La colère albertaine autour de Trans Mountain

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La Confédération canadienne : un État artificiel en crise institutionnelle

Le gouvernement albertain a récemment pris la décision de ne plus offrir des vins de la Colombie-Britannique dans les succursales de sa société des alcools. Ce boycottage vise à faire réagir le gouvernement britanno-colombien qui s’oppose à l’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain par l’entreprise texane Kinder Morgan pour acheminer du pétrole de l’Alberta vers le Pacifique.



Ce conflit, en apparence limité aux provinces de l’Ouest, donne un bel exemple des dynamiques politiques qui s’installent dans la fédération canadienne à l’heure de la lutte contre les changements climatiques. L’impact sur l’économie britanno-colombienne sera sans doute minime : les 17 millions de bouteilles qu’importe l’Alberta chaque année constituent moins de 0,5 % de la valeur totale des exportations de la Colombie-Britannique. Qu’à cela ne tienne. La campagne de la première ministre albertaine, Rachel Notley, a d’ailleurs fait son chemin jusqu’au Québec, où certains ont annoncé la semaine dernière qu’ils étaient heureux de contrecarrer ce boycottage et de soutenir la Colombie-Britannique en achetant du vin de cette province.



Les pressions économiques de l’Alberta ne sont que le dernier des chapitres d’une longue bataille entre les deux provinces, qui prend maintenant des allures de guerre commerciale. Au coeur du litige : l’oléoduc Trans Mountain qui doit ainsi tripler sa capacité à transporter du pétrole brut et raffiné d’Edmonton jusqu’au port de Vancouver. Le gouvernement fédéral a autorisé le projet à aller de l’avant, comme il a déclaré qu’il était compatible avec ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre. L’exportation des ressources naturelles canadiennes par le Pacifique vers les États-Unis et l’Asie est une « nécessité absolue », selon le premier ministre Justin Trudeau, qui conçoit aussi que l’élargissement de l’oléoduc aille dans le sens de « l’intérêt national ».



La guerre des rosés



Cette « guerre des rosés », comme elle a été appelée au Canada anglais, révèle bien plusieurs des enjeux liés au fonctionnement du fédéralisme canadien aujourd’hui. Elle montre d’abord l’enchevêtrement des compétences fédérales et provinciales. Les provinces détiennent les pleins pouvoirs sur les ressources naturelles qui se trouvent sur leur territoire — ce qui inclut l’exploration, le développement et la mise en marché de ces ressources. En contrepartie, le gouvernement fédéral a pleine compétence sur le commerce et les infrastructures interprovinciales — comme les oléoducs. Ce partage des compétences se complexifie quand on considère en plus la question de l’environnement, une responsabilité partagée entre les deux ordres de gouvernement. Dans le dossier qui nous concerne, la Colombie-Britannique adopte une posture juridique solide lorsqu’elle invoque sa responsabilité de préserver son territoire d’une catastrophe écologique.



Non seulement l’impasse actuelle en ce qui concerne Trans Mountain révèle-t-elle les difficultés qui définissent la prise de décision dans le cadre du fédéralisme canadien, mais elle montre aussi la forte influence des provinces, et particulièrement de l’Alberta, dans l’orientation des politiques énergétiques au pays. Dans les années 1980, le gouvernement de Trudeau père avait adopté un programme énergétique national qui devait promouvoir l’autosuffisance pétrolière canadienne en favorisant le maintien de prix bas pour les produits pétroliers. La mise en oeuvre de cette politique avait suscité le mécontentement des provinces productrices, comme l’Alberta, qui avait alors dénoncé l’intrusion des autorités fédérales dans un champ de compétence provincial. Aujourd’hui, elle revendique précisément ce qu’elle avait alors dénoncé : qu’Ottawa force la main d’une province pour le bien supposé du Canada au complet.



Le gouvernement néodémocrate albertain n’a pas le luxe d’attendre que la Colombie-Britannique procède à de nouvelles études sur les risques de ce projet : sa réélection l’an prochain en dépend. Son opposant conservateur Jason Kenney fait ses choux gras de l’incapacité de Notley à trouver une solution à ce problème. Par ailleurs, une attitude trop laxiste pourrait aussi coûter cher aux néodémocrates qui contrôlent le gouvernement de la Colombie-Britannique avec l’appui d’une poignée de députés du Parti vert. Les libéraux fédéraux hésitent également à se montrer trop fermes envers cette province, où ils détiennent un nombre plus élevé de sièges qu’en Alberta.



Boycottage vinicole ou non, le projet d’élargissement de l’oléoduc continuera de retenir l’attention des Canadiens durant les prochaines années. Après l’abandon du projet Énergie Est et le blocage du Northern Gateway, tous les yeux sont rivés sur le port de Vancouver. Selon toute vraisemblance, l’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain ira de l’avant. « La Colombie-Britannique ne sera pas autorisée à se mettre au travers de son chemin », annonçait la semaine dernière le ministre fédéral des Ressources naturelles, James Carr, ajoutant qu’« aucune province ne peut empiéter sur l’intérêt national ». Si on assume que le rôle du gouvernement fédéral est de préserver cet intérêt, comment alors le définir ? Doit-il s’aligner sur l’économie (par la création d’emplois et les revenus qui découlent de l’élargissement de l’oléoduc) ou sur l’environnement (par la préservation des côtes et des cours d’eau de leur contamination par les produits pétroliers) ?


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