La Dre Joanne Liu écartée par Québec car on la craignait « incontrôlable »

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Petite guerre d’ego entre spécialistes


La décision d’écarter la docteure Joanne Liu, sommité internationale en matière de lutte contre les épidémies, des groupes d’experts du gouvernement aurait été motivée par une crainte qu’elle ne puisse être contrôlée, selon des sources qui ont intercédé en sa faveur auprès du premier ministre Legault.




La pédiatre Joanne Liu a fait le tour des guerres et des épidémies. Vingt-cinq ans de missions dans les zones les plus hostiles de la planète. En 2014, elle est allée trois fois appuyer les équipes de Médecins sans frontières (MSF) dans les centres de traitement d’Ebola en Afrique de l'Ouest. Elle demeure traumatisée d’avoir vu des enfants mourir seuls dans d’atroces souffrances en appelant leur maman.


Choqués d’apprendre que le gouvernement Legault déclinait ses services, des amis de la Dre Liu, dont des personnalités connues, sont intervenus directement auprès du directeur national de la Santé publique du Québec, Horacio Arruda, et du premier ministre François Legault pour faire valoir son expertise unique. Cela n’a rien changé.


On lui a offert d'aller dans le Grand Nord. Pour eux, son expérience en Afrique coïncidait plus avec les réalités autochtones, nous confie l'une de ces personnes, qui souhaite qu’on protège son anonymat pour ne pas nuire aux efforts de la Dre Liu. Cette source a participé, au nom de la pédiatre, aux pourparlers avec de hautes instances du gouvernement Legault.



Ils ont eu peur que Dre Liu, qui n’a pas de compte à rendre, ne soit pas contrôlable, qu’elle soit trop difficile à gérer dans un paquebot déjà dirigé par trois capitaines.


Le système québécois de la santé est très centralisé, poursuit cette personne. Il est lourd à faire bouger et Mme [Danielle] McCann [la ministre de la Santé] est issue de ce système qui accepte mal les idées qui viennent d’ailleurs et les personnes de l’extérieur. Or, cette crise exige qu’on réfléchisse à des solutions originales (think outside the box) et c’est ce que Dre Liu offrait. Ils ont eu peur d’être déstabilisés.


Cette personne, qui connaît bien le milieu de la santé, ajoute que le système a besoin de cette vision et de cette expérience extérieure, car au Québec, on a une belle expertise en santé publique, mais aucune expérience des épidémies.


Joanne Liu ne veut pas être « le sujet de l'histoire »


Par ailleurs, Joanne Liu a refusé d’aller sur le plateau de Tout le monde en parle dimanche soir, car ce qui intéressait l’animateur Guy A. Lepage, c’était la controverse autour de la décision du gouvernement Legault de la tenir à l’écart de la gestion de la crise pandémique sans précédent que traverse le pays.


Je ne veux pas être le sujet de l’histoire, dit celle qui a présidé Médecins sans frontières pendant six ans. Le vrai sujet, c’est la crise dans les CHSLD. Il faut tous être solidaires des employés qui se battent en ce moment pour sauver des vies sans mourir eux-mêmes.



À MSF, quand on arrive dans un pays aux prises avec une épidémie, le ministère de la Santé nous donne un mandat spécial, explique l’humanitaire. On débarque dans un hôpital et on instaure des protocoles, des circuits de patients qui minimisent les risques de contagion aux patients et au personnel soignant.


À défaut d’être dans l’équipe de gestion de crise, la pédiatre propose de diriger l’une de ces équipes d’intervention.


En entendant Joanne Liu à la télévision, la ministre Danielle McCann a écrit vendredi soir sur Twitter : Merci d’avoir porté cela à mon attention. Mon cabinet va s’assurer que Dre Liu soit appelée rapidement afin de contribuer à cet effort collectif.


La pédiatre s’est étonnée de cette réponse. Au cabinet de la ministre, il y a trois semaines, on m’a dit que j’avais combattu des épidémies dans des pays du tiers-monde, mais que cette expertise-là n’avait pas de valeur au Québec.


La pédiatre dit avoir compris qu'on craignait qu'elle fasse de l'ombre au trio formé de François Legault, Danielle McCann et Horacio Arruda.


Le ministère a « surtout besoin de bras »


Dans son tweet, la ministre McCann indique que la Dre Liu sera appelée rapidement afin de contribuer à l’effort collectif dans les CHSLD.


Or, personne n’a empêché la pédiatre de pratiquer la médecine à Sainte-Justine, ni d'aller en CHSLD.


La direction de l’hôpital pour enfants est d'ailleurs en train d'organiser l'envoi de quelques médecins, dont Joanne Liu, dans deux CHSLD, dont l'Institut de gériatrie de Montréal.


Tout cela était enclenché bien avant le tweet de la ministre.


Joint samedi, le chef de cabinet de la ministre de la Santé, Jonathan Valois, explique qu’il y a trois semaines, quand Joanne Liu les a contactés, la petite équipe de gestion de crise avec le directeur national de la Santé publique, Horacio Arruda, était déjà formée et très occupée à courir après le virus, à prendre des décisions urgentes.


Ils disaient avoir surtout besoin de bras, ils ne voyaient pas l’utilité d'une autre spécialiste à la tête d’un autre comité, précise M. Valois. Les conseils de la Dre Liu sont toujours les bienvenus, ajoute le chef de cabinet, et des discussions seront engagées dès aujourd’hui afin de trouver une façon de mieux communiquer avec la spécialiste des crises épidémiques.




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