Commission Charbonneau

La classe politique est mise en cause

Zambito relie deux anciens hommes forts de l’administration Tremblay à un système de corruption à Montréal

Commission Charbonneau et financement illégal des partis politiques


La commission Charbonneau a ouvert la porte politique de l’Hôtel de ville de Montréal mardi. L’ex-entrepreneur Lino Zambito s’y est faufilé en écorchant l’ancien bras droit du maire, Frank Zampino, ainsi que l’ex-directeur général de Montréal, Robert Abdallah, l’un pour son ingérence politique dans l’octroi d’un contrat, l’autre pour s’être enrichi au passage.
Après avoir montré du doigt la veille le parti Union Montréal, voilà que M. Zambito a impliqué deux des hommes forts de l’administration Tremblay. Frank Zampino et Robert Abdallah ont tous deux nié ces allégations, les qualifiant de ouï-dire. MM. Zampino et Abdallah ont dit qu’ils contacteraient leurs avocats.
Selon M. Zambito, les deux hommes auraient été impliqués dans le système de corruption à grande échelle pour l’octroi des contrats municipaux qu’il décrit depuis la semaine dernière devant la commission Charbonneau. La revue des 70 procès-verbaux dressés lors de l’ouverture de soumissions auxquelles l’ex-dirigeant d’Infrabec a participé a permis de pointer des contrats litigieux.
Ainsi, Lino Zambito a indiqué qu’en 2005, une soumission pour démolir un viaduc dans l’est de Montréal pour y construire un carrefour giratoire a fait l’objet d’une « commande politique ». Seulement quatre entreprises avaient déposé une soumission, alors qu’il s’agissait d’un important projet d’infrastructure. De plus, les entrepreneurs étaient mécontents de devoir « laisser aller ce projet-là ».
M. Zambito a raconté avoir reçu le traditionnel appel venant du concurrent désigné d’avance comme gagnant puisqu’il s’agissait d’un appel d’offres truqué. Ce pourrait être Frank Minicucci, un proche de l’entrepreneur Tony Accurso, qui lui a demandé de passer son tour, a affirmé M. Zambito.
De fait, c’est l’entreprise de M. Accurso Simard-Beaudry qui a obtenu le contrat. Les plans et devis ainsi que la surveillance du chantier ont été réalisés par le Groupe Séguin (aujourd’hui Génius) de l’ingénieur Michel Lalonde.
« L’information qui était véhiculée chez les entrepreneurs, c’est que la commande politique venait directement de M. Zampino », a expliqué M. Zambito, dont la firme Infrabec a fait faillite l’année dernière.
Frank Zampino occupait alors la présidence du comité exécutif de Montréal. Il était l’homme de confiance de Gérald Tremblay, qui a d’ailleurs versé une larme lorsqu’il a quitté la vie municipale en 2008.
M. Zampino s’est alors joint à la firme de génie-conseil Dessau. Mais lorsqu’il a reconnu avoir voyagé à deux reprises sur le yacht de luxe de Tony Accurso en plein processus d’octroi du contrat des compteurs d’eau - Dessau et Simard-Beaudry de M. Accurso étaient partenaires pour remporter l’appel d’offres -, M. Zampino a quitté l’entreprise afin de limiter les dommages commerciaux pour Dessau.
Le printemps dernier, l’ex-président du comité exécutif a été accusé de fraude dans le scandale immobilier du Faubourg Contrecoeur. Le promoteur est Construction F. Catania, désigné par ailleurs par Lino Zambito comme faisant partie du groupe d’entrepreneurs contrôlant les contrats d’égouts à Montréal.

Une enveloppe de 300 000 $ à Abdallah
Plus tôt dans la journée, Lino Zambito a mis en cause Robert Abdallah, qui a été directeur général de la Ville de Montréal de 2003 à 2006. La fonction est fondamentale dans une administration municipale de l’ampleur de Montréal. La direction générale est responsable de l’ensemble de la fonction publique et joue le rôle de passerelle entre les employés et le politique afin d’éviter quelque ingérence que ce soit. Ce poste est toutefois intimement lié au maire puisqu’il est le porteur administratif de la vision politique du maire et de son équipe.
Selon M. Zambito, Robert Abdallah aurait empoché 300 000 $ à même les « extras » bidon imposés à un contrat mené par Infrabec. Vers 2005, Infrabec avait soumissionné pour la construction d’un collecteur d’eau dans l’est de Montréal. Peu après l’ouverture de la soumission, Michel Lalonde, du Groupe Séguin, aurait contacté Lino Zambito pour le convaincre que sa proposition de « couler des tuyaux sur place » ne convenait pas pour ce projet. M. Lalonde aurait expliqué que pour obtenir le contrat, M. Zambito devait nécessairement utiliser les tuyaux de béton armé (TBA) du fournisseur Tremca, de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Mais voilà, ces tuyaux augmentaient le coût de réalisation du chantier. « J’ai dit que je n’avais pas le budget pour ça, que ce n’était pas ma solution », a expliqué M. Zambito à la commission Charbonneau.
L’ingénieur Lalonde aurait insisté tout en lui indiquant que des « extras » seraient facturés et combleraient le coût supplémentaire. Cela se ferait donc à coût nul pour Infrabec.
Selon M. Zambito, M. Lalonde aurait également affirmé que cela se faisait à la demande de Robert Abdallah, à qui l’argent était destiné. « C’est clair pour moi qu’il y avait une entente », a affirmé Lino Zambito. « Les tuyaux doivent être achetés chez Tremca. On va te compenser. Et la différence de 300 000 $, c’est le montant que les gens de Tremca, M. Caron, doivent remettre à M. Abdallah pour que le contrat soit octroyé par la Ville de Montréal », s’est remémoré Lino Zambito.
Lorsque Robert Abdallah a quitté la Ville de Montréal, le maire Tremblay a salué ses compétences. « Grâce à la collaboration de Robert Abdallah, de grands pas ont été faits. Il a transformé la gestion de la Ville et contribué à bâtir le nouveau Montréal », avait alors soutenu le maire Tremblay.

D’autres élus corrompus
En toute fin d’après-midi, Lino Zambito a effleuré le monde politique provincial. Il a donné un aperçu de la suite de son témoignage qui se poursuit mercredi et qui touchera vraisemblablement au financement des partis politiques provinciaux.
Aux questions des commissaires sur l’état de la corruption dans les contrats du ministère des Transports (MTQ), M. Zambito a d’abord indiqué qu’un autre cartel d’entrepreneurs s’en occupait. Il a précisé qu’il est difficile de s’y installer. « C’était une bataille continuelle », a souligné l’ex-entrepreneur.
M. Zambito a également pointé en direction des firmes de génie-conseil qui auraient la main haute sur les projets du MTQ.
Selon lui, c’est « une autre dynamique ». Le lien entre les firmes et les entrepreneurs mène directement au financement occulte des partis politiques provinciaux, a-t-il lancé.
M. Zambito a également laissé tomber que Montréal n’était pas le seul terreau propice à la collusion et à la corruption. Et que hors de l’île, au MTQ et à Laval, par exemple, la mafia a un autre visage. Il y aurait des « demandes politiques » faites aux entrepreneurs. « À certains endroits, le rôle du crime organisé était joué par des élus », a-t-il déclaré.
Rapidement, les commissaires ont bloqué cette voie, le temps de terminer le tour du jardin montréalais.


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