L'injustice

Tribune libre

À chaque début de Jeux Olympiques, l'habituelle cérémonie d'ouverture réveille en moi un sentiment parmi les plus forts, les plus brûlants, de ceux qui font que je suis indépendantiste : le sentiment de l'injustice.

Je vois arriver St-Marin, la Jamaïque, le Lishtenstein, et une multitude d'autres petites nations venant fièrement compétitionner et montrer ce qu'elles sont, montrer qu'elles existent, sans complexe.

Mais nous, Québécois, plus nombreux que bien des peuples participant aux Olympiques, locuteurs d'une langue internationale prestigieuse, héritiers d'une culture foisonnante et titulaires d'une identité propre, n'existons pas. Nous entrons incognito, presque dans la honte, déguisés en Canadians, dans la délégation d'un pays qui, par définition, se fout éperdument de notre gueule. Nous ne sommes repérables que de façon confidentielle, par nous-mêmes. Les retombées d'un tel événement, prisées par toutes les collectivités qui y participent, frisent pour le Québec le zéro absolu. C'est le Canada qui récolte.

Dans le cas de Vancouver, il fallait s'y attendre, l'expression pathétique de la tutelle canadienne atteint un comble. Mais que faisions-nous, muets, au milieu du party d'un lointain voisin qui ne fait même pas semblant de parler en notre nom ? Wayne Gretzky dans un pick-up, c'est ça mon pays ? Ou est-ce l'anglais mur-à-mur, avec quelques spasmes de bilinguisme mal foutu, ou encore la sempiternelle récupération paternaliste de la culture ancestrale des premières nations ?

Soyons lucide -- histoire de ramener ce mot à son sens premier, loin des manifestes des uns et des autres... -- ; Les spectateurs du monde entier, du moins, ceux pour qui cette cérémonie était une occasion de prendre contact avec l'identité du pays hôte, y auront vu ce qui s'y exprimait vraiment : Une déclinaison particulière de la culture nord américaine anglaise. On peut appeler ça canadian, je n'ai pas d'objection.

Quant au Québec, nous serions l'Espagne ou les Îles Galapagos, que ça ne nous aurait pas beaucoup moins ressemblé.

Devant ces images, et entre deux publicités traduites moussant à fond une fierté canadian complètement factice, le sentiment d'injustice qui m'assaille se transforme bientôt en rêve, puis en vision. Je rêve de voir la délégation québécoise entrer dans le stade, j'imagine des athlètes portant les couleurs de mon vrai pays, je les vois, je peux même les nommer. Et je vois d'ici la cote d'écoute hallucinante d'un match de hockey du Québec contre le Canada, les États-Unis, La Russie ou la Suède. Pensez-y un instant.

Je vois, encore, la cérémonie d'ouverture des jeux d'hiver de Québec, capitale nationale et non plus provinciale... Qui pourrait prétendre qu'on n'a pas ici les ressources et les gens qu'il faut pour mener à bien ce genre d'événement, de façon unique et grandiose ? Une foule de noms viendront tellement facilement à l'esprit de ceux qui me lisent, qu'il serait superflu d'en faire ici la liste.

Mais non, participer en son propre nom aux olympiques, c'est bon pour Monaco ou l'Ousbékistan, mais pas pour le Québec.

Et si les Québécois doivent être Canadians pour prendre part aux Jeux, il arrive cependant que cela ne suffise pas; Au hockey, ce sport que nous avons pratiquement inventé et dont nous avons en partie écrit l'histoire, l'équipe dite " nationale " ne compte qu'un seul joueur d'avant québécois, et trois gardiens de but, pour, évidemment, un seul poste. C'est plus qu'étrange, c'est carrément grotesque. C'est à-peu-près comme si on faisait un festival international de salsa sans y inviter de Cubains.

Comme d'autres l'ont déja dit : De l'injustice naît le rêve, du rêve naît la vision, et de la vision, l'action. Pour moi, l'indépendance du Québec n'est pas un rêve lointain, vaporeux. Ce n'est pas un " projet de pays " ou un " pays de projets " qu'il faudrait avoir la tâche colossale d'inventer avant de se le permettre. Le Québec n'est pas une fiction, il existe déja, fruit de rêves que nous avons eus. Il ne s'agit plus de se construire un pays, mais bien de libérer celui que nous avons déja d'un régime de subordination qui, même si l'on feint souvent de le trouver acceptable, revient régulièrement nous frapper comme une claque en arrière de la tête.

Les Canadians ont, bien entendu, le droit d'être ce qu'ils sont. Mais de voir mon pays ainsi effacé dans le leur m'arrache le coeur. Cette situation n'est rien de moins qu'une insulte, un déshonneur. Il faut, sans cultiver le ressentiment ou la violence, le voir, et le dire, hors de toute censure.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2010

    Monsieur Payne
    J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre texte. Le gros problème avec les Québécois, c'est
    qu'ils souffrent d'une dissolution du sens national; le sentiment d'appartenance national pour le Québec est absent à cause de cette confusion identitaire que nous subissons dans ce système fédéral qui nous divise. Pour nous réunifier tant sur le plan intérieur qu'extérieur comme peuple, pour sortir de ce dédoublement de personnalité, il n'y a qu'une solution soit celle de faire l'indépendance. C'est la seule solution sinon c'est l'assimilation et la fin de notre peuple.
    André Gignac le 16/2/10

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2010

    Monsieur Payne,
    S'il y a une chose qui me met en rogne c'est l'injustice ! Je n'ai pu regarder très longtemps la cérémonie d'ouverture.
    Je n'espérais presque rien. Peut-être un tout petit espoir durant ces jeux qu'un ou une athlète du Québec dise quelque chose qui nous aurait révélé un petit brin de conscience patriotique...une fierté avouée...
    Notre langue française méprisée, voilà l'injustice !
    On remet en question le choix de Vancouver...la réponse est claire.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2010

    Bravo! monsieur Payne, c'est très bien dit. Votre rêve, j'en suis convaincu, est partagé par une majorité de Québécois. Le problème est que plusieurs d'entre eux ne se réveillent pas pour le réaliser. Il est à souhaiter que votre texte sera répandu dans toutes les couches de la société. Mille fois merci!