«Avant 1837, il y avait sur les bords du Saint-Laurent une peuplade; après il y a eu un peuple.» Cette phrase lumineuse de Jacques Ferron, Yolande Gingras l'a mise en exergue à son livre sur Henriette Cadieux, la femme et la partisane d'une grande figure de la résistance des Patriotes au pouvoir colonial britannique: Chevalier de Lorimier. La biographe ne pouvait mieux souligner la modernité d'une lutte qui défia parfois la répression et la mort.
Avant son exécution, éminemment politique, de 1839, le notaire de Lorimier confia sa femme et ses enfants au peuple. N'avait-il pas défendu celui-ci au nom du principe des nationalités, idée moderne, démocratique, révolutionnaire, à une époque où les monarchies et leurs empires jouaient encore un rôle prépondérant?
En s'adressant à ses compatriotes, il écrivit: «Je meurs pour la cause de mon pays, de votre pays; ne souffrez donc pas que ceux que je suis obligé de quitter souffrent de la pauvreté après ma mort!» Dans Henriette Cadieux, femme patriote, épouse d'un patriote, Yolande Gingras reproduit la lettre ouverte du médecin qui, en 1883, s'appuya sur cette citation pour inviter le public à venir en aide à la veuve de Lorimier et à ses deux filles, réfugiées, toutes sous le même toit, à L'Assomption depuis 1846.
Le texte de l'appel à la solidarité nationale, publié dans La Tribune, journal montréalais et libéral, le fils aîné de Papineau, Amédée, très favorable à la cause d'Henriette Cadieux, le conserva précieusement dans ses papiers. L'ancien Fils de la liberté fut sensible à la désolation qui résulta de l'étouffement par la Grande-Bretagne de l'élan d'émancipation du Bas-Canada.
De retour d'exil en 1843, Amédée Papineau affirma: «"C'est une banqueroute générale", pour me servir d'une expression que j'entends répéter à chaque instant. La misère est extrême. Tout le monde est pauvre.» Et qu'aurait-il dit du triste sort de celle que les gens surnommaient la «femme du pendu»?
L'agonie d'un peuple
Comme Yolande Gingras excelle à nous le montrer en recréant l'époque jusque dans les menus détails grâce à une riche documentation, la lente, paisible et discrète déchéance d'Henriette Cadieux et de ses filles représentait l'invisible et interminable agonie morale d'un peuple à demi conscient de son malheur à la suite de l'échec des insurrections de 1837 et 1838. Cette agonie semblait plus terrible qu'une mort brutale.
«Il est vrai qu'ils lui ont ôté la vie, mais ils n'ont pu lui ôter son courage et sa fermeté... Son crime est d'avoir demandé ses droits qu'on s'efforçait de lui ravir», écrivit Henriette Cadieux au sujet de Chevalier de Lorimier. En aidant et en honorant la veuve en 1883, huit ans avant sa mort, des amis du progrès et de la liberté, L.-O. David, Louis Fréchette, Honoré Beaugrand et plusieurs autres, prouvèrent que le peuple était orphelin et qu'il avait un peu hérité du courage du pendu.
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HENRIETTE CADIEUX
Yolande Gingras
Point du jour
L'Assomption, 2010, 182 pages
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Collaborateur du Devoir
Histoire
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