La conscience historique

Tribune libre

Le ministre de l’Enseignement supérieur Pierre Duchesne et la ministre de l’Éducation Marie Malavoy ont annoncé au début de la semaine un ensemble de décisions quant au renforcement de l’enseignement de l’histoire nationale. D’abord, Monsieur Duchesne a confirmé l’implantation d’un cours d’histoire nationale obligatoire pour tous au cégep dès la rentrée 2014. À cet effet, un comité de consultation – qui demandera un avis au Conseil supérieur de l’éducation et qui dirigera des consultations publiques à l’hiver – a été mis sur pied afin de remettre des propositions en décembre notamment quant à la réorganisation de la formation générale que rendra nécessaire un tel projet. Malgré un délai considéré trop court par certains et une faisabilité mise en question par d’autres en raison de programmes auxquels il serait difficile d’ajouter des heures de cours, le ministre va de l’avant avec l’intention de valoriser la mémoire collective québécoise et de contrer le cynisme via, selon ses dires, une discussion sur «ce qui nous définit». Pour sa part, Madame Malavoy a elle aussi annoncé une démarche de consultation pour modifier le programme d’histoire au primaire et au secondaire dans l’optique d’offrir une formation historique plus riche orientée sur la valorisation de l’identité et de la culture québécoise. À cet égard, deux experts, le sociologue Jacques Beauchemin et l’historienne Nadia Fahmy-Eid, auront le mandat d’aller à la rencontre de la population ainsi que d’acteurs du milieu de l’éducation et de remettre un rapport au mois de décembre; rapport qui orientera par la suite les projets pilotes qui seront implantés dans certaines écoles dès l’automne 2014.
Comme nous le savons l’histoire et les questions identitaires au Québec sont des sujets chauds qui créent de vifs débats et qui poussent de nombreux individus et groupes à prendre position dans les différentes tribunes. À titre d’exemple, dans l’article «La finance avant l’histoire!» publié dans La Presse le 15 mai 2013, Pierre-Yves McSween proposait d’inclure un cours sur la finance plutôt que sur notre histoire nationale dans la formation collégiale. Bien qu’il mentionnait lui-même l’importance de la compréhension du passé historique pour éclairer le présent, «[l]’avenir d’un citoyen passe indubitablement par sa gestion des finances personnelles, mais aussi par sa compréhension des risques et des menaces de son environnement économique […]» nous dit-il. Même si cette dernière proposition est indéniable, selon moi, «comprendre le monde» dans lequel on vit implique obligatoirement (comme le défend actuellement le PQ) un détour par le passé qui constitue la clé pour déchiffrer où nous en sommes à l’heure actuelle et où nous voulons aller demain.
«Comprendre le monde», c’est également prendre conscience qu’il nous faut individuellement autant que collectivement remettre en question les «règles du jeu dans la partie de Monopoly mondiale» qui semblent, aux yeux de Monsieur McSween, aller de soi comme des lois naturelles auxquelles on doit se soumettre. «Outiller les citoyens pour le futur» devrait davantage reposer sur le fait de développer leur capacité critique face à un monde au cœur duquel on a tendance à tout analyser à travers le filtre de l’économie de manière indue. «Créer de la valeur et de la richesse» ne devrait pas obligatoirement passer par la seule sphère monétaire individuelle. Bien au contraire, c’est en assumant de manière critique et en perpétuant un bagage historique commun que les citoyens de tout horizon culturel (il va sans dire) seront à même de donner une réelle valeur à ce qu’ils réalisent sur le plan individuel.

Par ailleurs, visiter notre histoire nationale au Québec ne veut pas nécessairement dire, comme l’affirme Monsieur McSween, se complaire dans la vision passéiste selon laquelle nous aurions été dans le passé «nés pour un petit pain» et risquerions d’y replonger comme les moutons de Panurge. Gagner son indépendance à l’heure actuelle, c’est rester vigilant face à des discours à œillères qui ne considèrent que la dimension économique de la réalité; visions réductrices qui, si elles sont fermées aux autres sphères (notamment historique) sont selon moi néfastes à une réelle compréhension de la complexité des enjeux de la société québécoise contemporaine. C’est pour cette raison que je salue l’initiative actuelle du PQ de favoriser de manière non partisane la prise de conscience historique de la jeunesse québécoise d’aujourd’hui; initiative qui, si elle est menée à bien, permettrait, à long terme, d’améliorer l’estime de soi pour le peuple québécois qui ressens encore parfois malgré lui un sentiment diffus d’ambivalence par rapport à sa propre identité. Il va sans dire que l’histoire n’est pas simple à aborder et que sa compréhension ne sera jamais parfaite, mais je crois que c’est en visitant le passé et en favorisant la réflexion que nous serons le mieux outiller pour affronter les défis du présent et ceux que nous réserve l’avenir. Sans quoi, le «monde Monopoly» décrit par l’auteur de «La finance avant l’histoire!» se transformera rapidement en monde réellement à «Risk».
Détenteur d’un Baccalauréat en sociologie à l’UQÀM et candidat à la Maîtrise en sociologie à la même université, je me dirige vers l’enseignement de la sociologie au collégial.


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1 commentaire

  • Gaston Boivin Répondre

    3 septembre 2013

    Bravo monsieur Beaudoin-Guzzo pour votre texte très éveillé et qui décrit bien le dormitif qu'on administre aux Québécois depuis plusieurs années,... l'équivalent de ce que le vétérinaire donne au chien, qu'on lui apporte, pour l'euthanasier.