L’optimisation fiscale des multinationales, mise en lumière par les Paradise Papers, fait partie du système capitaliste actuel qui accentue la concentration de la richesse mondiale et génère « une situation explosive », a expliqué à l’AFP le prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus.
« Le système capitaliste qui a conduit à tous ces problèmes comporte un défaut majeur qui est la concentration de la richesse », estime l’économiste bangladais lors d’un entretien à l’occasion de la sortie de la version française de son livre Vers une économie à trois zéros (JC Lattès).
« Plus vous en avez, plus vous en gagnez. C’est le système », explique M. Yunus, vêtu d’une kurta beige, depuis la tente dressée dans les jardins de la Cité universitaire internationale de Paris où il participe au Global Social Business Summit.
« L’évasion fiscale fait partie du problème, absolument ! » s’écrie-t-il. « Le jeu consiste à faire plus d’argent », s’agace-t-il en s’en prenant directement aux plus grandes fortunes mondiales, qu’il ne cite pas. Mais il renvoie à une étude publiée en janvier par l’ONG Oxfam qui dénonçait la concentration « indécente » de la richesse entre les mains de huit personnes.
Il s’agit de l’Américain Bill Gates (fondateur de Microsoft), l’Espagnol Amancio Ortega (Inditex, maison mère de Zara), Warren Buffet (p.-d.g. et premier actionnaire de Berkshire Hathaway), le Mexicain Carlos Slim (magnat des télécommunications latino-américaines), Jeff Bezos (fondateur et p.-d.g. d’Amazon), Mark Zuckerberg (p.-d.g. et cofondateur de Facebook), Larry Ellison (cofondateur et p.-d.g. d’Oracle) et Michael Bloomberg (fondateur et p.-d.g. de Bloomberg LP).
Il n’y a pas que de l’égoïsme dans l’être humain. Il y a aussi de l’altruisme. Il faudrait créer des entreprises qui répondent aux problèmes des gens, qui ne font pas de l’argent pour elles-mêmes.
L'économiste bangladais Muhammad Yunus
Aux yeux de M. Yunus, prix Nobel en 2006 pour son combat pour sortir des millions de familles de la pauvreté grâce au microcrédit, les plus riches se livrent à « une compétition pour se présenter comme des hommes à succès ».
« Pourquoi ne devraient-ils pas payer des impôts ? Parce qu’ils ont besoin de beaucoup d’argent. Ils ne veulent pas partager, parce que plus leur richesse est grande, plus ils peuvent la multiplier rapidement », s’agace l’économiste.
Selon Oxfam, il faudrait à l’homme le plus riche du monde 2738 ans pour dépenser sa fortune au rythme d’un million de dollars par jour.
« Et que faites-vous de cet argent ? Vous le mangez ? Vous en profitez ? Vous achetez des centaines voire des milliers d’automobiles ? Cela n’a pas de sens », assure-t-il.
« Vous mangez toujours la même nourriture. Vous n’allez pas en manger 10 000 fois plus », ajoute-t-il, soulignant les dangers de concentrer cette richesse entre les mains de quelques-uns.
« Une bombe à retardement »
« La situation est explosive. C’est une bombe à retardement », prévient-il. « Si nous n’intervenons pas, elle explosera, parce que la société est très en colère », dit-il, citant le Brexit et de la victoire de Donald Trump aux élections américaines.
« Cette colère s’exprime encore de manière politique, mais elle pourrait devenir violente. Qui sait ? » prévient-il, fustigeant au passage les « politiciens qui profitent de la colère pour l’utiliser à mauvais escient ».
« La concentration s’effectue à l’intérieur des pays. Même si vous construisez des murs, cela ne l’arrêtera pas », ironise-t-il, en allusion à la volonté de M. Trump de construire un mur à la frontière mexicaine pour empêcher l’arrivée de migrants.
Miser sur l’altruisme
Face à cette situation, il appelle à corriger les défauts du capitalisme.
« Il n’y a pas que de l’égoïsme dans l’être humain. Il y a aussi de l’altruisme, souligne-t-il. Il faudrait créer des entreprises qui répondent aux problèmes des gens, qui ne font pas de l’argent pour elles-mêmes. »
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir