Je me méfie toujours des étalages de poissons des supermarchés. Vous êtes quelque part dans le Bas-du-Fleuve. Vous entrez chez Metro ou chez Provigo. Au détour d’un rayon, vous tombez sur un surprenant assortiment de poissons. Vous voilà seul et songeur devant cet étal ahurissant d’espèces venues du Chili, de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Zélande. Il ne manque que les clients.
N’y cherchez pas un simple maquereau, il n’y en a pas. Pourtant, le fleuve à 500 mètres en regorge. Il faut quelques minutes pour comprendre que la plupart de ces poissons ont le goût et la texture insipides du décongelé et que, vu le nombre et l’heure, la moitié finira aux poubelles. Mais peu importe, ils sont là pour attirer le chaland et lui en mettre plein la vue par leur « diversité ». Rien à voir avec le petit étalage de mon poissonnier de la rue des Pyrénées qui, en plein quartier populaire de Paris, ne propose que de la raie de Normandie, des bars de ligne et de la sole de Douvres arrivés le matin même à Rungis. L’étal est plus petit, mais pas la qualité.
Telle est la loi de la prétendue « diversité ». Celle qu’on nous sert sur tous les tons jusqu’à plus soif. On excusera la comparaison un peu triviale, mais le discours politique sur la « diversité » qui sature littéralement nos médias est de cet ordre. Peu importe la qualité, pourvu qu’il y ait de la « diversité ». Comme si la « diversité », quelle qu’elle soit, était une valeur en soi.
La télévision nous offre pourtant un bel exemple de diversité factice. Qui peut affirmer que la multiplication des chaînes de télévision depuis 30 ans s’est accompagnée d’une augmentation de la qualité et de la liberté de parole ? Il en va de même de ces humoristes ethniques qui ne sont trop souvent que les pâles copies des stand-ups américains les plus commerciaux. À quoi bon une telle « diversité » ?
Il est étonnant de découvrir combien le discours sur la « diversité », qui veut passer pour rebelle et minoritaire, est en réalité devenu aujourd’hui le discours des classes dominantes de la mondialisation. Encore contestée en France à cause de sa tradition républicaine, cette idéologie a pénétré aux États-Unis toutes les sphères de la société jusqu’à gangrener les universités.
Pourtant, force est de constater que plus le discours diversitaire prenait de l’ampleur, plus les inégalités économiques s’accroissaient. Comme si le slogan United Colors, symbole des années Obama, n’avait été qu’un cataplasme pour dissimuler une réalité gênante. À l’université, « le nombre d’étudiants issus des minorités a augmenté, celui des étudiants issus des classes les plus aisées aussi, mais la proportion de ceux issus des classes défavorisées de la “ majorité ” s’est réduite », expliquait le professeur de littérature de l’Université de l’Illinois Walter Benn Michaels dans un livre dérangeant publié en 2006, The Trouble With Diversity (La diversité contre l’égalité, Raisons d’agir).
Or depuis, la réalité a dépassé les prédictions les plus délirantes. S’il fallait obtempérer aux discours les plus extrêmes, il faudrait dorénavant respecter des quotas ethniques et sexuels dans le choix des députés, des ministres, des comédiens, des membres des conseils d’administration, des professeurs et même des chroniqueurs. Quid de la qualité de leur travail et de l’égalité des citoyens ? Il ne s’agit évidemment pas de s’opposer à l’intégration normale et progressive des populations émigrées au fur et à mesure qu’elles acquièrent les codes de leur nouveau pays, ce qui peut prendre plus d’une génération. Mais de comprendre la finalité de ce discours éminemment idéologique que nos élites répètent comme des perroquets.
Car ce nouvel ethnicisme n’est pas seulement un racisme à l’envers. Toutes ces odes au « cosmopolitisme », au « métissage » et à « l’hybridation » ne servent qu’à imposer à chacun la nécessité de se fonder à partir de rien, comme l’expliquait le philosophe Peter Sloterdijk dans son dernier livre (Après nous le déluge, Payot). L’émigrant est en effet devenu la figure idéale d’une mondialisation qui n’a plus rien à faire d’un citoyen chargé de sa propre culture et de sa propre histoire. Ce qu’on aime tellement chez lui, ce n’est pas tant sa « diversité » que son absence de racines et son caractère flexible qui s’adapte à tout justement parce qu’il a laissé chez lui ses proches, ses bagages et son pays. Un être sans famille, sans culture et sans attaches, pour ne pas dire sans langue — et parlant donc anglais —, tel est l’idéal diversitaire. Ce n’est pas un hasard si, à l’école, la flexibilité et l’adaptabilité ont remplacé la littérature et les humanités. L’objectif étant de faire de chaque élève un émigrant dans son propre pays.
Derrière cette diversité factice, où se cache donc la véritable diversité ? Au XVIIe siècle, Jean de La Fontaine avait déjà dit le fin mot de toute cette affaire :
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;
Moi, je l’ai dans l’esprit […]
Le singe avait raison : ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît ; c’est dans l’esprit [...]
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