Conférence de Louis Dalmas du 31 octobre 2011

La crise, ce que personne ne dit

Crise mondiale - fin du capitalisme

Merci à R. Mougeot de cet envoi.
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Si nous pouvions jeter le regard d’un extra-terrestre sur notre civilisation occidentale, nous verrions émerger deux grandes “poussées expansionnistes” qui semblent refléter le duel séculaire entre la matière et l’esprit. Bien sûr il s’agit d’un schéma qui simplifie grossièrement la réalité, mais il a le mérite de clarifier un peu le “nouveau désordre mondial”.
La matière est représentée par l’économie et tout ce qui s’y rattache, l’esprit par la religion et tout ce qui en dépend. Les deux sont imbriqués l’un dans l’autre. L’économie se gère d’après des doctrines, et la religion s’incarne dans des structures tangibles. Mais les deux espaces existent, et dans chacun d’eux, un élément joue aujourd’hui un rôle moteur : dans le domaine de l’économie, celui de la matière, la force dominante est l’Amérique impérialiste ; dans le domaine de la religion, celui de l’esprit, la force dominante est l’islam totalitaire.
Ce qui est nouveau, dans notre histoire, c’est le pouvoir de nuisance des deux parties, et le fait que ce pouvoir se donne d’une part pour vocation de régir la planète, d’autre part a recours à la violence pour s’imposer.
A partir de cette vision en gros plan, il faut faire l’effort de nuancer, sans préjugés. C’est-à-dire de distinguer ce qui est positif et négatif de chaque côté.
Le positif des États-Unis est la grandeur d’une nation qui suscite admiration et reconnaissance. Admiration pour ses réussites dans les domaines les plus divers de l’activité humaine où elle est à la pointe de toutes les avancées, reconnaissance pour ses interventions dans deux guerres mondiales. Le négatif est la politique d’hégémonie de ses dirigeants, inspirée par une morale de pacotille et un évangélisme de démocratie, qui cherche à asservir le monde à ses seuls intérêts par tous les moyens, même les plus cyniques et les plus dangereux.
Le positif islamique est sa morale de justice sociale, de combat contre la corruption, d’entraide et de solidarité avec les défavorisés. Le négatif est son dogme de déterminisme absolu de la volonté divine qui induit à la notion de fatalité, de fusion du spirituel et du temporel dans la conception de l’ État religieux, d’élimination des infidèles, de guerre sainte comme expression du devoir individuel, de loi intangible aux sanctions disproportionnées (la Charia) et de réduction de la femme à l’état de bibelot masculin.
L’imbrication de ces aspects positifs et négatifs nous oblige à affiner davantage notre image. En particulier à ne pas confondre les peuples et leurs dirigeants. Il est évident que la majorité des Américains ne sont pas des rapaces capitalistes et que la majorité des musulmans ne sont pas des terroristes. Dénoncer globalement un ensemble de population ou une masse de fidèles est une généralisation inacceptable, qui porte en elle les fléaux du racisme et de la guerre, et qui est aussi stupide que les slogans nauséabonds du genre “les Allemands sont des robots disciplinés, les Arabes sont fainéants, les juifs sont radins, les Polonais sont alcooliques ou les politiciens sont tous pourris”. Les généralisations et les amalgames sont une parodie de pensée et une dégradation de la raison, et les gouvernés n’ont pas à être culpabilisés pour les crimes de leurs gouvernants.
Je voudrais que cette sorte de préambule serve de guide dans notre analyse de la crise qui frappe notre Occident. Il nous conduit à laisser de côté, dans cet exposé, l’envahisseur spirituel musulman, qui joue surtout le rôle d’endoctrineur des révoltés et qui n’est donc pas une cause majeure de la crise, pour nous attacher à la première force, la force matérielle de l’hégémonie impérialiste des États-Unis. C’est elle qui est en grande partie responsable de nos difficultés actuelles. C’est elle qui a imposé à l’Occident le système économique néo-libéral, fondé sur une liberté de marché, qui a enfanté un dévastateur cancer financier.
Pour comprendre le mécanisme du système, il faut rappeler quelques éléments d’histoire.
L’argent, à côté du sexe, est un des principaux ressorts de l’activité humaine. Et dans notre système capitaliste occidental, il acquiert une stature proprement divine. Le Dieu argent est l’idole désormais unique de notre société. Or, à travers l’Histoire, ce dieu a changé de visage, à travers l’instrument qui le représente : la monnaie. Il est important d’évoquer l’évolution de la monnaie, car elle est au cœur de la crise actuelle.
La monnaie, facteur de tous les échanges, était au départ matérialisée par un métal précieux, l’or ou l’argent. Peu à peu s’est développé un formidable processus de déréalisation : la monnaie s’est détachée de son fondement matériel. Elle a pris la forme de pièces ou de billets, représentant une certaine quantité du métal précieux, en l’occurrence l’or. Puis ces pièces et ces billets se sont progressivement détachés de leur base physique pour devenir du papier, dont la valeur n’était plus assurée par la possession concrète de l’or. La mutation a franchi une étape importante le 22 juillet 1944 avec les accords de Bretton Woods, qui ont généralisé l’usage de cette monnaie déréalisée, appelée monnaie fiduciaire. A Bretton Woods, les États-Unis ont fait annuler l’étalonnement de la monnaie sur l’or et ont imposé l’indexation sur le dollar.
Mais l’évolution ne s’est pas achevée avec cette décision. A leur tour, les supports tangibles – pièces et billets – ont disparu pour faire place à des écritures comptables (chèques, comptes en banque, cartes de crédit, etc.). C’est ce qu’on appelle la monnaie scripturale, qui représente aujourd’hui 90 % de la monnaie circulant dans le monde.
On comprend l’importance de cette évolution. La plus grande partie de la monnaie n’est plus de l’argent réel que vous avez dans votre poche, elle est une idée ou une image de l’argent que vous avez dans votre tête. Vous ne possédez plus un bien, vous ne possédez qu’une promesse. Celle de transformer l’image en réalité. Et tout le monde sait qu’une promesse n’a de valeur que par la confiance qu’on a en elle. Si la confiance disparaît, l’édifice imaginaire s’écroule. Et c’est l’introduction de ce facteur confiance qui est le talon d’Achille du système.
Mais pourquoi la confiance disparaîtrait-elle ? Parce que la transformation de l’argent en monnaie virtuelle a engendré un monde de manipulateurs de la virtualité, le monde d’une nouvelle féodalité, celle des seigneurs de la finance, celle des banques. Ce monde détaché de la réalité est un monde élitaire et un monde opaque. Henry Ford, le célèbre industriel automobile, a dit un jour : “Si la population comprenait le système bancaire, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin.” Il disait vrai, car dans le monde virtuel, non seulement tout se déroule dans le secret des initiés, mais tout devient possible pour ceux qui savent le manipuler. Ceux-là sont aujourd’hui les maîtres de notre Occident. Ils constituent le nouveau pouvoir mondial : le pouvoir des banques. Ce pouvoir comprend la domination sur la société, l’assujettissement des politiciens, la garantie de privilèges exorbitants, les spéculations hasardeuses et les escroqueries.
Comment se manifeste ce pouvoir ? L’assujettissement des politiciens ne repose pas seulement sur la vénalité de certains d’entre eux. Charles Quint disait avec mépris : “Un homme politique incorruptible est seulement un peu plus cher que les autres.” Il avait raison en partie, mais en partie seulement, car là encore, il ne faut pas généraliser. En fait, la pression des banques est beaucoup plus subtile que la corruption directe. Elle s’exerce sur les carrières, la présence dans les médias, les décisions gouvernementales.
Un petit rappel historique du droit de création monétaire va nous montrer à quel point elle est efficace.
Le 23 décembre 1923, le Congrès des États-Unis a donné à la FED, la banque centrale américaine, le droit de fabriquer de la monnaie. Décision dramatique, car la FED, qui a l’apparence d’une banque nationale, est en fait une banque privée composée de l’association des banques du pays. C’était priver la nation du droit de créer son propre argent. Le président de l’époque, Woodrow Wilson, de nombreux sénateurs, et l’ancien secrétaire du Trésor, Salmon P. Chase, ont gardé toute leur vie le remords d’avoir laissé passer cette loi. Salmon Chase a écrit : “Ma contribution au passage de la loi sur les banques nationales fut la plus grande erreur financière de ma vie. Cette loi a établi un monopole qui affecte chaque intérêt du pays. Cette loi doit être révoquée, mais avant que cela puisse être accompli, le peuple devra se ranger d’un côté, les banques de l’autre, dans une lutte telle que nous n’en avons jamais vue dans ce pays.”
En 1963, le président Kennedy essaiera de s’affranchir de la tutelle bancaire en exigeant l’impression d’une monnaie fédérale. Il sera assassiné juste avant que les nouveaux billets ne soient mis en circulation et ces derniers seront détruits juste après sa mort.
Après Bretton Woods, le dollar n’était plus étalonné sur l’or, mais il pouvait être échangé contre de l’or, comme c’était inscrit sur chaque billet. Le 15 août 1971, le président Nixon a mis fin à cette convertibilité. A partir de là, “les banques américaines pourront fabriquer autant de dollars qu’elles le voudront. Et pour que le monde ait besoin de dollars, il suffira de développer les échanges entre tous les pays.” C’était le début de la mondialisation.
En France, la date fatidique dont on ne parle jamais, est le 3 janvier 1973. Jusqu’alors l’ État pouvait emprunter à la Banque de France à taux zéro, c’est-à-dire sans payer d’intérêt. Une situation normale, puisque la Banque de France était la France. Ce jour-là, le président Pompidou, un ancien responsable de la banque Rothschild, a fait adopter à l’Assemblée – dont les députés étaient sans doute encore engourdis par les fêtes de fin d’année – la décision catastrophique d’interdire à la France de créer sa propre monnaie, ce qui l’obligeait à emprunter aux financiers et aux banques privées. Si l’on calcule le cumul des intérêts des emprunts que la France a du payer au marché privé depuis ce jour malheureux, on arrive à un total de 1.500 milliards d’euros, une somme correspondant à notre dette nationale. Autrement dit, sans cette loi honteuse, la France ne serait pratiquement pas endettée aujourd’hui.
Passons sur le scandale des crédits immobiliers, les titres hypothécaires pourris, le racket des subprimes, le garrottage de la Grèce par les vautours de Wall Street, les spéculations insensées. Ces symptômes ravageurs du cancer financier qui a fait exploser le système, ont inondé tous nos journaux. Contentons-nous d’évoquer une des escroqueries qui est à la base du pouvoir des banques : la possibilité de fabriquer de l’argent ex nihilo, c’est-à-dire à partir de rien.
Le mécanisme est simple. Vous négociez un prêt avec votre banque pour acheter une voiture ou un appartement. Il suffit au banquier de taper la somme sur son ordinateur. Vous lui remboursez la somme au bout d’un certain nombre de mensualités et la dette est électroniquement effacée. Mais ce qui n’est pas effacé, et qui est réellement encaissé par la banque, ce sont les intérêts que vous lui avez payés. Ça, c’est de l’argent frais, nouveau, fabriqué de toutes pièces. Reportez le processus à l’échelle mondiale, et vous aurez une idée de l’enrichissement de votre brave banquier.
Maurice Allais, prix Nobel de science économique en 1988, disait crûment : “Par essence, la création monétaire ex nihilo que pratiquent les banques est semblable – je n’hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici – à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement réprimée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents.”
Notre tableau du pouvoir des banques serait incomplet sans un mot sur les moyens dont il dispose.
Ils sont ahurissants. Grâce aux robots modernes, des transactions boursières de milliards se font en quelques secondes. Avec parfois des ratés, qui ne font que souligner leur puissance. Un de ces ratés mérite d’être raconté, car il illustre à la fois la force et la faiblesse de ces moyens. Le récit, repris par le Canard enchaîné, figure dans un rapport de 140 pages de la SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme de la Bourse US), publié le 30 septembre 2010.
Le 8 mai, à 14 h 32, l’automate qui gère un des fonds de Waddell & Reed, un gestionnaire d’actifs établi au fond du Kansas, décide d’acheter un paquet d’actions. Pour se “couvrir”, le robot est programmé pour vendre simultanément d’autres titres. Pas de chance, ce jour-là, on est en pleine crise grecque, avec menaces sur l’euro. Le cours des titres largués par la machine baisse très rapidement. Flairant la bonne affaire, des centaines d’autres robots américains se mettent à acheter, en quelques dixièmes de seconde, les valeurs bradées. Mais quelques microsecondes plus tard, les mêmes robots constatent que les cours continuent à chuter. Affolés, ils revendent pour réduire leurs pertes. En 14 secondes, note le rapport, les titres ont changé 27.000 fois de mains. Trompé par cette activité factice, l’ordinateur de Waddell & Reed continue à vendre à tour de bras pour respecter la consigne gravée dans son disque dur. Il écoule en quelques minutes pour 4 milliards de dollars de titres. A 14 h 45, le mouvement gagne les marchés financiers classiques de Wall Street. Les ordinateurs sont programmés pour vendre à partir d’un seuil prédéfini. La barre étant franchie, ils ouvrent les vannes alors que personne, en face, ne veut acheter. La contagion gagne, et les machines bradent massivement. Des dizaines de titres sont touchés, certains perdant 60 % de leur valeur. En un quart d’heure, près de 2 milliards d’actions sont échangées dans un chaos complet. L’indice de la Bourse de New York s’effondre de 10 %.
Peu après 15 heures, les humains finissent par reprendre le contrôle de leurs machines. A 16 heures, après la fermeture de la Bourse, les autorités et les opérateurs décident d’un commun accord d’annuler toutes les transactions passées entre 14 h 40 et 15 heures.
Deux leçons sont à tirer de cette édifiante histoire. D’abord que dans le monde virtuel, une technologie redoutable permet de réaliser des fortunes ou de semer la ruine en quelques fractions de secondes. Ensuite que les maîtres de la bulle financière peuvent à leur gré annuler les transactions qui les gênent en risquant de leur faire perdre de l’argent. Les banques et leurs affidés jouissent de droits divins avec des moyens infernaux de les appliquer.
Dans ce monde de fiction criminelle, la haute finance domine la politique de trois façons.
D’abord par la stratégie impériale des États-Unis. Le candidat républicain aux prochaines élections présidentielles américaines, qui est en tête des sondages pour son parti, Mitt Romney, vient de déclarer en toute simplicité : “L’ Amérique doit diriger le monde“. Cette stratégie impériale est fondée sur un système de capitalisme sauvage, d’anarchie libérale, dont les deux principes sont “ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour la planète” et, pour imposer ce concept, “faire la paix si l’on peut, faire la guerre si l’on doit”.
Cette stratégie se traduit par l’élimination de toute résistance nationale par tous les moyens. Cela comprend, par ordre croissant de violence, la pression diplomatique, les campagnes de diabolisation, les sanctions internationales, l’espionnage humanitaire, l’infiltration subversive, le financement des oppositions et l’agression militaire.
C’est ainsi qu’on a démantelé la Yougoslavie, ravagé l’Irak, semé le chaos en Afghanistan, annexé la Côte d’Ivoire et détruit la Libye. C’est ainsi que sont maintenus en tutelle, par les fictions de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne, les États de notre continent. C’est ainsi que sont menacés l’Ukraine, la Bielorussie, la Syrie, l’Iran, le Vénézuéla, la Bolivie, l’Equateur et tous les États dont les chefs manifesteraient des velléités d’indépendance, à l’exception des deux morceaux trop gros pour être avalés, la Russie et la Chine. Tous les moyens que je viens d’énumérer ont été ou sont employés pour discréditer et venir à bout des indociles. Les armes utilisées sont certaines ONG (les Organisations non gouvernementales à buts soi-disant charitables), les innombrables organismes et instituts prétendument destinés à répandre la démocratie, et en fin de compte l’écraseur militaire qui s’appelle l’OTAN, O, T, A, N, l’Organisation Tyrannique d’Anéantissement des Nations. Les moindres réticences sont rongées de l’intérieur par la déstabilisation avant d’être volatilisées par des bombardements.
Cette stratégie impériale, pour pouvoir se développer en toute impunité, a besoin de l’appui du public. C’est là qu’intervient le second paragraphe de sa domination : le conditionnement de l’opinion par le contrôle des médias.
Pourquoi ce conditionnement est-il nécessaire ? Parce que le pouvoir des banques qui inspire cette stratégie, et dont nous avons déjà vu le fonctionnement opaque, ne peut pas en avouer les buts réels, qui sont la protection du dollar, la conquête des sources d’énergie, la multiplication des profits et la soumission du plus grand nombre d’ États possible. Le néocolonialisme doit être occulté par un rideau de bienfaisance, la rapacité impériale doit être présentée comme une croisade de moralité.
Comme les conquistadors de jadis qui maquillaient leurs invasions en rédemption des sauvages, les nouveaux missionnaires doivent dissimuler le bénéfice derrière le bénéfique, en faisant avaler aux masses qu’ils combattent pour le bien contre le mal. Cette immense duperie est le rôle dévolu aux médias dont les slogans de “bataille contre le terrorisme”, de “droit d’ingérence” et de “protection des populations civiles” sont le vernis sucré de la plus formidable entreprise d’hypnotisme collectif et de tromperie que le monde ait jamais connu.
Puisque nous parlons des médias, permettez-moi un petit intermède à ce point de mon exposé.
Vous savez tous que le nom familier d’un journal, c’est le “canard“. Or il ne vient pas du brave palmipède que vous appréciez dans votre assiette, mais d’une expression du vieux français, “bailler un canard“, qui signifiait raconter un mensonge ou faire une promesse impossible à tenir. En 1690, on lit dans le dictionnaire de Furetière : “On dit proverbialement donner des canards à quelqu’un pour dire luy en faire accroire, ne luy pas tenir ce qu’on avait promis, tromper son attente“. En 1845, Gérard de Nerval, dans son “Histoire véridique du canard“, écrit : “Le canard est une nouvelle quelquefois vraie, toujours exagérée, souvent fausse. (…) C’est un désastre, un phénomène, une aventure extraordinaire : on paie cinq centimes et on est volé.“ En 1870, Mérimée, dans une lettre à la comtesse de Montijo, assimile le canard à un ragot déformant la vérité, et Balzac, à son tour, fait dire à Hector, dans “Les illusions perdues” : “Nous appelons un canard un fait qui a l‘air d’être vrai, mais qu’on invente pour relever les faits quand ils sont pâles.“ “Canard“ a donne “canardier“, qui désignait le crieur de journaux, mais aussi le fabricant de fausses nouvelles. Ça n’a pas changé de nos jours. J’ai un ami qui me disait récemment : “mon quotidien ne me sert plus qu’à écraser une mouche ou envelopper le poisson“.
Pourquoi cette parenthèse ? Pas pour dire du mal de mes confrères qui bravent souvent de grands dangers pour exercer leur métier et dont beaucoup rapportent honnêtement ce dont ils sont témoins. Mais pour souligner qu’une veine de désinformation court depuis longtemps dans le rocher du journalisme, pas à la base sur le terrain, mais au sommet, dans les étages de la direction. C’est à ce niveau supérieur que se nouent les complicités, que se décident les positions à prendre, que se définissent les tabous dont on ne parle pas, que s’organisent les campagnes, que se fabrique l’endormissement du public.
Ce n’est pas par hasard que le mot “canard“ évoque une tradition de mensonge. Un mensonge multiforme, qui va du simple choix des sujets à la falsification des faits. Au bas de l’échelle, à part les “scoops” de Voici et les “buzz” des ragots mondains, il existe toujours un journalisme d‘investigation. Mais il se limite en général aux petits scandales personnels que laisse filtrer tel ou tel personnage connu désirant couler un concurrent. Ou à des affaires montées en épingle pour pimenter la saga des “people”, et que le pouvoir finit par étouffer. Ce remue-ménage à courte portée fait croire à une liberté d’expression, et donne bonne conscience à mes confrères. Ils s’imaginent faire preuve de courage en “révélant” une malversation ou une indélicatesse, mais en fait ils remuent une merde ponctuelle qui ne remonte pas plus haut que les doigts de pied. C’est beaucoup plus haut, et plus largement, au niveau des affaires internationales, que s’étale la grande trahison de la vérité. C’est là que le mensonge prend toute sa force, car plus que bousculer une vedette de l’actualité, il dupe des peuples entiers.
Là, la tradition est forte, pour une raison fondamentale : la plupart de nos grands médias ne sont pas indépendants.
A trois égards.
D’abord, à la différence de leurs confrères anglo-saxons, ils font très mal la différence entre le news et les views, c’est-à-dire entre les faits et les opinions, entre le reportage et l’éditorial, entre le compte rendu et le commentaire, entre le journalisme et la politique. Et quand on ne sort pas de ce mélange, l’intérêt de la nouvelle cède forcément le pas aux intérêts des dirigeants. Bon gré mal gré, l’information est biaisée, elle s’imprègne de propagande. La pensée dominante, orientée dans le sens des maîtres, s’impose aux dépens de la réalité.
Ensuite, la vie même de nos grands médias dépend de la publicité. Les responsables ont beau dire que les annonceurs n’influent pas sur leurs rédactions, ils font partie de l’espace de richesse dirigé par les banques, et ils tiennent les cordons de la bourse. Leur soutien est forcément conditionné par certains tabous, ou pour le moins par certaines orientations. Et sans aller jusqu’à évoquer de grandes signatures qui ne sont pas à l’abri de sollicitations rémunérées, il faut tenir compte de la masse de matériel fourni par les directeurs de communication, les agences de relations publiques et les attachés de presse. Une situation malsaine qui infléchit forcément le contenu des médias et ne contribue pas à l’impartialité de leur information.
Enfin, le corpus de la pensée “officielle” pèse aussi lourdement sur ce contenu. De deux façons : par l’autocensure et le mimétisme.
L’autocensure est la convention tacite de ne pas parler de certaines choses pour ne pas choquer, perturber ou offenser des catégories de spectateurs ou de lecteurs. L’extrême prudence en ce qui concerne tout ce qui touche à la religion ou aux origines ethniques en est une illustration. Le mimétisme est la surenchère dans le traitement d’un même sujet, qui donne lieu à d’extraordinaires campagnes où tous les médias disent la même chose en même temps, pratiquement sans vérifier les sources et sans tenir compte des contradictions ou des démentis.
La combinaison de ces deux éléments de la “pensée unique” – autocensure et mimétisme – a conduit à une déformation extraordinaire d’événements et de faits au cours des dernières années. Voici quelques exemples de ce dont nos médias ont parlé de travers ou dont ils n’ont pas parlé du tout.
Le dénigrement de l’ex-Yougoslavie prétendument dirigée par un dictateur fauteur de guerre, assoiffé de Grande Serbie et auteur de nettoyages ethniques, alors que Milosevic n’a jamais attaqué personne, et n’a cessé d’accepter toutes les propositions de paix, de dénoncer chez lui les partisans de la Grande Serbie et de vanter les avantages de sa société pluraliste et multiethnique. Résultat : un honteux bombardement qui a causé d’irréparables dégâts.
L’agression de l’Irak sous le prétexte d’y neutraliser des armes de destruction massive que Saddam Hussein n’a jamais possédées ou qu’il ne possédait plus, et qui a conduit à l’écrasement pour des motifs principalement pétroliers d’un grand État laïque, efficace bastion de résistance à l’intégrisme musulman.
L’utilisation dans les guerres impériales de bombes à fragmentation ou de munitions à l’uranium appauvri qui ont fait de milliers de victimes civiles et pollué des régions entières pour des décennies.
La reconnaissance du plus puissant centre de crime organisé d’Europe par la création d’un État mafieux au Kosovo, dont les dirigeants actuels ont été directement ou indirectement impliqués dans un atroce trafic d’organes humains.
La participation de la France à une guerre totalement inutile en Afghanistan qui n’a eu pour effet que le renforcement de l’adversaire taliban qu’il s’agissait soi-disant de combattre, et qui aboutit, comme en Irak, à un humiliant retrait des envahisseurs étrangers.
Les mythes d’une Tchétchénie glorieusement résistante à l’oppression russe ou d’un Tibet innocente victime de l’invasion chinoise, alors qu’il s’agissait dans le premier cas d’une région sécessionniste sauvagement opposée à la modernité et dans le second d’une féodalité religieuse rétrograde corsetant son peuple.
La farce du renversement ivoirien d’un Gbagbo trop soucieux de son indépendance nationale, écrasé par les forces françaises, et son remplacement préparé d’avance par Ouattara, un pion occidental aux ordres des grandes multinationales, dont le coup d’ État s’accompagne de règlements de comptes sanglants.
Le déclenchement d’une agression – une fois de plus très pétrolière – contre un remarquable rénovateur de la Libye, et son sauvage assassinat après le massacre de milliers de civils par un féroce bombardement, sous le prétexte de soutenir une soi-disant rébellion fomentée de l’étranger, dont les chefs, présentés comme apôtres de la démocratie, sont des militants religieux ou monarchistes, et pour certains, des affidés d’Al Qaeda.
La dévotion à une Europe chimérique dont un prétendu gouvernement fédéral plaqué sur les peuples comme une croûte postiche, achèvera de prouver l’irréalité.
La dénonciation de chefs d’ État réformateurs comme Poutine en Russie, ou Castro, Chavez et Morales en Amérique latine, et leur qualification de dictateurs, parce qu’ils défendent la souveraineté de leur pays face à l’impérialisme américain, et veulent faire profiter leurs peuples de leurs richesses nationales en mettant en œuvre des progrès sociaux.
La béatification du guignol Bernard-Henri Lévy, modèle d’aberration en matière de politique étrangère, qui, après avoir été le chantre de toutes les aventures militaires impériales, en radotant ses slogans droitsdel’hommistes, a déclaré la guerre à Kadhafi à la place de Sarkozy et ridiculisé au passage le constipé Juppé.
Le silence total sur les brillants succès de la stratégie occidentale qui, en à peine un peu plus d’une décennie, a fabriqué à coups de guerres, de bombardements, de soutiens financiers et d’assassinats, six nouveaux États musulmans : la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, l’Irak, la Tunisie et la Libye, avec un septième en vue, l’ Égypte. Un palmarès qui fait la joie dans les mosquées.
J’en passe et des meilleures, il y en aurait trop à énumérer. Mais déjà résumé de cette façon, le bilan est tragique.
On dit que le journalisme est le premier jet de l’Histoire. Si l’Histoire s’inspire de nos médias, elle risque d’être aussi crédible que le compte rendu d’un marathon gagné par un cul de jatte. La politisation des rédactions, l’inféodation aux publicitaires, l’autocensure, le silence imposé aux dissidents et le mimétisme ont rongé notre métier au point que bien des gens ne croient plus à son authenticité. Ils ont raison, car le résultat objectif est que la tradition de mensonge se perpétue. Elle remonte loin.
Les latins parlaient déjà de son double aspect : suggestio falsi (affirmation du faux) et suppressio veri (étouffement du vrai). La différence entre un écrivain et un journaliste est que le premier transforme la réalité en fiction, alors que le second transforme la fiction en réalité. Le journaliste irlandais Cockburn avait une formule qu’il aimait bien répéter ; “Ne croyez aucune information avant qu’elle ne soit officiellement démentie” .
Laissons le dernier mot à Jean Yanne, qui incarnait souvent avec justesse le bon sens populaire. Il disait en rigolant : “Je ne mens jamais, sauf quand je lis le journal à haute voix”.
Je vous ai parlé de trois éléments de la domination bancaire sur notre société. Nous en avons évoqué deux : la stratégie impériale et le contrôle des médias. Le troisième atout dans la main de nos maîtres est la faiblesse de l’opposition. Elle se manifeste dans quatre domaines où, à partir de ce qu’elle propose ou ne propose pas, je voudrais esquisser ce qu’elle pourrait proposer.
Il s’agit des banques, des impôts, de la guerre et de la dette.
Inutile de préciser que je ne vais pas me lancer dans une analyse économique d’ensemble : nous y passerions toute la nuit et de toute façon je ne suis pas compétent pour le faire. Je voudrais simplement, sur chacun de ces points, vous soumettre quelques observations qui, à mon sens, devraient inspirer ceux qui veulent remplacer le gouvernement actuel ou tout simplement agir pour le bien de la société.
En ce qui concerne les banques, la crise actuelle a prouvé à quel point leur pouvoir était indéracinable. Elles ont réussi à imprégner les gouvernements de la terreur de les voir s’effondrer, au point qu’ont été trouvés d’un coup de baguette magique des centaines de milliards pour les renflouer. Des milliards dont une fraction aurait suffi à éradiquer la famine dans une grande partie du monde, et qui étaient refusés aux réformes sociales. Et dont la recherche éperdue à répétition évoque, à une échelle effrayante, le rocher de Sisyphe, ou en plus grotesque, une bande dessinée célèbre de mon enfance, celle du sapeur Camembert. Ce brave militaire avait reçu l’ordre de boucher un trou, et pour le boucher, en creusait un autre qu’il fallait ensuite boucher avec la terre d’un troisième. Et ainsi de suite. Un emprunt est remboursé par un emprunt à rembourser par un emprunt à rembourser par un emprunt à rembourser. Sinistre enchaînement dont les intérêts ne cessent d’enrichir ceux-là mêmes qui ont creusé le premier trou.
Que propose-t-on pour le rompre ? Notre gauche a finalement déterré, sans la nommer, un loi américaine suscitée par le krach de 1929. Le 16 juin 1933, Franklin Roosevelt a fait adopter la loi Glass-Steagall qui établissait une cloison étanche entre les banques de dépôt et les banques d’affaires, plafonnait les intérêts perçus sur les dépôts et interdisait d’utiliser l’épargne privée pour des spéculations risquées. Les principes de cette régulation ont été peu à peu érodés à partir de 1980, sous la pression des banques, pour être finalement abrogés en 1999 par la loi Gramm-Leach-Bliley. Une partie de notre gauche s’en réclame, mais au vu des trahisons passées de la social-démocratie, on peut se demander si ses représentants arrivés au pouvoir auront le courage de les appliquer.
En admettant qu’ils le fassent, ce ne serait qu’un premier pas. Le vrai problème est qu’aujourd’hui les banques contrôlent les États, et qu’il faut casser ce pouvoir en redonnant aux États le contrôle des banques. Cela passe par des mesures beaucoup plus globales qu’une régulation inspirée de la loi Glass-Steagall, comme la réappropriation nationale de tout ce qui a été renfloué, c’est-à-dire carrément des nationalisations, ou le droit rendu à la Banque de France de battre monnaie et de prêter sans intérêt. LLoyd George disait : “On peut tout faire par petits pas mesurés, mais il faut parfois avoir le courage de faire un grand saut ; un abîme ne se franchit pas en deux petits bonds.” Le moment est venu pour la gauche d’entreprendre une offensive sérieuse, ou tout au moins de la revendiquer d’une seule voix, même si l’attaque consiste à violer quelques accords au lieu de chercher désespérément à accorder les violons.
Avec la reprise en main des banques s’imposent une chasse féroce aux dépenses et une totale refonte de la fiscalité. Les Cassandre de la crise se lamentent sur le tarissement des liquidités, l’assèchement des crédits, les défauts de paiements, la banqueroute des Etats. En fait, ils entretiennent au profit du pouvoir bancaire le plus énorme mensonge du siècle. L’argent, il y en a, par centaines de milliards. Il faut simplement le prendre où il est.
D’abord en réduisant son gaspillage. Chaque année, la Cour des Comptes répertorie les sommes jetées par la fenêtre dont les gouvernements ne tiennent jamais compte. Il y a déjà là pas mal d’économies à faire. Mais cette brave Cour des comptes ne parle pas de la plus énorme de ces sommes, de ce torrent d’argent dilapidé dans l’usine à gaz de Bruxelles, cette Europe fictive devenue le fromage à technocrates le plus pharaonique du siècle. Ne parlons pas de la masse de fonctionnaires, de la nuée de bureaucrates, de l’armée de traducteurs, grassement rémunérés aux frais des contribuables, ou des contributions imposées aux États pour entretenir l’illusion continentale. Ce qui est grave, c’est qu’en plein baratin d’austérité nécessaire, on en remet une louche dans les largesses. Non seulement une bonne partie du personnel émarge à plus de 10.000 euros par mois, et un certain nombre d’entre eux ont des retraites de 9.000 euros par mois, mais la baronesse Catherine Ashton, qui fait office de ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne, a trouvé le moyen de revaloriser les salaires de ses 1.500 employés pour 7,5 millions supplémentaires.
Avec la réduction des gaspillages, il faudrait bloquer les fuites de l’économie marginale. Ne parlons pas des blanchiments de l’argent de la drogue. Un rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUOC) vient d’en établir le montant à environ 1.600 milliards de dollars pour 2009, soit 2,7 % du PIB mondial. A ce sujet, on peut se poser en passant une question : la puissance armée de l’OTAN ne serait-elle pas mieux utilisée dans la chasse aux trafiquants que dans des guerres coloniales ?
N’attendez pas la réponse. Parlons plutôt des fraudes.
Le compte rendu annuel de Tracfin, la cellule gouvernementale du renseignement financier, les conclusions du député UMP Dominique Tian remises le 29 juin dernier,
et toujours les rapports de la Cour des comptes, estiment à 20 milliards la fraude sociale (aux prestations sociales, aux prescriptions médicales, à l’assurance chômage, etc.) et à 45 milliards la fraude fiscale. Ce sont déjà des sommes importantes qui font défaut à l’Etat, mais ce sont des broutilles à côté de ce que devrait rapporter une refonte complète de l’échelle des impôts.
Cette refonte devrait tailler à coups de serpe dans la calotte des riches, une calotte qui coiffe la société d’une masse d’argent dont on a peine à imaginer les proportions, et qui appartient à une infime minorité.
En 2010, la totalité de la richesse de notre planète de près de 7 milliards d’habitants était contrôlée par 103.000 personnes. Les 1.000 Britanniques les plus riches détiennent une fortune globale de 452 milliards d’euros. 3.200 milliards de $ s’échangent chaque jour sur le marché des changes (contre 18 milliards dans les années 70). Selon une enquête du Wall Street Journal, les grands leaders de la finance et les traders de la bourse ont obtenu aux USA des rémunérations record de 135 milliards de $ en 2010, une hausse de 5,7 % en un an. Un rapport tout récent, publié le 25 octobre, du Bureau budgétaire du Congrès dit que le 1 % des Américains les plus fortunés ont plus que doublé leur part du revenu national au cours des trois dernières décennies, et après impôts, ont augmenté leurs rentrées d’argent de 278 % entre 1979 et 2007. En France, les salaires et gratifications des patrons du CAC 40, entre autres, atteignent des millions d’euros par an. Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires du 6 octobre 2010, “les niches fiscales et sociales des entreprises représentent un manque à gagner de 172 milliards d’euros par an pour l’ État.” Elles se sont multipliées au rythme de 12 par an depuis 2002. L’impôt sur les bénéfices des entreprises a été réduit de 7,4 milliards d’euros sur la période 2007-2009.
Nous savons tous que l’inégalité entre les classes sociales a existé de tous temps et que le luxe s’est souvent montré choquant. Mais le phénomène a atteint aujourd’hui une effrayante démesure. En une trentaine d’années, l’écart moyen entre la rémunération du dirigeant et le plus bas salaire de son entreprise a été multiplié par 25. Selon une enquête de l’INSEE publiée fin août sous le titre “Revenus fiscaux et sociaux”, le nombre de Français vivant sous le seuil de pauvreté a franchi la barre des 8.173.000 personnes en 2009, en hausse de 337.000 par rapport à 2008. Cela représente 13,5 % de notre population. A l’autre bout de l’échelle, tout en haut, les riches se multiplient dans des proportions encore plus impressionnantes. Toujours selon l’INSEE, entre 2004 et 2007, le nombre de personnes disposant de plus de 500.000 euros “par unité de consommation” a augmenté de 70 %.
Le luxe s’étale en jets privés, yachts gigantesques, demeures princières, pierres précieuses, garde-robes inépuisables et armées de serviteurs, qui ornent le quotidien de la bulle des riches. Un gouffre s’est creusé entre cette bulle et le restant de la société. Ses occupants habitent une autre planète. Une idée de leurs habitudes – et de leurs moyens – est fournie par le marché de l’art. Les transactions dans les grandes salles de vente comme Sotheby ou Christie’s atteignent des chiffres qu’on a peine à imaginer. Les œuvres de certains créateurs se paient des millions de dollars, à des années-lumière de ce que peut s’acheter la masse des citoyens.
A côté de ces fastes, les exigences d’austérité et de rigueur qui étranglent les peuples et les mesures gouvernementales d’économie qui asphyxient les grands services publics, apparaissent non seulement comme des provocations, mais comme des crimes. C’est aux riches qu’il faut prendre l’argent car ils en ont beaucoup. Et qu’on ne nous dise pas que c’est de l’utopie ou du populisme : ponctionner la pellicule fortunée dans l’intérêt de la nation s’est déjà fait dans le plus grand pays capitaliste du monde, les États-Unis. En réponse à la crise de l’époque, Roosevelt avait fixé l’impôt sur les plus hauts revenus à 63 % en 1932, à 79 % en 1936 et à 91 % en 1941. Pendant 50 ans, la moyenne est restée à 80 %. On est loin du bouclier fiscal de Sarkozy, des cadeaux à ses amis du Fouquet’s et de la grotesque taxe de 3 % proposée par le gouvernement.
Nous en arrivons aux deux derniers points qui sont essentiels.
Le premier me laisse à la fois stupéfait et indigné. Voilà une opposition faite de socialistes qui se disent bâtisseurs d’une société nouvelle et de verts qui veulent sauver l’environnement. Or pas un parti, pas un leader, pas un programme, pas un interviewé ne parle de ce qui est la destruction même de tout ce qu’ils prétendent défendre, la ruine de leurs idéaux, le contraire de leurs buts les plus chers. Pas un mot sur le fléau qui décime les peuples et saccage la nature, le fléau qui devrait les émouvoir au cœur même de leurs convictions, qui devrait attiser leur colère. Ce silence ahurissant mesure la débâcle de cette opposition. Elle ne trouve rien à redire à ce qui devrait l’enflammer avant tout autre objectif : je veux parler de la guerre.
Non seulement cette opposition ne s’oppose pas aux guerres de l’OTAN, aux conquêtes impériales, au néocolonialisme pétrolier et aux ravages des bombardements, mais beaucoup de ses membres les ont soutenus. Ils ont applaudi la honteuse agression de la Yougoslavie, le ravage de l’Irak et de l’Afghanistan. Ils se sont vautrés dans les éloges à Sarkozy pour sa criminelle aventure en Libye.
Ce faisant, ils ne font pas que trahir leurs propres raisons d’être. Fouler aux pieds l’essence même de l’écologie. Ils passent à côté d’une des sources les plus criantes de l’endettement international. Leur appui, ou leur ignorance, de la guerre est non seulement un forfait moral ; c’est une faute politique et économique majeure, qui prouve à la fois leur incompétence et leur lâcheté.
Car la guerre coûte cher. Très cher. Elle engloutit les forces et les budgets. Voici quelques chiffres que je dois à mon confrère Jean-Loup Izambert et que nous avons publiés dans le dernier numéro de notre journal B. I. Pour ne parler que de la Libye, le “Groupe de contact” qui comprenait tous les États participant à la campagne criminelle de l’OTAN a fait état en mai 2011 de la création d’un “fonds spécial” pour aider financièrement les putschistes. Dès le début, les sommes virées aux “rebelles” par les Occidentaux et plusieurs pays arabes sont importantes. Et en juillet 2011, le financement des putschistes s’est encore renforcé. Qatar, près de 500 millions d’euros, Italie 400 millions, France 205 millions, Koweit 180 millions, Turquie 70 millions, etc. Ces sommes s’ajoutent à celles déjà versées. Début août 2011, l’aide financière peut être globalement estimée à plusieurs milliards d’euros. Selon François Heisbourg, conseiller spécial de la Fondation pour la recherche stratégique, le coût de l’intervention militaire française peut être estimé à au moins 1,4 million d’euros par jour. Récemment, des annonces officielles ont confirmé que le coût des opérations s’élevait à un minimum de 300 millions d’euros, non compris les livraisons d’armes aux putschistes, non compris le soutien financier direct décidé par l’Élysée, non compris l’engagement de troupes au sol au travers de conseillers militaires et de commandos opérant en civil ou en tenue camouflée. Et tout le monde sait que les annonces officielles sont souvent très en deçà de la réalité.
Et il n’y a pas que la Libye.
En 2009, le coût des opérations militaires extérieures – OPEX– se montait déjà pour la France à 870 millions d’euros. Une somme à peu près équivalente – 867 millions d’euros – a été engagée l’année suivante pour les mêmes OPEX, dont 387 millions d’euros pour l’Afghanistan. Pour 2011 le budget prévoyait une enveloppe de 630 millions d’euros pour les OPEX. Mais à elle seule l’occupation de l’Afghanistan mobilise plus de 470 millions auxquels il faut ajouter les interventions en Côte d’Ivoire et en Libye. Les sommes engagées par la France pour la guerre sont croissantes. De 2003 à 2011, en huit années, les dotations de la loi de finance initiale (LFI) au titre des OPEX sont passées de 24 à 630 millions d’euros tandis que leurs surcoûts, en raison de l’importance de l’engagement dans des opérations militaires extérieures, explosaient de 630 millions à vraisemblablement plus d’un milliard d’euros pour l’année 2011.
Voilà des ressources dilapidées qui contribueraient à la solution de la crise. Au lieu d’anémier les services publics, la santé, l’enseignement ou la recherche, par une politique de réduction de dépenses à courte vue, ou de carrément saigner le peuple comme en Grèce, les États concernés n’ont qu’à mettre un terme à leurs engagements militaires : ils retrouveront beaucoup d’argent gaspillé à semer la misère et la mort.
Enfin, dernière solution aux problèmes actuels : le traitement de la dette. John Adams disait déjà au XIXe siècle : “Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une est par l’épée, l’autre est par la dette”. A l’aune de cette observation, la France est en voie d’être vassalisée. Sarkozy a longtemps été le caniche de Bush en préférant le Pentagone américain à l’hexagone français, aujourd’hui il est celui de Merkel avant de couiner à la porte des Chinois. Nous sommes réduits à l’état de colonie par le poids de ce que nous avons à rembourser. D’après Le Figaro des 1 et 2 octobre, la dette française atteint à la fin du deuxième trimestre de cette année 1.692,7 milliards d’euros, soit 46,4 milliards de plus qu’au trimestre précédent. Et entre 1980 et 2008, les Français ont travaillé pour payer 1.306 milliards d’intérêts créés par les banques à partir de rien. Là encore, on est stupéfait de ne pas voir l’opposition dénoncer ce formidable enrichissement artificiel des banques à nos dépens qui aboutit à la dissolution de notre indépendance, et proposer les réactions draconiennes qui s’imposent.
On peut observer en passant que le principe de l’intérêt perçu sur un emprunt est condamné par les grandes religions sous le nom d’usure. Il est interdit par la Bible dans le Deutéronome, l’Exode, le Lévitique et le Livre d’ Ézéchiel. Il est interdit par le Coran dans les versets de plusieurs sourates. Il est interdit par le Talmud (quoique parfois autorisé pour les non-juifs). Mais vous savez tous que la cupidité se fout de la morale, il est donc inutile d’insister.
Cela dit, puisque toute la géopolitique impériale se drape dans la moralité de la lutte du bien contre le mal, on peut tout de même souligner l’immoralité profonde de ces intérêts. D’autant plus qu’ils sont fixés de façon arbitraire, et avec des différences colossales, selon les indications des agences de notation, qui déclenchent une spirale mortelle : un pays qui a des difficultés à rembourser devra payer des intérêts accrus, ce qui augmente encore ses difficultés, et ainsi de suite.
Tout cela est évidemment inacceptable. Le célèbre poète allemand Friedrich Schiller écrivait en 1785 : “Que les dettes soient abolies et le monde entier réconcilié !” Par une superbe ironie du sort, ce vœu figure dans un des couplets de l’“Ode à la joie” de Beethoven, devenue l’hymne de l’Union européenne. Comme si les deux génies de la littérature et de la musique indiquaient la voie à suivre au cœur même d’un des édifices que la crise fait chanceler.
Une voie qui, comme dans le cas de l’impôt sur les grandes fortunes, a des précédents.
Au moment de la Révolution française, la dette nationale s’élevait à plus de 80 % du PIB, une proportion de peu inférieure à celle d’aujourd’hui, qui est de 84,5 % du PIB. Le déficit de l’ État était de 20,63 % contre 25,5 % en 2010. En 1797, le Directoire décida ce qu’on appela la “Banqueroute des deux tiers”, c’est-à-dire qu’il ne paya une rente que sur un tiers de la dette, le reste étant effacé.
On peut aussi citer l’Argentine qui, entre 1998 et 2002, au moment de la crise majeure qui risquait de faire imploser le pays, se résolut à une refonte complète de ses engagements internationaux. Le président de l’époque, Nestor Kirchner, rompit les négociations avec le Fonds monétaire international et refusa de payer 95 milliards de $ de dettes. Résultat : le 25 octobre dernier, le New York Times a décrit le boom actuel argentin : 8 % de croissance prévu pour cette année (la plus rapide de toute l’Amérique latine) ; un niveau record de l’emploi ; la pauvreté réduite de moitié depuis 2007.
Dans les deux cas, le rejet courageux du chantage des créanciers a permis au pays de retrouver la santé de son économie.
La solution s’impose donc d’elle-même. Les États doivent s’affranchir du pouvoir des banques. Le cercle vicieux des trous creusés pour en remplir d’autres doit être brisé. Dettes et intérêts doivent être annulés, en tout ou en partie. Il faut refuser de payer les faux monnayeurs et les étrangleurs de peuples. Cette nécessité est si criante que, contraints et forcés, Merkel et Sarkozy viennent de décider un moratoire sur la moitié de la dette grecque, malheureusement accompagné d’une recapitalisation des banques sans prise de possession qui va encore voler quelques centaines de milliards aux contribuables.
En conclusion, pour reprendre le célèbre discours de Martin Luther King, nous pouvons aussi faire un rêve. Celui d’un gouvernement dont les membres ne se seront pas contentés de brandir le poing dans des réunions électorales, mais l’abattront avec force sur la table pour imposer des décisions.
Partager les établissements financiers en banques d’affaires et en banques de dépôts. Réglementer les spéculations des unes, interdire les spéculations aux autres.
Habiliter de nouveau la banque nationale à créer la monnaie et à accorder des prêts sans intérêts.
Appliquer la taxe Tobin à toutes les transactions financières, mais à un taux sérieux.
Supprimer les dépenses inutiles, en particulier celles concernant l’ectoplasme européen. Imposer lourdement les hauts revenus. Pourchasser énergiquement les fraudes en tous genres.
Arrêter les guerres. Mettre fin aux engagements militaires. Dissoudre l’OTAN, qui n’a plus de raison d’être, ou tout au moins en sortir comme l’avait fait de Gaulle.
Annuler les dettes souveraines, en tout ou en partie. Rendre à l’ État, en le retirant aux banques et aux agences de notation, le soin de fixer les intérêts des emprunts et les montants des remboursements éventuels.
Imposer l’entrée de l’ État dans le capital des banques ou leur nationalisation, selon l’importance des renflouements.
“Vaste programme”, comme disait de Gaulle. Celui d’une France retrouvant sa souveraineté et servant de nouveau d’exemple. Qui n’a hélas aucune chance d’être appliqué par nos politiciens. Les banques continueront à éroder les indépendances nationales et à imposer leur profitable mondialisation à des eurolâtres paniqués. Les traders de la bourse spéculeront de plus belle. Les gouvernements dilapideront l’argent qu’ils arracheront aux peuples. Les riches s’enrichiront de plus en plus en recommandant de saigner les pauvres. L’opposition ne sortira pas du système et se satisfera des rustines d’un réformisme édenté.
Pourtant ce sombre tableau n’est pas dépourvu d’une lueur d’espoir. J’ai écrit deux livres pour décrire le gouffre qui s’est creusé entre les peuples et leurs dirigeants et pour expliquer qu’une explosion se produirait inéluctablement un jour ou l’autre. On assiste aux prémisses de cette explosion. Les peuples commencent à s’irriter. Les dupes se réveillent. Les émeutes de la faim éclatent dans le Tiers monde. Les “printemps arabes“ sont infiltrés par des récupérateurs à la fois occidentaux et islamiques, mais ils ont sonné le tocsin d’un soulèvement spontané. Il y a les “indignés” qui manifestent leur colère dans de nombreux pays. Une colère encore balbutiante, peu structurée, brouillonne, mais significative. Une colère qui sera dans un premier temps réprimée, ou édulcorée par son intégration au système, mais qui continuera à fermenter. Les injustices sont trop flagrantes, elles alimenteront de plus en plus la rage des exploités. Indignations et révoltes sont des signes : elles font partie de notre avenir. Leurs étincelles ont mis le feu aux poudres. Ca mettra peut-être du temps, mais l’incendie qu’elles ont allumé se propagera.
Pour finir, et pour vous détendre un peu après ce long exposé, je vous propose un sourire à propos de Sarkozy.
Vous pouvez étaler votre érudition dans les dîners en ville en le définissant ainsi : un glossolalique atteint de TOC, pratiquant la xylologie dans la chrématistique à coups de zeugmes et d’apories.
Vous n’avez pas compris ? je traduis, grâce au Larousse. Un malade mental usant d’un vocabulaire inventé, atteint de troubles obsessionnels compulsifs, pratiquant la langue de bois dans la recherche de richesses à coups d’accidents de style et de contradictions. Les mots sont exacts, vous pouvez les trouver dans le dictionnaire.
Nous, nous resterons fidèles à une pensée de Lao Tseu : “Le courage d’une goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert.”
Merci.
Louis DALMAS
Directeur de B. I.
Conférence du 31 octobre 2011, à l’invitation du site « Enquête et Débats ».


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