La crise et le Canada

(Louis Vachon vante le système canadien)

Crise mondiale — crise financière


On ne le réalise pas encore dans la tourmente actuelle des marchés, mais c'est une page marquante de l'histoire bancaire et financière américaine qui est en train de s'écrire ces jours-ci à Wall Street et à Washington. Il y aura la chronique des événements, dont la rédaction se poursuit au moment même où vous lisez ces lignes, et un encadré sur la nouvelle réglementation, dont on n'a encore que le brouillon. Cette section-là présentera sûrement des similitudes avec ce qui se fait déjà au Canada. Reste à voir si elle ira jusqu'à modifier notre approche.
"La grande différence entre le système réglementaire canadien et américain, c'est que les banques canadiennes avaient un levier maximum sur le bilan et les grandes institutions américaines, surtout du côté des banques d'affaires, ne l'avaient pas", a souligné le président et chef de la direction de la Banque Nationale du Canada, Louis Vachon, en entrevue à La Presse hier. Donnez-moi un levier et je soulèverai le monde, disait Archimède. Les banques d'affaires américaines ont étiré le leur de façon démesurée et il leur a cassé entre les mains. Lehman Brothers, qui s'est écrasée il y a 10 jours, avait un ratio de levier financier d'environ 30 pour un. Autrement dit, pour chaque dollar qu'elle possédait, elle se permettait d'en emprunter jusqu'à 30 de plus. Au Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières limite les banques à un ratio de 20 pour un, ce qui leur assure pas mal plus de stabilité. On peut s'attendre à ce que la future réglementation américaine se rapproche du modèle canadien, même s'il est peu probable que la potion soit présentée en ces termes - il y a des limites à vexer les égos de Wall Street
Cette crise financière sans précédent pourrait même appeler des mesures plus sévères qu'ici. Appauvri par l'inflation, le chômage, la crise immobilière et la dévaluation de son portefeuille, l'Américain moyen est furieux de la façon dont son gouvernement s'apprête à dépenser l'argent de ses impôts. Plus de 700 milliards pour rescaper des firmes victimes de la cupidité de leurs dirigeants? Alors que ces messieurs s'en tirent sans un accroc à leurs beaux complets? Pas étonnant que le président Bush ait dû s'adresser à la nation hier soir pour vendre cette coûteuse opération. Par ailleurs, selon les informations qui filtraient hier, le secrétaire au Trésor Henry Paulson aurait finalement accepté de limiter les salaires des dirigeants des sociétés qui bénéficieront de son généreux plan de sauvetage. Il faudra voir les détails, mais ce serait tout un précédent. Les autorités américaines iront-elles jusqu'à réglementer la rémunération dans le secteur financier? C'est un scénario que personne n'aurait envisagé sérieusement il y a quelques mois pas plus que la crise qui ébranle actuellement les fondements du système.
Avant de prendre des mesures et de sauter aux conclusions, il vaudrait mieux attendre d'avoir tout vu, plaide le président de la Banque Nationale. On ne peut que lui donner raison, surtout avec l'enquête pour fraude que le FBI vient de démarrer chez Fannie Mae, Freddie Mac, Lehman et AIG. Mais si nos voisins encadrent les rémunérations, il faut s'attendre à ce que la question se pose ici aussi, même si le secteur ne s'est pas livré aux mêmes excès.
Le compte rendu de l'entrevue avec le PDG de la Banque Nationale, Louis Vachon, à lire dans La Presse Affaires, pages 1 à 3
akrol@lapresse.ca
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Louis Vachon vante le système canadien
Vailles, Francis
La Presse Affaires, jeudi, 25 septembre 2008
Les institutions financières canadiennes tireront profit des déboires des banques d'affaires américaines, dont le modèle est déficient, selon le PDG de la Banque Nationale, Louis Vachon.
En entrevue avec La Presse, Louis Vachon s'est montré critique du modèle d'affaires des Lehman Brothers, Morgan Stanley et autres banques d'affaires américaines en difficulté. Selon lui, ces institutions ont utilisé un effet de levier beaucoup trop important pour résister aux aléas des marchés. Certaines ont un endettement qui va jusqu'à 40 fois les capitaux propres, dit-il, alors qu'au Canada, le levier des banques oscille plutôt autour de 15 fois. Pour M. Vachon, il ne fait aucun doute que la nouvelle réglementation américaine va plafonner ce levier et mieux encadrer ce modèle d'affaires.
Selon le gestionnaire, une banque ne peut pas se permettre d'avoir un tel effet de levier, d'autant plus qu'elle n'a pas de déposants et qu'elle a une politique de liquidités d'une firme de courtage. "À la base, ce n'est pas un problème de gestion de risque, mais un problème de modèle d'affaires. Ultimement, ce sont les hauts dirigeants et le conseil d'administration qui sont responsables", a-t-il dit.
À ce chapitre, il n'est pas surpris de voir les firmes Morgan Stanley et Goldman Sachs en voie de se convertir en banques traditionnelles, ce qui aura pour effet de diminuer leur effet de levier.
Au Canada, poursuit M. Vachon, les institutions financières ont certes connu leur part de difficultés depuis un an, avec la crise du papier commercial PCAA. "Mais personne n'a remis en question le modèle d'affaires de l'industrie. Il a été testé. Très bien testé", dit-il.
C'est ce modèle de banque diversifiée entre les services traditionnels et les marchés financiers, notamment, qui a permis à l'industrie canadienne de réagir rapidement à la crise des PCAA.
"Il a fallu cinq jours ouvrables à la Banque Nationale pour racheter ses petits porteurs. En comparaison, avec la crise des Auction Rate Securities (ARS) aux États-Unis, il a fallu six mois et des pressions réglementaires pour arriver à un règlement qui ressemble étrangement au nôtre", a-t-il dit.
Plus coûteux pour les grandes entreprises
Selon M. Vachon, la crise financière a un impact limité au Québec et au Canada. Elle devrait même profiter aux institutions canadiennes en raison de la défection de certains prêteurs étrangers, notamment américains, du financement de grandes transactions.
"On le perçoit déjà. Des firmes américaines et étrangères sont moins présentes. On est en train de travailler sur une transaction, avec une autre banque canadienne, et on est appelé à remplacer un prêteur américain", dit M. Vachon, qui tire cet exemple du financement d'une firme de Montréal.
Ce retrait des institutions étrangères, et donc la diminution de la concurrence, a cependant un effet pervers pour les grandes entreprises: elle augmente leurs coûts des fonds, convient M. Vachon.
Dans le marché des PME et des particuliers, par contre, le PDG de la BN entrevoit encore une féroce concurrence "parce que les banques ne voudront pas montrer une baisse de leurs parts de ce marché traditionnel" dans le contexte actuel et parce que les banques étrangères y sont historiquement moins présentes.
Le surendettement des ménages américains est une autre explication de la crise, dit-il. Louis Vachon rappelle cependant que le marché des hypothèques subprimes est né des pressions politiques sur les institutions financières "pour offrir du crédit à des segments de population qui, historiquement, n'y avait pas accès".
Au Canada, l'industrie des hypothèques n'a pas été dopée, notamment parce que les intérêts sur les prêts ne sont pas déductibles d'impôt comme aux États-Unis, ce qui rend l'achat d'une maison plus coûteux. Les organismes de réglementation canadiens ont également mis un frein aux hypothèques à très long terme ou sans remboursement de capital, dit-il.
Louis Vachon impute également à la réglementation américaine les excès de la titrisation, ce phénomène de regroupement de dettes de toutes sortes dans des portefeuilles d'investissement.
Quoi qu'il en soit, Louis Vachon demeure confiant. Selon lui, le plan de sauvetage de 700 milliards US annoncé vendredi aura un effet psychologique puissant sur le marché. Ce plan a été proposé par Henry Paulson, secrétaire au Trésor américain, et Ben Bernanke, président de la Réserve fédérale.
L'économie québécoise et canadienne ne devrait pas trop souffrir de la crise et tomber en récession, dit-il. En fait foi la bonne tenue de ses entreprises clientes au Québec. "L'économie du Québec tient le coup", dit-il, probablement en raison de sa diversification et d'une culture du crédit plus prudente.


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