La désillusion numérique au cœur du Web Summit

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Derrière une promesse de liberté se profile le totalitarisme

« La technologie va-t-elle tuer la démocratie ? », « Construire la confiance à l’âge de la désinformation », « Un internet libre et ouvert n’est plus possible » : la désillusion numérique s’impose comme un thème majeur du Web Summit qui s’est ouvert lundi soir à Lisbonne.


L’édition 2018 du « Davos des geeks » doit accueillir environ 70 000 participants, dont 2000 entreprises émergentes (start-ups) et 1500 investisseurs à la recherche de partenaires.


Mais cette année, les têtes d’affiche des conférences qui se succéderont jusqu’à jeudi ont été invitées en qualité de boussole morale, pour un monde numérique qui a la gueule de bois.


Tim Berners-Lee, un des pionniers de l’internet, a ainsi ouvert le bal sous les ovations de milliers de participants lors de la soirée d’ouverture, en lançant un nouveau « contrat pour le web » censé rendre internet sûr et accessible à tous.


Le physicien britannique, qui avait imaginé en 1989 un « système de gestion décentralisée de l’information » devenu l’acte de naissance du « web », constate qu’internet, malgré tous ses aspects positifs, s’est considérablement éloigné des idéaux de fondateurs comme lui : « Beaucoup de choses ont mal tourné... Nous avons de la désinformation, des problèmes de respect de la vie privée, des personnes qui sont manipulées », a-t-il déclaré.


Sa fondation dénonce aussi l’extrême concentration qui s’est produite sur internet. Google, un des tout premiers signataires du « contrat pour le web » avec Facebook ou encore le gouvernement français, collecte 92 % des recettes publicitaires liées aux recherches sur internet en Europe.


De nombreuses personnalités critiquent aujourd’hui ouvertement la centralisation d’internet aux mains de quelques géants — les GAFA américains (Google, Apple, Facebook, Amazon) et les Chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi ou BATX.


Ces firmes ont acquis des quasi-monopoles chacune dans leur domaine, et une puissance économique qui se traduit par un fort pouvoir politique, bien loin des idéaux qui ont animé les débuts d’internet.


Le web en « période de réflexion »


« On traverse un trou d’air », a admis à l’AFP Paddy Cosgrave, fondateur et patron du Web Summit. « C’est une période de réflexion. Toutes les nouvelles technologies connaissent des cycles similaires. [...] Quand l’imprimerie a été inventée, l’excitation initiale a été remplacée avec le temps par la peur des conséquences potentiellement néfastes. Et finalement, ça s’est bien passé. »


Si l’émergence des réseaux sociaux a joué un rôle dans les Printemps arabes et l’élection de Barack Obama, le premier président noir américain, la phase suivante a elle rimé avec désinformation et soupçons de manipulation des campagnes qui ont marqué en 2016 l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et le vote pour le Brexit au Royaume-Uni.


Parmi les intervenants les plus attendus sur ces thèmes figure Christopher Wylie, le lanceur d’alerte qui a révélé en début d’année le scandale de Cambridge Analytica, société pour laquelle il travaillait comme directeur de recherche, et qui est accusée d’avoir utilisé à des fins politiques les données privées de 50 millions d’utilisateurs de Facebook.


Le problème des modèles économiques


Autre repenti des technologies, Ev Williams, connu surtout pour avoir cofondé Blogger (revendu à Google) puis Twitter, clôturera le salon jeudi en tant que patron de Medium, une plateforme de blogues à contre-courant de la culture de la viralité.


« Nous nous sommes habitués à tout avoir gratuitement, et nous en avons sous-estimé le coût », écrivait-il en mai dernier dans un mini-manifeste publié par le New York Times, où il évoque les problèmes que posent les modèles financiers des grandes plateformes numériques, fondés sur la publicité.


Les utilisateurs ont accès à des services en apparence gratuits (messagerie, recherche et partage d’informations, vidéos...), mais, en échange, leurs données personnelles sont revendues aux annonceurs.


Ces modèles, baptisés « économie de l’attention », favorisent les contenus qui attirent le plus d’internautes possible, et retiennent leur attention le plus longtemps.


« C’est une économie de la dépendance, comme les paris ou les jeux vidéo », a estimé Mitchell Baker, la présidente de la fondation Mozilla, elle aussi invitée au Web Summit, lors d’une interview à l’AFP.


> La suite sur Le Devoir.



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