La démolition de la puissance mondiale des États-Unis

Donald Trump en route pour une débâcle dans le Grand Moyen-Orient

Trump le démolisseur

L’autoroute vers la catastrophe est déjà ouverte.


Depuis les premiers jours de Donald Trump, les nouvelles des dégâts infligés à la stature internationale de l’Amérique sont apparus très vite et très durement.



Comme s’il était guidé par une conception diabolique, le nouveau président semble avoir identifié les principaux piliers qui ont soutenu le pouvoir mondial américain depuis 70 ans et s’est mis à les renverser l’un après l’autre. En dénigrant l’OTAN, en s’aliénant les alliés asiatiques, en annulant les traités commerciaux et en réduisant la recherche scientifique critique, la Maison Blanche de Trump est déjà en train de démolir l’architecture délicatement équilibrée [ça se discute ! NdT] qui a soutenu le leadership mondial de Washington depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cependant involontairement, Trump garantit l’effondrement accéléré de l’hégémonie mondiale américaine.


Attristés par sa succession d’erreurs en politique étrangère, les commentateurs – à gauche comme à droite, dans le pays et à l’étranger – ont fait entendre leur voix dans un véritable chœur de critiques. Un éditorial du Los Angeles Times le décrivait systématiquement comme étant « tellement imprévisible, imprudent, pétulant, totalement aveuglé par l’estime de soi, et sans attache à la réalité » qu’il menaçait d’« affaiblir la position morale de son pays dans le monde » et de « mettre en péril la planète » par ses « effroyables » choix politiques. « C’est un naïf qui est en train de diminuer l’influence des États-Unis en Asie, aidant ainsi la Chine à devenir plus grande à nouveau » a écrit le chroniqueur Thomas Friedman du New York Times après avoir examiné les dégâts infligés aux alliances asiatiques par la décision de « détruire les douze pays du Pacte de partenariat Trans-Pacifique durant sa première semaine au bureau ».


La presse internationale n’a pas été moins sévère. En raison de la dénonciation par Trump de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud, qualifié d’« horrible », et de son affirmation bizarre que le pays avait déjà été « une partie de la Chine », le principal journal de Séoul, Chosun Ilbo, a exprimé le « choc, la trahison et la colère, ressentis par beaucoup de Coréens du Sud ». En évaluant ses cent premiers jours à la Maison Blanche, le vénérable Observer britannique a commenté : « L’approche grossièrement intimidante, violente et ignorante de Trump sur des questions internationales sensibles a envahi le monde, de Moscou au Moyen-Orient et à Beijing, plongeant ennemis et alliés dans le sombre tourbillon d’une instabilité stratégique croissante. »


Il est au-delà de l’extraordinaire, pour un président américain, de sortir de ses grandes célébrations inaugurales sous une telle tempête de critiques. Ayant plus ou moins épuisé leurs lexiques de rhétorique infamante, les équipe habituelles de commentateurs s’efforcent maintenant de comprendre comment un président américain peut être aussi volontairement autodestructeur.


La crise britannique de Suez


Assaillis par un flux incessant de tweets bizarres et de théories de la conspiration issus de la Maison Blanche, des observateurs du monde entier semblent avoir conclu que Donald Trump est un président à nul autre pareil, que la situation qu’il crée est sans parallèle et que sa politique étrangère est déjà un désastre sans précédent. Après avoir fouillé dans le vaste placard de l’histoire pour un vieux costume qui lui conviendrait, les analystes n’ont pas réussi à trouver un antécédent ou une analogie pour l’expliquer de façon adéquate.


Pourtant, il y a seulement 60 ans, une crise au Moyen-Orient – toujours volatil – supervisée par un chef de gouvernement britannique empoté, coutumier des erreurs, a contribué à créer une grande débâcle du pouvoir qui offre un aperçu du moment Trumpien, un aperçu des futures possibles, et un goût du genre de déclin qui guette l’avenir impérial des États-Unis.


Au début des années 1950, la position internationale de la Grande-Bretagne présentait de nombreux parallèles avec l’Amérique aujourd’hui. Après un rétablissement difficile, suite à la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, ce pays jouissait d’un emploi solide, d’investissements internationaux lucratifs et du prestige venant du statut de la livre sterling comme monnaie de réserve mondiale. Grâce à un retrait prudent de son très vaste empire mondial et à son alliance étroite avec Washington, Londres a toujours connu le sentiment d’une influence internationale exceptionnelle pour une petite nation insulaire de seulement 50 millions de personnes. Dans l’ensemble, la Grande-Bretagne semblait prête pour de nombreuses années de leadership mondial avec toutes les récompenses et avantages économiques qui l’accompagnent.


Puis vint la crise de Suez. Après une décennie d’abandon des colonies l’une après l’autre, le stress accumulé par la retraite impériale a poussé les conservateurs britanniques dans une intervention militaire désastreuse pour réclamer le canal de Suez à l’Égypte. Cela, à son tour, provoqua une « crise morale profonde à Londres », qu’un diplomate britannique qualifia de « convulsion de l’impérialisme britannique agonisant ». Dans le contexte lumineux de ce que les historiens nomment le « micro-militarisme », c’est-à-dire une frappe militaire hardie conçue pour récupérer l’influence impériale perdue, la Grande-Bretagne a rejoint la France et Israël dans une invasion militaire illégitime de l’Égypte qui a transformé la retraite impériale lente en effondrement précipité.


Tout comme le canal de Panama avait autrefois été un exemple éclatant pour les Américains des prouesses mondiales de leur pays, les conservateurs britanniques ont considéré le canal de Suez comme un cordon ombilical qui attachait leur petite île à son vaste empire en Asie et en Afrique. Quelques années après la grande ouverture du canal en 1869, Londres a fait l’affaire du siècle, en raflant les parts de l’Égypte dans l’entreprise pour un prix de £4 millions. Puis, en 1882, la Grande-Bretagne a consolidé son contrôle sur le canal grâce à une occupation militaire de l’Égypte, réduisant cette terre immémoriale à rien de plus qu’une colonie informelle.


De fait, à la fin de 1950, la Grande-Bretagne maintenait toujours 80 000 soldats et une série de bases militaires le long du canal. La majeure partie de son pétrole et de son essence, produite dans l’énorme raffinerie d’Abadan dans le golfe Persique, passait par Suez, approvisionnant sa marine, son système de transport domestique et une grande partie de son industrie.


Après que les troupes britanniques ont achevé un retrait négocié de Suez en 1955, Le leader nationaliste charismatique Gamal Abdel Nasser a affirmé la neutralité égyptienne dans la guerre froide en achetant des armes soviétiques, faisant ainsi froncer les sourcils à Washington. En juillet 1956, après que l’administration du président Dwight Eisenhower était revenue sur sa promesse de financer la construction du barrage d’Assouan sur le Haut-Nil, Nasser a cherché un financement alternatif pour cette infrastructure critique en nationalisant le canal de Suez. Ce faisant, il a électrisé le monde arabe et s’est élevé au rang des principaux leaders mondiaux.


Bien que les navires britanniques aient passé encore librement par le canal et que Washington ait insisté sur une résolution diplomatique du conflit, le leadership conservateur britannique a réagi avec un outrage irrationnel. Derrière le rideau de fumée d’un simulacre de diplomatie conçu pour tromper Washington, leur allié le plus proche, le secrétaire britannique aux affaires étrangères se réunissait secrètement avec les Premiers ministres de France et d’Israël près de Paris pour préparer une invasion trompeuse, en deux étapes, de l’Égypte avec 250 000 troupes alliées, soutenues par 500 avions et 130 navires de guerre. Son objectif, bien sûr, était de sécuriser le canal.


Le 29 octobre 1956, l’armée israélienne menée par le général Moshe Dayan a traversé la péninsule du Sinaï, détruisant les chars égyptiens et amenant ses troupes à moins de 16 km du canal. En utilisant ce combat comme prétexte pour une intervention afin de rétablir la paix, les forces amphibies et aériennes anglo-françaises se sont rapidement jointes à l’attaque, soutenues par un bombardement dévastateur de six porte-avions qui ont détruit l’armée de l’air égyptienne, dont plus d’une centaine de ses nouveaux avion Mig. Alors que l’armée égyptienne s’effondrait avec quelque 3 000 tués et 30 000 capturés, Nasser a déployé une défense brillante par sa simplicité en coulant des dizaines de cargos rouillés remplis de roches et de béton à l’entrée du canal de Suez. De cette façon, il a coupé la ligne de vie du pétrole entre l’Europe et le Golfe Persique.


En même temps, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, soutenu par Washington, a imposé un cessez-le-feu après seulement neuf jours de guerre, ce qui a empêché l’attaque anglo-française de saisir la totalité du canal. Le refus brutal du président Eisenhower de soutenir ses alliés avec du carburant ou de l’argent et la menace de condamnation devant l’ONU obligèrent bientôt la Grande-Bretagne à une retraite humiliante. Avec ses finances qui s’effondraient suite aux coûts croissants de l’invasion, le gouvernement britannique ne pouvait pas maintenir le taux de change officiel de la livre, dégradant sa stature de monnaie de réserve mondiale.


L’auteur de cette débâcle extraordinaire était Sir Anthony Eden, un premier ministre problématique dont la carrière offre des parallèles frappants avec celle de Donald Trump. Né dans un milieu privilégié en tant que fils d’un grand propriétaire foncier, Eden a bénéficié d’une bonne éducation dans une école privée puis dans une université d’élite. Après avoir hérité de son père une importante fortune, il est entré en politique comme conservateur, en utilisant ses liens politiques pour se frayer un chemin dans la finance. Après la guerre, jouant des coudes dans le Parti conservateur, sous le leadership de Winston Churchill, Eden, qui se posait en rebelle contre des institutions rigides, a exploité des luttes intestines perpétuelles et sa belle allure pour évincer le grand homme et devenir premier ministre en 1955.


Lorsque Nasser nationalisa le canal, Eden explosa de fureur et d’indignation égotiste. « Qu’est-ce que ces bêtises sur l’isolement de Nasser », a déclaré Eden à son ministre des Affaires étrangères. « Je veux le détruire, ne peux-tu pas comprendre ? Je veux qu’il soit assassiné, et si vous et le Foreign Office n’êtes pas d’accord, alors vous feriez mieux de venir au cabinet et d’expliquer pourquoi. » Convaincu que la Grande-Bretagne était toujours la superpuissance du globe, Eden a rejeté les bons conseils lui demandant de consulter Washington, l’allié le plus proche du pays, de façon approfondie. Alors que son intervention audacieuse se dirigeait vers une catastrophe diplomatique, le premier ministre se concentrait sur la manipulation des médias britanniques, confondant, dans la foulée, une opinion intérieure favorable avec un soutien international.


Lorsque Washington a exigé un cessez-le-feu, en échange d’une aide d’un milliard de dollars, pour renflouer une économie britannique incapable de soutenir une guerre aussi coûteuse, la fureur d’Eden s’est rapidement effondrée et il a frustré ses troupes d’une victoire certaine, suscitant une tempête de protestation au Parlement. Humilié par ce retrait forcé, Eden a compensé psychologiquement en ordonnant au MI6 – l’équivalent britannique de la CIA – de lancer une deuxième tentative d’assassinat, infortunée, contre Nasser. En effet, comme son principal agent local était en fait un agent double fidèle à Nasser, la sécurité égyptienne avait déjoué les agents britanniques et saboté les armes livrées aux tueurs à gages qui se sont révélées foireuses.


Confronté à un assaut de questions agressives au Parlement au sujet de sa collusion avec les Israéliens, Eden a menti à plusieurs reprises, jurant qu’il n’avait « aucune connaissance préalable qu’Israël attaquerait l’Égypte ». Les protestataires l’ont dénoncé comme « trop ​​stupide pour être Premier ministre », les parlementaires de l’opposition ont ri ouvertement quand il a comparu devant le Parlement et son propre ministre des Affaires étrangères l’a ridiculisé comme « un éléphant enragé qui charge insensément des (…) ennemis imaginaires ».


Quelques semaines après que le dernier soldat britannique avait quitté l’Égypte, Eden, discrédité et déshonoré, a été contraint de démissionner après seulement 21 mois en fonction. Emporté dans cette opération incroyablement mal intentionnée par ses illusions d’omnipotence, il a fait du lion britannique, autrefois puissant, un animal de cirque édenté qui obéirait dorénavant aux claquements secs des coups de fouet de Washington.


Le travail de démolition de Trump


En dépit des différences évidentes dans leur circonstances économiques, il reste des résonances significatives entre la politique britannique de l’après-guerre et les problèmes américains d’aujourd’hui. Ces deux hégémonies mondiales ont souffert d’une lente érosion de leur pouvoir économique dans un monde qui évolue rapidement, produisant des tensions sociales sévères et des dirigeants politiques sans envergure. Le leadership du Parti conservateur britannique s’était étiolé depuis la diplomatie adroite de Disraeli, Salisbury et Churchill pour sombrer dans les rodomontades et les bourdes d’Eden. De même, le Parti républicain s’est rétréci, après des dirigeants comme Teddy Roosevelt, Eisenhower et George H.W. Bush, pour produire aujourd’hui un fatras de 17 candidats aux primaires de 2016, qui promettaient de résoudre une crise infiniment complexe au Moyen-Orient grâce à un ensemble de politiques incendiaires qui consistaient à liquéfier les sables du désert sous des tapis de bombes en forçant les terroristes à capituler sous la torture. Confrontés à des défis internationaux énormes, les électeurs des deux pays ont soutenu des dirigeants attrayants mais instables que leurs illusions d’omnipotence poussaient à des mésaventures militaires.


Comme les citoyens britanniques des années 1950, la plupart des Américains d’aujourd’hui ne comprennent pas vraiment la fragilité de leur statut de « leader du monde libre ». En effet, Washington a chevauché le globe en position de superpuissance depuis si longtemps que la plupart de ses dirigeants n’ont pratiquement aucune compréhension de la délicate construction assurant la puissance mondiale de leur pays, élaborée avec tant de soin par deux présidents après la Deuxième Guerre mondiale.


Sous l’égide du président démocrate Harry Truman, le Congrès a créé les instruments clés de l’État de sécurité nationale émergeant à Washington, et sa future domination mondiale, en adoptant la Loi sur la sécurité nationale en 1947 qui a créé la Force aérienne, la CIA et deux nouvelles agences exécutives : le Département de la Défense et le Conseil national de sécurité. Pour reconstruire une Europe dévastée par la guerre, Washington a lancé le Plan Marshall et a transformé cette idée en un programme mondial d’aide par l’intermédiaire de l’Agence américaine pour le développement international (AID) qui devait imposer le pouvoir américain à l’échelle mondiale et soutenir les élites pro-américaines à travers la planète. Sous Truman, les diplomates américains ont forgé l’alliance de l’OTAN (que Washington dominerait jusqu’à l’arrivée de Trump), ont fait avancer l’unité européenne et ont signé, en parallèle, une série de traités de défense mutuelle avec des alliés asiatiques majeurs le long du littoral du Pacifique, faisant de Washington le premier pouvoir en mesure depuis deux millénaires de contrôler les « deux extrémités » du stratégique continent eurasien.


Durant les années 1950, le président républicain Dwight Eisenhower a déployé cet appareil de sécurité nationale pour sécuriser la domination mondiale de Washington avec une triade nucléaire (bombardiers, missiles balistiques et sous-marins), une chaîne de bases militaires qui encercle l’Eurasie et un nombre ahurissant d’opérations secrètes hautement militarisées pour assurer l’ascension de leurs alliés loyaux à travers le monde. Surtout, il a supervisé l’intégration des dernières recherches scientifiques et technologiques dans le système de développement des armes du Pentagone par la création du célèbre « complexe militaro-industriel » (contre lequel il finirait par mettre en garde les Américains en quittant son office en 1961). Tout cela, à son tour, a favorisé une aura du pouvoir américain si formidable que Washington pouvait réorganiser presque toutes les parties importantes du monde, faire respecter la paix, établir l’agenda international et renverser les gouvernements sur les quatre continents.


Bien qu’il soit raisonnable de soutenir que Washington soit devenu la plus grande puissance mondiale de l’histoire, son hégémonie, comme celle de tous les empires mondiaux qui l’ont précédé, est restée étonnamment fragile. Un leadership qualifié était nécessaire pour maintenir l’équilibre de la diplomatie, du pouvoir militaire, de la force économique et de l’innovation technologique du système.


Au moment où le président Trump a prêté serment, des tendances négatives à long terme avaient déjà commencé à limiter l’influence du leader américain, quel qu’il soit, sur la scène internationale. Il s’agissait d’une part du déclin dans la part mondiale de l’économie, d’une érosion de la primauté technologique, d’une incapacité à mettre en pratique son pouvoir militaire écrasant de manière à atteindre les objectifs politiques prédéfinis sur une planète toujours plus récalcitrante, face à une génération de dirigeants nationaux de plus en plus indépendants, que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique latine.


Indépendamment de ces tendances défavorables, le pouvoir mondial de Washington reposait sur des fondements stratégiques tels que ses dirigeants pouvaient encore réussir à maintenir un semblant raisonnable d’hégémonie américaine : notamment par l’alliance de l’OTAN, par les traités réciproques de sécurité en Asie aux antipodes stratégiques de l’Eurasie, par les traités commerciaux qui renforçaient de telles alliances, par la recherche scientifique pour soutenir l’avance technologique de l’armée et le leadership sur des questions internationales comme le changement climatique.


Mais en seulement cinq mois, la Maison Blanche de Trump a fait un remarquable travail de démolition de ces piliers du pouvoir mondial américain. Au cours de son premier voyage à l’étranger en mai 2017, le président Trump a fustigé les dirigeants de l’OTAN, impassibles, pour n’avoir pas payé leur « juste part » dans le volet militaire de l’alliance et a refusé de réaffirmer le principe fondamental de la défense collective. Ignorant les plaidoyers de ces alliés proches, il a préempté le leadership diplomatique historique de l’Amérique en annonçant le retrait de Washington de l’Accord sur le climat de Paris dans l’ambiance d’un show de télé-réalité. Après avoir noté la répudiation frappante, par Washington, de son rôle de leader mondial, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré aux électeurs de son pays que « nous devons nous battre pour notre avenir, pour notre destinée en tant qu’Européens ».


Le long du littoral stratégique du Pacifique, Trump a annulé le partenariat commercial Trans-Pacifique en prenant ses fonctions, et s’est gratuitement aliéné ses alliés en interrompant brutalement un appel téléphonique de courtoisie au Premier ministre australien et en insultant la Corée du Sud jusqu’au point où son nouveau président a remporté l’élection, en partie, sur le mot d’ordre « dites non » à l’Amérique. Lorsque le président Moon Jae-in s’est rendu pour une visite à Washington en juin, déterminé à combler la brèche entre les deux pays, il a été, comme l’a signalé le New York Times, interloqué par « la dureté de la critique de M. Trump sur la Corée du Sud à propos du commerce ».


Après que Trump a rejeté la suggestion de Moon proposant que les deux pays s’engagent dans des négociations diplomatiques avec Pyongyang, la Corée du Nord a testé avec succès un missile balistique potentiellement capable d’atteindre l’Alaska ou peut-être Hawaii avec une ogive nucléaire – bien que les experts croient que Pyongyang pourrait être encore loin d’équiper son missile d’une telle ogive. C’était un acte qui faisait de ces mêmes négociations la seule option viable pour Washington – à part une deuxième guerre de Corée, qui pourrait potentiellement dévaster à la fois la région et la position américaine de leader international.


En d’autres termes, après 70 ans de domination mondiale, le contrôle géopolitique de l’Amérique sur les extrémités de l’Eurasie – les piliers de sa puissance mondiale – semble s’effondrer en quelques mois.


Au lieu de la diplomatie des présidents passés, Trump et ses conseillers, en particulier ses militaires, ont réagi à ses premières crises étrangères modestes, ainsi qu’aux questions quotidiennes posées au pouvoir de l’empire, avec des éructations semblables à celles d’Anthony Eden. Depuis janvier, la Maison Blanche a explosé dans des manifestations soudaines de pouvoir militaire brut comme un bombardement éclair de drones, d’une intensité sans précédent, au Yémen pour détruire ce que le président a appelé un « réseau de sauvages hors-la-loi », suivi du bombardement d’une base aérienne syrienne avec 59 missiles Tomahawk, pour finir avec la détonation de la plus grande bombe non nucléaire au monde sur un refuge terroriste dans l’est de l’Afghanistan.


Tout en se révélant par l’utilisation de ces armes, Trump, en réduisant le financement fédéral critique pour la recherche scientifique, démolit déjà les bases du complexe militaro-industriel que les successeurs d’Eisenhower, républicains et démocrates, ont tellement soigné pendant le dernier demi-siècle. Tandis que la Chine augmente l’ensemble de l’éventail de sa recherche scientifique, Trump a proposé ce que l’Association américaine pour l’avancement de la science a qualifié de « coupes profondes dans de nombreuses agences de recherche » qui signifieront finalement la perte du niveau technologique du pays. Dans le domaine émergent de l’intelligence artificielle qui dominera prochainement la guerre spatiale et la cyber-guerre, la Maison-Blanche veut réduire le budget de 2018, pour cette recherche critique à la National Science Foundation, à un montant dérisoire de 175 millions de dollars, même si Pékin lance « une nouvelle initiative de plusieurs milliards de dollars » liée à la construction de « robots militaires ».


Une débâcle future dans le Grand Moyen-Orient


Avec un président qui partage le penchant de Sir Anthony Eden pour la bravoure, l’auto-illusion et l’impulsivité, les États-Unis semblent prêts pour un Suez du vingt-et-unième siècle à leur sauce, une débâcle dans le Grand Moyen-Orient (ou peut-être ailleurs). De l’expédition désastreuse que l’ancienne Athènes a envoyé en Sicile en 413 avant notre ère à l’invasion britannique de Suez en 1956, les empires en difficulté ont souvent, à travers les âges, fait preuve d’une arrogance qui les plonge de plus en plus profondément dans des mésaventures militaires jusqu’à ce que la défaite devienne une débâcle, une mauvaise utilisation de la force armée qualifiée techniquement par les historiens de micro-militarisme. Avec l’hubris qui a marqué les empires au cours des millénaires, l’administration de Trump est, par exemple, engagée à étendre indéfiniment la guerre de pacification de Washington en Afghanistan avec une nouvelle mini-poussée des troupes américaines (et de la puissance aérienne) dans ce légendaire « cimetière des empires ».


Un tel micro-militarisme est si irrationnel et si imprévisible que même les scénarios les plus fantaisistes peuvent être dépassés par les événements réels, comme cela s’est avéré à Suez. Avec l’armée américaine étirée de l’Afrique du Nord à la Corée du Sud, sans succès durables dans ses guerres après le 11 septembre, et avec des tensions qui se profilent du golfe Persique et de la Syrie jusqu’à la mer de Chine méridionale et aux deux Corées, les possibilités d’une désastreuse crise militaire à l’étranger semblent presque sans fin. Permettez-moi de choisir un scénario possible pour une future mésaventure militaire trumpienne dans le Grand Moyen-Orient (Je suis sûr que vous allez immédiatement penser à d’autres candidats).


Nous sommes à la fin du printemps 2020, début traditionnel de la saison afghane des combats et une garnison américaine dans la ville de Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan, est soudainement débordée par une alliance ad hoc des guerriers talibans et des islamistes. Alors que les avions américains sont cloués au sol par une tempête de sable aveuglante, les militants exécutent sommairement leurs captifs américains, filmant l’événement horrible pour un téléchargement immédiat sur Internet. S’exprimant devant un auditoire international à la télévision, le président Trump tonne contre les « meurtriers musulmans répugnants » et jure qu’il « fera rougir les sables du désert avec leur sang ». Dans le cadre de cette promesse, un commandant américain du théâtre des opérations, saisi par la colère, envoie des bombardiers B-1 et F-35 pour démolir tous les quartiers environnants de Kandahar censés être sous le contrôle des talibans. Dans un coup de grâce aérien, les mitrailleuses « Spooky » de l’AC-130-U, ratissent les décombres avec un feu dévastateur. Les victimes civiles sont innombrables.


Aussitôt, les mollahs prêchent le djihad des mosquées en Afghanistan et bien au-delà. Les unités de l’armée afghane, longtemps formées par les forces américaines pour retourner le destin de la guerre, commencent à déserter en masse. Dans des postes isolés à travers le pays, des groupes de soldats afghans ouvrent le feu sur leurs conseillers américains dans ce qu’on appelle des attaques initiées ou vert sur bleu. Pendant ce temps, les combattants talibans lancent une série d’assauts contre les garnisons américaines dispersées ailleurs dans le pays, accroissant soudain considérablement les pertes américaines. Dans des scènes rappelant Saïgon en 1975, des hélicoptères américains sauvent des soldats américains et des civils réfugiés sur les toits, pas seulement à Kandahar, mais dans plusieurs autres capitales provinciales et même à Kaboul.


Pendant ce temps, furieux suite aux pertes civiles massives en Afghanistan, les diatribes anti-musulmanes étaient tweetées par Trump presque tous les jours depuis le bureau ovale et après des années de baisse du prix de l’énergie, les dirigeants de l’OPEP imposent un nouvel embargo pétrolier sévère aux États-Unis et à leurs alliés. Avec les raffineries asséchées en Europe et en Asie, l’économie mondiale chancelle au bord de la récession, le prix du pétrole flambe, Washington s’agite éperdument en tous sens pour trouver une solution. Le premier appel concerne l’OTAN, mais l’alliance est proche de l’effondrement après quatre ans de comportement erratique du président Trump. Même les Britanniques, rebutés par l’inattention portée à leurs préoccupations, rejettent ses appels au soutien.


Face à une réélection incertaine en novembre 2020, la Maison Blanche de Trump agit en envoyant des forces de Marines et d’Opérations spéciales pour saisir les ports pétroliers dans le golfe Persique. Partant de la base de la Cinquième Flotte à Bahreïn, les Navy Seals et Army Rangers occupent la raffinerie Ras Tanura en Arabie saoudite, la neuvième plus grande au monde, le principal port pétrolier du Koweït à Shuaiba, et d’Irak à Um Qasr.


Simultanément, le porte-avions USS Iwo Jima se dirige vers le sud à la tête d’une force d’intervention qui lance des hélicoptères transportant 6 000 hommes des forces d’opérations spéciales chargés de saisir la raffinerie al-Ruwais à Abu Dhabi, la quatrième plus grande du monde et le mégaport de Jebel Ali à Dubaï, un complexe de 20 milles carrés si vaste que les Américains ne peuvent occuper que leurs installations pétrolières. Lorsque Téhéran proteste avec véhémence contre l’escalade des États-Unis dans le golfe Persique et suggère des représailles, le secrétaire à la Défense, James Mattis, relançant un plan du temps où il dirigeait le CENTCOM, ordonne des attaques préventives de missiles Tomahawk sur la raffinerie phare de l’Iran à Abadan.


Dés le début, l’opération se passe mal. Les troupes semblent perdues dans le labyrinthe non cartographié des tuyaux des raffineries des port pétroliers. Pendant ce temps, le personnel de la raffinerie se révèle obstinément peu coopératif, estimant que l’occupation sera de courte durée et désastreuse. Le troisième jour, des commandos de la Garde révolutionnaire iranienne, qui s’entraînaient pour ce jour depuis la rupture de l’accord nucléaire de 2015 avec les États-Unis, débarquent à l’improviste dans les raffineries du Koweït et de l’Émirat avec des mines télécommandées. Incapables d’utiliser leur puissance de feu supérieure dans un environnement aussi volatil, les troupes américaines sont réduites à des tirs futiles contre des embarcations qui se retirent à grande vitesse alors que les réservoirs de pétrole et les tuyaux de gaz explosent spectaculairement.


Trois jours plus tard, alors que l’USS Gerald Ford s’approche d’une île iranienne, plus de cent vedettes rapides apparaissent soudainement, harcelant le navire comme un essaim dans un ballet entrecroisé de vedettes à grande vitesse. Chaque fois que les rafales mortelles des canons automatiques MK-38 du navire déchirent les bateaux de tête, d’autres sortent des flammes, de plus en plus proches. Cachée par des nuages ​​de fumée, l’une de ces vedettes atteint finalement un endroit non défendu sous l’îlot de la tour de contrôle, assez près pour qu’un gardien de la révolution pose une charge magnétique sur la coque avec un déclic fatal. On entend un rugissement assourdissant et un trou béant apparaît à la ligne de flottaison du premier porte-avions paralysé et hors de combat depuis la Seconde Guerre mondiale. Au fur et à mesure que les choses empirent, le Pentagone est finalement obligé d’accepter qu’une débâcle est en cours et retire du golfe Persique ses navires d’une importance capitale.


Alors que les nuages ​​noirs montent vers le ciel des ports pétroliers du Golfe, et que les diplomates se lèvent aux Nations Unies pour dénoncer amèrement les actes américains, les commentateurs du monde entier remontent à la débâcle de 1956, qui a marqué la fin de la Grande-Bretagne impériale, pour qualifier l’événement de « Suez américain ». L’empire a été vaincu, l’atout [=trump en anglais, NdT] maître a coupé.



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