L'Islande: une sortie de crise sans douleur

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L'autre façon de procéder

C’est une réalité que les technocrates et économistes européens préféreraient sans doute ne pas voir. Une épine de plus dans le pied des tenants du tout austéritaire, des adeptes de la disparition des prérogatives de l’Etat providence et des garants du sacro-saint ordolibéralisme. L’Islande, petit état insulaire situé entre la Norvège et le Groenland, prouve par sa réussite économique et sa sortie de crise, que d’autres choix sont possibles. Il n’y a peut-être que le FMI pour se réjouir d’un tel succès, lui, qui depuis quelques années, poussé par son collège d’experts "hétérodoxes" et par le constat des dégâts économiques et sociaux causés par les cures d’austérité imposées à travers le monde et leur efficacité toute relative, n’hésite plus parfois à reconnaître ses erreurs et à proposer des solutions – comme la restructuration à hauteur de 30 % de la dette grecque- qui viennent rompre avec les dogmes de l’orthodoxie économique.


Avec une croissance de 2,7 % en 2015, un chômage passé sous la barre des 5 % depuis 2013 et une inflation ramenée de 13 % en 2008 à 0,8 % en 2015 (bien en deçà des prévisions de 2,5 % de la banque centrale islandaise), le voisin nordique a de quoi faire des envieux. Et pourtant, nulle trace de son évocation dans les récents débats européens qui ont agité les experts et négociateurs en tous genres, lors de la séquence grecque. Cette absence n’est pas un hasard, loin de là même, comme nous le confiait un économiste de Bercy : « L’exemple islandais est tout ce qu’ils redoutent. Que ce soit par les méthodes employées que par les résultats obtenus. Ils ont peur que la Grèce prenne le même chemin, qu’elle sorte de l’euro et se rétablisse vite », expliquait-il en pleine incertitude sur le sort de la Grèce alors que l’hypothèse de sa sortie était encore évoquée. L’Islande, auréolée de son succès, s’est même permis d’envoyer gentiment sur les roses l’Union européenne, en annonçant en mars dernier qu’elle retirait officiellement sa candidature d’entrée dans l’UE. Quelle insolence politique quand certains piaffent encore d'impatience pour y entrer... 


Que les plus craintifs se rassurent, le pays, sous le choc de la crise de 2008, n’a pas encore hissé le drapeau rouge sur Reykjavik, la capitale, ni collectivisé son économie. Elle n’a pas non plus échappé à la mise en place de certaines mesures sociales difficiles. Ni utopie, ni miracle. Les islandais ont simplement, comme l’écrivait le FMI dans un rapport de 2012 sur la situation économique du pays, « dévié de l’orthodoxie » pour tenter de trouver une alternative à la chape de plomb de l’austérité, renouant avec les méthodes de la social-démocratie à la mode scandinave.


Les excès de la financiarisation de l'économie


Depuis les années 2000, l’Islande s'était lancée tête baissée dans la financiarisation de son économie. Avec un secteur bancaire qui correspondait en 2008 à 10 fois le PIB du pays, porté par l’appétit démesuré des particuliers islandais pour les crédits, les banques de l’archipel, bien au-delà du raisonnable, multiplient les recours aux produits financiers les plus risqués dans une course folle au rendement à court terme. Résultat, lorsque le château de carte commence à s’effondrer outre-Atlantique, sous l’effet de la crise des subprimes, l’Islande se prend de plein fouet la crise financière puis économique. Le retour de bâton est particulièrement rude avec une chute de son PIB de 6,6 % en 2008 et une explosion du chômage qui passe de 1,6  à 8 % en quelques mois, l’Islande s’enfonce à vitesse grand V dans la récession. Victime de leurs excès et de leurs investissements hasardeux, les trois plus grosses banques islandaises (Glitnir, Landsbankinn et Kaupthing) s’effondrent.


Mais plutôt que de les renflouer à grand renfort de deniers publics, faisant ainsi passer, comme ce fût le cas en France, le fardeau sur les épaules des contribuables, le gouvernement islandais promulgue une loi d’urgence pour les nationaliser. Les transformant ainsi en banque de dépôts pour assurer les épargnes des islandais pour ensuite les recapitaliser laissant ainsi les activés de spéculations sur le bord de la route. Par la suite, deux des établissements sont revendus à des institutions financières européennes. Mais l’Etat, dans sa reprise en main de son économie, ne s’arrête pas en si bon chemin. Les islandais, forts consommateurs de crédit, se retrouvent vite acculés par des taux d’emprunt grimpant en flèche. Pour éviter d’assister à des scénarios à l’américaine, le gouvernement contraint les banques privées à abandonner toutes les créances à taux variable dépassant 110% de la valeur des biens immobiliers. Pan sur la dette ! Et en 2010, la Cour Suprême islandaise rend un jugement déclarant comme illégaux, tous les prêts indexés sur des devises étrangères octroyés à des particuliers obligeant les banques à s’asseoir ainsi sur leurs créances de ce type. Re pan ! Des prêts particulièrement « toxiques » que les collectivités locales françaises, sous les promesses de taux d’intérêts bas des VRP de Dexia, avaient massivement investi pour se retrouver, une fois la crise venue et sous l’effet de l’envolé des courts, complétement surendettées. Enfin, pour éviter une situation de bank run (fuite massive de capitaux) et une situation d’hyperinflation, le contrôle des capitaux est instauré.


Des coupes budgétaires sans austérité


Le dos au mur, l’archipel va aussi se tourner du côté du Fond monétaire international pour demander de l’aide. Mais, à l’inverse de l’habituel chantage du versement de milliards de dollars contre des plans d’austérité drastiques, l’Islande va minimiser l’impact des mesures sur son système social tout en procédant à des réformes structurelles.


Dans un rapport de 2012, le FMI tire un bilan de ces méthodes loin de l’« orthodoxie » économique et constate que si « les réductions de dépenses ont couvert toutes les catégories budgétaires, y compris la formation et la rémunération des salariés », l’Etat a aussi fait en sorte que « les prestations sociales soient préservées dans un objectif d'après-crise de maintenir les éléments clés de l'État-providence islandais » pour « protéger les groupes vulnérables en mettant en place des réductions de dépenses qui ne compromettent pas les prestations sociales et ciblant l'augmentation des recettes en mettant davantage du fardeau fiscal des groupes à revenu élevé ». Si l’Islande a bien connu une augmentation de sa fiscalité, elle s’est surtout concentrée sur les classes les plus aisées tout en gardant un niveau de protection sociale élevée. La durée d’indemnisation du chômage a même été rallongée d’une année. Autre élément rappelait le FMI, les programmes structurels de réduction des coûts ont été fait avec « la participation des partenaires sociaux à un stade précoce des négociations », ce qui a permis d’« aider à forger une plus large appropriation ». Des choix politiques qui, selon une étude de l’OCDE, place l’Islande en tête des pays sur le front de la lutte contre les inégalités de revenus disponibles. « S’agissant des autres pays, les pertes de revenu se sont ralenties en 2011 en Estonie, en Islande et au Mexique. Dans les pays ayant mis en place des mesures fiscales visant à réduire le poids des impôts pour les ménages les plus pauvres, notamment l’Islande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande et le Portugal, le revenu des 10 % les plus pauvres a moins diminué que celui des plus riches depuis les toutes dernières années », explique ainsi le rapport.


Il faut ajouter à cela le travail de « purge » du secteur financier, résultat du travail de la commission mise en place en 2009 qui a pour objectif de chercher et d’amener devant la justice ceux qui ont eu un rôle actif dans la crise financière qui a touché le pays. Trois anciens dirigeants de la banque Kaupthing ont ainsi été condamnés en 2013. 



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