La chanson au Québec : un relais pour l’avenir

Bref, l’espoir d’un monde meilleur, toujours, se relaie… et se chante !

2010 - nos disparus

Sans être stratégiquement idéologique, la chanson politique 1760-1860 (cent ans environ) a conservé ce goût pour l’insoumission des Canadiens français. Libertine et contestataire par nécessité, cette chanson va opposer un discours patriotique à un discours de soumission. Elle servira d’appui à l’identification nationale. Nos danses, nos musiques et nos chansons, à juste titre, sont, à cette époque, les symboles de notre résistance culturelle.
Nombre de chansons traditionnelles, en effet, présentent l’habitant comme un insoumis et un contestataire qui n’arrive pas à dominer la structure sociale de type féodal. « Il est temps que la province de Québec devienne anglaise. » avait déclaré Mercury. Les intentions d’assimiler la majorité francophone à la minorité anglophone ne sont jamais disparues. Mais l’ambiguïté identitaire demeure et les Canadiens français ne sont pas encore révélés à eux-mêmes. Ils défendent, à leurs dépens, les intérêts de la couronne britannique. Le pouvoir en place veut profiter de cette fidélité à la couronne pour faire disparaître à jamais les différences culturelles dont s’énorgueillissent toujours les Canadiens français.
Je veux vous complimenter

Mais comment donc faire

S’il faut me défranciser

Pour pouvoir vous plaire. 
Étrennes du Canadien (1807)
Incapable de vaincre, le peuple se replie. Voici qu’à nouveau et comme toujours, la chanson fleurit avec les événements et les hommes. Un Canadien errant est un bel exemple de l’âme populaire qui naît de la collusion forcée des événements et des hommes. Son auteur, Antoine Gérin-Lajoie, réussit à exprimer toute la tristesse de l’exilé en évoquant douloureusement la répression des événements de 1837‑1838 et leurs répercussions. Désormais inscrite dans notre mémoire collective, cette chanson deviendra l’expression d’un pays en exil. Cette chanson fut, d’ailleurs, notre premier succès international.
Toujours est-il que l’union du Haut et du Bas-Canada, en 1841, n’empêchera en rien la contestation d’un système politique qui confirme le statut minoritaire des Canadiens français. Et si, dans les chansons, on pleure la perte de sa bien-aimée, on y déplore aussi la perte de son pays. L’abolition, en novembre 1854, de la tenure seigneuriale, l’illusoire indemnisation des victimes des troubles de 1837-1838, les retrouvailles avec la France leur ancienne mère patrie, la course à l’intempérance, le mythe de la terre comme dernière chance de la nation, sont les thèmes qui alimentent nombre de chansons de cette époque.
Bien qu’à Détroit, à Saint-Louis ou à la Nouvelle-Orléans – nous parlons ici de cet exode de milliers de Canadien français vers les États-Unis pour y trouver du travail – la survivance française chancelle, au Québec, le Canadien français reste distinct et ses traditions sont protégées contre l’oubli. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, par exemple, la publication des recueils de chansons folkloriques s’agrémentera d’illustrations. L’illustration deviendra le support efficace et complémentaire au texte, elle facilitera la consommation et la propagation de la chanson folklorique dans les milieux populaires. Naîtra une chanson « d’ici » qu’on appellera chanson canadienne puisque composées au Canada français et dont l’exploitation d’un thème typiquement canadien signifie l’exploitation d’une réalité totalement inexistante en France.
La chanson canadienne, nourrie d’improvisations pleine de gaietés, teintée de mélancolie, inspirée par l’immensité des espaces, s’attachait à l’idée de patrie dans une évocation patriotique du sentiment national. C’est ainsi que les sources de la chanson canadienne se confondent parfois avec celles de la chanson patriotique.
Au Québec, la chanson patriotique sera axée essentiellement autour de deux pôles : les sociétés patriotiques (la Société Saint-Jean-Baptiste) et les écoles (séminaires, universités, conservatoires). Mais c’est dans les milieux populaires qu’elle aura le plus d’impact et éveillera le plus d’échos, le genre patriotique faisant appel à un retour des valeurs traditionnelles liées aux images d’un passé national. Les recueils, chansonniers mêlant à la fois chants patriotiques, cantiques religieux, voire chansons à la mode. À ce sujet, il n’est pas inintéressant de noter que la prolifération des publications sur la chanson populaire fit perdre à À la claire fontaine, chanson folklorique par excellence dont on connaît plus de 500 versions, une grande partie du nationalisme qu’elle symbolisait au XIXe siècle. En fait, moins que la chanson folklorique elle-même, c’est son utilisation qui sera patriotique. L’expression idéologique, qui trouvera dans cette chanson un véhicule populaire, confie sous la forme d’une mission apostolique un mandat universel : construire au Canada une Nouvelle France dont les fonctions religieuses et civilisatrices enrichiraient l’humanité entière. C’est ainsi que la chanson patriotique l’est réellement, en ce qu’elle est orientée vers l’idée vivante de la patrie.
En fait, ce qui domine, c’est de rester français. Ici, le culte du héros sera une manifestation du culte patriotique. Cette chanson est d’autant plus vive qu’elle élabore les traits communs qui lient les héros au peuple. De même que le héros grandit par ses exploits, le Canadien français en sait plus long sur lui-même. C’est à cela qu’a servi la chanson patriotique : à hausser notre opinion sur nous-mêmes.
Jusque dans les années 1950, la réalité restera apparemment inchangée. Le champ des luttes s’étant élargi, liant langue et foi, héros et prophètes, drapeaux et évangile, la chanson entreprendra son « œuvre d’éducation nationale ». Prolongeant le chant patriotique et les valeurs de sauvegarde, La Bonne chanson (entreprise commerciale née dans les années 1940) a collaboré au renforcement de l’idéologie de survivance et de conservation. La cueillette des chansons traditionnelles va constituer l’autre versant de l’âme canadienne dont il devient impérieux de sauvegarder les traits. C’est ainsi qu’une certaine folklorisation de nos symboles « nationaux » a fait perdre au chant patriotique le sens premier des événements.
Tout cela n’a pas empêché le peuple, à travers ses goûts pour le progrès, de passer d’une conscience collective latente à une conscience collective manifeste. Le discours idéologique a mis en évidence, pour lui et parfois contre lui, la continuité d’un fort sentiment national. Combien de chansons nous montrent l’envers d’un préjugé : les forces sous-jacentes de la résistance sont aussi celles d’une culture populaire authentique.
Une nouvelle conscience identitaire
Au Québec, au début des années soixante, émergent certaines observations sur la chanson poétique qui devient de plus en plus politique. Il est cer­tain que l’identité québé­coise et son coro­llaire, la notion de pays, constituent une figure char­nière dont découlent nombre de nos « chan­sons d’ici »
Plus scolarisée, une fraction de la jeunesse étudiante, aussi associée à la classe moyenne composée d’étudiants et d’in­tellec­tuels recrutés dans le milieu collégial et universitaire réclame une chanson fran­cophone autochtone. D’une part, le chan­ge­ment des valeurs socio-religieuses se fait au profit du natio­nalisme auquel les chansonniers ne sont pas étrangers : « La ferveur jadis entretenue par l’allégeance religieuse est remplacée par la ferveur na­tionale. Les Congrès eucharistiques et les défilés de la Fête-Dieu n’exis­taient plus. Les Québécois s’adonnent à d’autres célé­brations alimentées par leurs chan­sonniers presque tous inspirés par le nouveau nationa­lisme. »
L’on peut dire que la chanson québécoi­se des années soixante réussit à s’identifier à l’image d’un Québec post-industriel. Son renouveau s’effectue au même moment que le renouveau social et politique. Devenue objet de reconnaissance, la chanson nouvellement québé­coise est saisie d’une signification collective. En effet, les années 1960-1967 (l’Exposition universelle) marquent l’ouverture au monde et l’accès définitif du Québec à la modernité, tant au plan techno­logique, économique, social, culturel que politi­que.
En 1970, la situation du Québec était-elle révolutionnaire ou confuse ? Le FLQ n’a pas vraiment réussi à obtenir un appui populaire, mais son analyse pouvait être partagée par une fraction de la popula­tion et, aussi, par cer­tains chansonniers. Par exemple, Raymond Lévesque interprétait des chansons engagées devant les gars du FLQ en ignorant leur effet ter­roriste. Mais la logique du discours indépendantiste était déjà en place. Sa sympathie présu­mée (et confirmée) à leur endroit, Raymond Lévesque l’a très bien expri­mée dans « Bozo-les-culottes » : contrer le destin parce que « quand on est de la race des pionniers, on est fait pour être oublié ». « J’ai été, a précisé plus tard Raymond Lévesque, le pre­mier à comprendre les gars du FLQ. »
Dans ces années, ce qui apparaît comme un genre neuf de la conscience collective, va lier de plus en plus, la question nationale à la question sociale. Cela a bien pu commencer avec « Le grand six pieds », « Bozo-les-culottes » ou « La Corriveau », mais ce qu’il importe de souligner, c’est que la chanson québécoise nous plonge au centre du problème colonial.
« Québec 1789 – Territoire occupé … »
« Québec 1837 – Territoire occupé … »
« Québec 1960 – Territoire occupé … »
« Québec 1970 – Territoire occupé … »
Poèmes et chansons de la résistance (1971)
Droit de parole et liberté de chanter sont, ici, affaire de survivance et de protestation. La chanson engagée développe une conscience de l’oppression coloniale. D’autant que les événements d’oc­to­bre 1970 ont marqué, pour l’histoire, la fin d’un nationa­lisme abstrait et défensif. Désormais, il devenait sans conteste politi­que. Les signes directement politiques en témoignaient : acces­sion au pouvoir du Parti québé­cois, adoption des lois 101, du zonage agricole et de l’as­su­rance-automobile ; épuration des moeurs électorales, loi sur le finance­ment des partis, assai­nissement des fonds publics, réforme du mode d’attribution des contrats et subventions, etc. Un nou­veau jour se levait ! Le Parti québécois avait, selon cer­tains observateurs, institu­tionnalisé l’idéal des chansonniers qui émergeait depuis le début des années soixante.
Voici que le Québec se met à écouter et à chanter ses chan­sons. Survenant à un moment précis de son histoi­re, la chanson se « québécise ». Ce moment devient le témoin du renversement des valeurs sociales alors en circulation. Ce ren­ver­sement se tradui­sait également au plan artistique, notamment dans une chanson qui a soudainement trouvé l’oreille d’un public de plus en plus large. Comme l’a dit Gilles Vigneault, « les gens de la ville se trou­vaient des racines ». On passait de l’admiration de l’au­tre à la recon­naissance de soi ; on passait de la chanson françai­se ou anglaise à la chanson québécoise. L’engouement fut spontané, entier, collec­tif.
À mesure que cette pénétration progressive des consciences se faisait, les traits d’une identité spécifique et positive voyaient le jour. Il fallait cesser de vivre en pseudonyme pour reprendre le mot de Vigneault. La chanson de Claude Gauthier, par exemple, « Le plus beau voyage » a renoué avec une identité qui maintenait à vif la mémoire collective.
Je suis de nationalité canadienne-française (1960)
Je suis de nationalité québécoise-française (1965)
Je suis de nationalité québécoise (1970)
Cette conquête fut irréversible. Passer de canadien à québécois, c’est-à-dire de l’état de minorité à celui de majorité, c’est transformer le nationalisme culturel en valeur politique. L’identité, désormais, se conçoit à partir d’une vision se référant à une « culture globale » comme le pensait l’écrivain Hubert Aquin.
Le rapport à l’histoire s’inscrit d’abord dans la continuité. Il s’agit du même coup d’éclairer une conscience collective sur la notion de pays s’élaborant en même temps qu’une action quotidienne de décolonisation. La chanson de Claude Léveillée, « Les patriotes » (1964) illustre parfaitement ce nouveau caractère du pays.
Alors portez très haut vos oripeaux
Ceux que vous aurez au prix d’une guerre
La fin est corrigée en 1971 :
Alors portez très haut votre pays
Celui que nous sommes en train de faire
Puis, ce fut autour de la langue d’être un des points saillants de contestation au Québec. Ne pouvant tout simplement pas s’inscrire en dehors de son temps et de son lieu, l’abandon d’une langue littéraire réelle au profit d’une langue populaire, moderne autant qu’urbaine, est vue par les uns comme une dérive et par les autres comme une libération. À sa manière, dans tous les milieux d’expression (poésie, roman, théâtre, cinéma), le joual est devenu un instrument linguistique et culturel de combat. Et à travers toutes ces questions de langue, de langage, c’est le colonialisme culturel qui subissait son procès.
Que l’affirmation d’une langue « québécoise » soit apparue dans ce contexte prouve bien qu’elle devait posséder un caractère de nécessité. Là-dessus, Gilles Vigneault est explicite : « Six millions d’individus parlant presque français en Amérique sont par eux-mêmes une anarchie qui réclame qu’on le dise. » Certes, le débat n’a pas fait l’unanimité. À cette époque, toutefois, la langue ne cessait de faire allusion à la question nationale.
Quand je reviendrai par l’autre chemin
Vous serez anglais ou américains /
Ou sous serez morts pour deux pas de folklore
Et quelques promesses d’or
Un pouce et demi en haut des États-Unis.
« Presqu’Amérique », Robert Charlebois, 1967
En fait, on refuse maintenant de parler une langue et d’en chanter une autre. Comme elle n’a plus à postuler son homogénéité, la chanson en français n’a plus à être un discours de légitimation. Au Québec, la langue qui se chante est la conscience de notre situation en Amérique du Nord.
Aussi, vers la fin des années 1970, l’identification nationale ne peut ignorer les diverses composantes socioculturelles du territoire québécois. Les peuples autochtones et les minorités culturelles sont au centre de cette redéfinition du nationalisme que la contre-culture oppose à la logique impérialiste, contestant par le fait même les rapports de domination. Certes, les chansons elles-mêmes ne sont pas à l’abri des contradictions qui traversent le système marchand ; contradictions justement qui ont fourni le terrain sur lequel elles naquirent. Les groupes québécois dits progressifs par exemple (Beau Dommage, Harmonium, Les Séguin, Jim et Bertrand), nés dans le sillage de la révolution individuelle, ont été inspirés par la « réhabilitation du désir » qui était, à travers une certaine violence (Octobre, Aut’Chose), une recherche d’authenticité.
Toutefois, une chose est incontournable dans ces années : la contre-culture est nettement du côté du féminisme. Mouvement plus émotionnel que rationnel, ce dernier prolonge le mouvement hippie. Provoquant la prise de parole de tout un collectif féminin, la contre-culture voudra provoquer le changement, non l’espérer. Et cela passe la liquidation des tabous sexuels. Certaines chanteuses, désormais, refusent de se définir par rapport à la culture masculine. Si chanter au féminin commence par des paroles de femmes, ces paroles doivent s’imposer à l’intérieur même du « show business » québécois. Personne n’ignore que dans le monde de la chanson québécoise, à l’instar des autres domaines, les stéréotypes de la culture sont unisexes et les règles du jeu masculines. C’est ce qui fera dire à l’écrivaine Hélène Pedneault, au début des années 1980, que « la chanson québécoise est marquée par le silence des femmes. » En effet, quand la femme se met écrire ses propres chansons, cela devient souvent une chanson de lutte, une forme à tout le moins subversive, parce qu’il y a va justement d’un changement de rapport qui vise, pour l’artiste féminin, à faire reconnaître le droit d’écrire, c’est-à-dire le droit à la création intégrale.
Plus généralement, la chanson québécoise a à lutter aussi pour un certain avenir. En tenant compte des résultats du référendum du 20 mai 1980, il est bien difficile de démontrer l’efficacité politique de la chanson. Ce qui fut mis en question, c’est le rapport de la chanson avec le pouvoir. La récupération, peu importe à qui elle profite, est souvent perçue comme une forme larvée de réussite. Voilà comment la contestation, lorsque récupérée par le système marchand, peut devenir une mode. Et quand la contre-culture se regroupe autour du rock’n roll, répond-elle à la demande des fournisseurs d’amplificateurs ou conteste-t-elle la société technologique ? Le débat est lancé.
Au Québec, s’il ne veut pas être récupéré, l’artiste doit se frotter de fait à deux difficultés : le nationalisme et l’argent. Pratiquer la dissidence n’a rien de gratuit. Mais telle qu’elle existe au début des années 1980, elle suscite bien peu une volonté de lutte populaire. Le constat est sévère, selon la journaliste Nathalie Petrowski : « Complètement assimilée par le moule américain et son idéologie industrielle, [la chanson québécoise] se veut aujourd’hui propre, professionnelle, impersonnelle, « slick » et chromée à la Diane Tell, musak pour une société de centre d’achats qui sommeille. » Le « show-business » et toute ce qui l’entoure désigne certes une profonde colonisation institutionnelle et culturelle. Il reste que la chanson, comme la société, est beaucoup plus que les descriptions que l’on en fait.
Voici qu’après le référendum de mai 1980, la question nationale a perdu son caractère d’urgence et la fierté québécoise ne peut plus soutenir la chanson. Son silence a représenté assez clairement une fatigue culturelle. Ce qui, quinze ans plus tard, au référendum de 1995, malgré une deuxième défaite, n’a pas semblé aussi déprimant. Dans la chanson en tout cas.
Une résurgence de la chanson engagée
Depuis les années 1990, tous les styles musicaux sont au rendez-vous : rock, chansonnier, rap, folklore, métal, style libre, rap métal, funk, reggae, alternatif, etc. Les mêmes thèmes des décennies précédentes rebondissent différemment : langue, identité, pays, indépendance, exclusion sociale, injustice, abus de pouvoir, environnement, politique, etc. Un groupe comme Les Colocs qui pratique une musique fort éclectique, allant du rock au blues, du funk au reggae, préoccupé de valeurs sociales, n’en exprime pas moins un mal de vivre des plus contemporains. Est-ce à dire que toute parole collective ou politique est désormais éteinte ? Absolument pas. Des paroles de refus existent toujours. Il y a une prise de paroles au nom des plus démunis qui, de la part des groupes comme les Colocs ou les Vilain Pingouin, porte sa propre signification politique et sociale et qui n’est pas sans rappeler certaines chansons que La Bolduc a écrites au temps de la crise économique des années 1930. Quant au groupe de rappeurs Loco Locass qui a fait paraître en l’an 2000 et un CD et un livre du même nom : Manifestif, le groupe reprend à son compte les préoccupations nationalistes des premiers chansonniers tout en s’inscrivant dans un horizon de revendications langagières.
Mais c’est dur d’hurler sur les mots
D’une société rongée par le pire des mots
Je hausse le topo sémantique
Dans un but typiquement didactique
[…]
Mon frère, langage-toi et constate
Que le verbe faire
Est un verbe qui se perd
LANGAGE-TOI
[…]
L’écho des mots lointains ne s’éteint pas
Si au relais, tu es là
« Langage-toi », Loco Locass (2000)
Un groupe comme Mes Aïeux, ou le chanteur Daniel Boucher ramènent, dans la chanson québécoise, une conscientisation que l’on pensait disparue. Revenons aux Loco Locas et aux Cowboys Fringants, ils sont explicitement des éveilleurs de conscience linguistique : ils s’adressent à leurs contemporains.
Je suis un Québécois de souche
Ma loi 101 faut pas qu’tu y touches
C’est pas que j’sais pas ben parler
Mais chu un colon anglisé
[…]
Sitôt parké dans l’driveway
J’vas su l’sundeck starter l’charcoal
C’est moé qui est le’cook qui check
Les chops ou ben les steaks
Une fois cleané j’me pitch su’lazy boy
A’ec ma darling
« Québécois de souche », Les Cowboys Fringants, 2000
Aujourd’hui, la chanson québécoise connaît de grands succès chez les jeunes, une preuve de vitalité qui manquait manifestement durant les dernières décennies. Chanter en français, même dans l’« indie rock » ou le rap, paraît, maintenant naturel. Voici qu’une scène francophone prouve quotidiennement que la langue française se marie merveilleusement à la musique.
Grâce, donc, à une dénonciation de l’à-plat-ventrisme de la société québécoise, l’on assiste, selon deux musicologues, Andrée Descheneaux et Danik Trottier, à un retour de la chanson engagée au Québec : « Cette nouvelle chanson québécoise, porte-étendard de la génération montante, marque, écrivent-ils, une scission avec la scène musicale populaire des années 1980 et 1990. […] Fortement répandue chez la génération montante, cette dénonciation s’attaque aux injustices sociales et politiques connues au Québec et dans le monde. » Le 6 avril 2004, le groupe de rappeurs Loco Locass a justement mobilisé une trentaine d’artistes de toutes disciplines pour manifester contre l’attentat antisémite perpétré, la veille, dans une école de Montréal. « Nous ne tolérerons pas l’intolérance », a affirmé l’un des membres du groupe.
Que représente donc ce renouveau de la chanson engagée ? se demande, pour sa part, le professeur Dominique Cornellier. Quel lien entretiennent la chanson populaire et la conscience sociale dans la société québécoise actuelle ? Avec le succès phénoménal de Star Académie, a-t-on échangé le droit de parler contre le droit de divertir ? « Devenus les hérauts nostalgiques de l’époque de leurs parents, [les jeunes groupes actuels de la musique québécoise] ne conservent de l’engagement que sa manifestation spectaculaire, où ils se regardent prendre position dans une mise en scène digne de Star Académie de la conscience sociale. »
Toute cette relève, alternative ou pas, sait très bien que les questions politiques et sociales ne sont pas réglées et qu’il faut s’y mettre au plus tôt, si on ne veut pas rester indifférents. Certes, la critique est dure, mais vivifiante. Les jeunes ne veulent pas seulement que leurs aînés les écoutent (ce qui est déjà beaucoup), mais qu’ils adhèrent à leur projet pour que personne ne soit isolée dans le projet d’un pays indépendant ou la recherche d’une justice sociale ; projet et recherche ouverts sur le monde. Ce besoin de dénonciation nous dit aussi que sans conscience, il n’y a pas de contre-pouvoir. Car, pour la chanson québécoise, il n’y a qu’une chance : celle de la vigilance sans repos.
Bref, l’espoir d’un monde meilleur, toujours, se relaie… et se chante !


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé