La chasse aux artistes

Harper et la culture


Depuis le début de la saison de la chasse aux artistes, le 8 août dernier, des voix extraordinairement diverses se sont élevées un peu partout au Canada pour souligner la profonde bêtise des coupures de programmes de soutien à la culture annoncées à répétition par le gouvernement conservateur.
Des pages éditoriales des grands quotidiens jusqu'aux regroupements d'artistes en passant par le Conseil des Arts du Canada ou le Conference Board, des arguments excessivement bien documentés ont fait ressortir l'importance économique, diplomatique et identitaire de la production artistique québécoise et canadienne.
Mais de toute évidence, si le chasseur sait viser -- quinze programmes tués ces derniers mois! --, il est un peu dur d'oreille. Tandis que ces figurants que sont les ministres Verner, Fortier, Cannon et Blackburn regardent le train passer la bouche ouverte et les bras croisés, le chef d'un gouvernement minoritaire -- élu, rappelons-le, par à peine 18 % de la population canadienne -- décide de gratter le dos des éléments les plus réactionnaires de son parti, et s'arroge le droit de bûcher dans des programmes dont l'impact et la rigueur ont été confirmés encore tout récemment.
Sans raison
Le gouvernement Harper a peut-être le droit légal d'éliminer tous les programmes de subvention qui obsèdent ses députés les plus intolérants. Mais nous avons, je crois, le devoir de répéter -- en particulier d'ici à la très prochaine élection générale -- à quel point les choix courants de ce gouvernement ne reposent sur aucun argument rationnel, et à quel point leur légitimité est fragile.
Il y a une quinzaine de jours, le Globe and Mail a obtenu, grâce à la Loi sur l'accès à l'information, la copie d'un avertissement -- confidentiel, bien sûr -- adressé par le gouvernement Harper aux organisateurs des Jeux olympiques de Vancouver: les cérémonies d'ouverture devront refléter adéquatement les valeurs et les priorités du gouvernement du Canada. Comprenons-nous bien: pas les valeurs des citoyens canadiens, mais bien celles d'un gouvernement dont M. Harper espère sans doute qu'il soit conservateur et majoritaire.
À la lumière des coupures récentes, à la lumière des promesses confuses et incomplètes de vagues programmes de remplacement faites par la ministre du Patrimoine canadien, je tiens à dire, pour ma part, que je ne souhaite pas que la production culturelle canadienne reflète les valeurs et les priorités de M. Harper et de ses alliés les plus bornés. Surtout pas.
Les idées
Oui, la chasse est ouverte. Mais plus qu'une chasse aux artistes, c'est maintenant une chasse aux idées, une course qui vise à censurer la liberté d'expression, à réduire les possibilités de circulation de la culture canadienne à l'étranger, à effacer graduellement du paysage artistique des éléments «gauchisants» et «radicaux», pour reprendre les termes même de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Canada.
C'est une chasse morale et idéologique. À nous de rappeler au gouvernement Harper que nos gouvernants sont élus pour représenter l'ensemble d'une population, et non les minorités extrémistes dont ils sont parfois issus. Que nos gouvernants sont les dépositaires temporaires de nos taxes et de notre confiance, que le pouvoir ne leur appartient que dans la mesure où il se fonde sur des valeurs ouvertes et généreuses.
***
Ce message a été lu lors du rassemblement organisé par le Mouvement pour les arts et les lettres, mercredi à Québec, dans le cadre de la dénonciation des compressions budgétaires du gouvernement conservateur dans le secteur des arts et de la culture.
***
Robert Lepage, Metteur en scène et directeur artistique de la compagnie Ex Machina


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->