spontanément de l'avant pour expliquer ces histoires de fraudes cache trop habilement sa fonction: celle de légitimiser l'ordre actuel et ses perversions. Car le système économique et politique qui est le nôtre, on le sait, n'est pas exempt de malversations, de pillages et d'exploitations.
D'autres perversions
Que dire des compagnies minières canadiennes qui exploitent et pillent main-d'oeuvre et ressources naturelles en Afrique, tel que l'a dénoncé le Noir Canada d'Alain Deneault? Que dire de nos forêts communes qui ont été (et sont toujours) dévastées de manière organisée par le privé, soutenu par le gouvernement provincial? Des immigrants ou sans-papier exploités dans le cadre de travaux «au noir» parfois réalisés pour nos compagnies agricoles ou textiles québécoises? Du jeune Omar Khadr dont les tortures sont tacitement approuvées par le gouvernement du Canada, qui réitère son refus de lui venir en aide?
Que dire de l'annonce en pleine «crise économique» du plafonnement des salaires des présidents de compagnie à 500 000 $US, du moins celles financées par l'État américain? C'est par ailleurs au sein de ce même régime économique (le nôtre) que les étudiants paient au-delà de leurs moyens pour faire des études universitaires. Que la majorité de la population mondiale vit sous le seuil de la pauvreté.
Blancs comme neige?
Si les scandales Madoff, Jones et Lacroix font couler tant d'encre et soulèvent de manière si efficace la hargne populaire, c'est qu'ils portent le temps d'un procès le fardeau de toute une société, qu'on la dise québécoise, canadienne ou occidentale. Nous, les bons citoyens, gentils actionnaires de compagnies d'armement, consommateurs de produits d'exploitation chinoise, sommes-nous blancs comme neige? Certes non.
Nous nous disons volontiers pauvres victimes flouées lorsque nous perdons notre mise, mais autrement nous nous empressons d'ignorer dans quel jardin notre argent par magie «fructifie». D'ignorer, donc, les conséquences des pratiques d'un ordre économique fondé sur un précepte inavouable: s'enrichir au détriment du monde, des choses et des êtres.
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Élise Prioleau, Étudiante à la maîtrise en sociologie à l'UQAM
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