Marianne : Trois jours après sa réélection, Sepp Blatter a annoncé sa démission de la Fifa. Que vous inspire cette démission qui intervient quelques jours après l'arrestation en Suisse de plusieurs pontes de l'organisation mondiale du football ?
Roger Pielke Jr : Ce fut une surprise, mais il faut souligner que Blatter n’a fait qu’annoncer son intention de démissionner. Outre que la manière est maladroite, il reste toujours président de la Fifa jusqu’à la fin de l’année, peut-être plus longtemps et il peut encore mener des réformes, voire réserver d'autres surprises.
Exceptée la justice suisse, la justice européenne s’est très peu intéressée aux actions de la Fifa. Comment expliquez-vous que le coup fatal soit venu des Etats-Unis où la Fifa cherche depuis des années à s'imposer pour profiter des médias, sponsors et annonceurs américains ?
Ce scandale doit être rapproché de celui des Jeux olympiques de Salt Lake City à la fin des années 1990. La Fifa est une organisation basée en Suisse qui a un statut équivalent à celui d’une ONG ou d’une association à but non lucratif et dont les membres appartiennent à une sorte de club privé. Mais c’est un club privé, qui est devenu énorme et qui a désormais toutes les caractéristiques d’une multinationale ou d’une agence gouvernementale, sans jamais s’être soumis à aucune règle valable habituellement pour ce genre d’institutions. La Suisse a toujours été assez légère dans la régulation de ces organisations. Au fil des années, la Fifa est devenue tellement grande et tellement importante. Cependant, elle ne s’est jamais véritablement imposée des règles de fonctionnement adaptées à ces dimensions. D’où une violation régulière des règles et des problèmes récurrents de corruption. Ces violations répétées de la loi ont attiré l’attention des procureurs américains. Si vous regardez les sports américains, ils sont très lourdement réglementés par le gouvernement, en matière de dispositions anti-trust ou encore en ce qui concerne les contrats de télévision. Les propriétaires eux-mêmes se sont réunis pour fixer des plafonds salariaux et ainsi de suite. La Fifa n'est pas la seule responsable. De nombreuses institutions de contrôle partagent une part de responsabilité pour avoir permis à la Fifa de développer ses activités de manière incontrôlée et depuis si longtemps.
Les règlements de la Fifa prévoient que si des actes de corruption sont prouvés pour l'attribution d’une Coupe du monde, il faut organiser un nouveau vote. Pensez-vous que la remise en cause de l’attribution du Mondial 2018 à la Russie et de l'édition 2022 au Qatar est aujourd’hui de l’ordre du possible ?
Cela serait une conséquence incroyable de ce scandale, mais très récemment la presse a rapporté que Dominico Scala, le président indépendant du comité d'audit et de conformité de la Fifa, le nouvel homme fort de la fédération, a déclaré que les deux compétitions pourraient faire l’objet d’un nouveau vote si les allégations de corruption étaient prouvées. Donc ces Coupes du monde peuvent très bien être remises en question si la justice prouve qu’il y a eu corruption. Mais pour l’instant, la justice américaine n'a pas officiellement annoncé de poursuites sur l’attribution des épreuves 2018 et 2022.
En Europe, on se focalise beaucoup sur l'élection du nouveau président, en citant quasi-exclusivement le nom de Michel Platini. Quelles sont, selon vous, les réformes les plus urgentes que la Fifa doit engager ?
Transparency International a fait un bon travail en énumérant une série de réformes que la Fifa doit mettre en œuvre pour se mettre en conformité avec les pratiques de gouvernance du XXIe siècle des organisations internationales, notamment en matière de transparence ou de renouvellement de ses cadres. Ces questions sont beaucoup plus importantes que la « course de petits chevaux » pour la présidence à laquelle on assiste. La Fifa étant une organisation bloquée, il reste d'ailleurs à voir si et comment la Fifa peut réformer sa structure organisationnelle ?
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