L’immunité collective peut-elle nous protéger?

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« On ne connaît pas encore le pourcentage de gens qui meurent parmi ceux qui ont contracté le virus, car les personnes infectées qui n’ont pas ou peu de symptômes passent pour l’instant sous le radar »

Q: «Pourquoi la Suède adopte-t-elle une conduite différente de la nôtre alors qu’il y a un nombre plus élevé de cas pour une population qui ressemble à celle du Québec?» demande Suzanne Dionne, Lac Brome.



R: La Suède, comme quelques autres pays, n’a pas encore confiné sa population, même si elle multiplie les restrictions jour après jour. Le premier ministre Stefan Löfven pense encore le pays capable de faire face à l’afflux de malades (2275 cas confirmés et 36 morts en date du 25 mars), mais il est critiqué de toutes parts, y compris par ses propres autorités de santé publique. Les experts pensent plutôt que seul le confinement rigoureux va «aplatir la courbe» et éviter des millions de morts.


Le bruit court que le gouvernement suédois laisse libre cours au virus en espérant en venir à bout grâce au phénomène de l’immunité collective, qui fait en sorte qu’un virus ne peut plus engendrer d’épidémie. Voilà comment ça fonctionne et pourquoi, dans l’état actuel de nos connaissances sur la COVID-19, une telle stratégie est extrêmement risquée.


Quand quelqu’un attrape un virus, comme le coronavirus SARS-CoV-2 qui donne la COVID-19, ce sont ses globules blancs qui s’y attaquent. Certains participent à la réaction immunitaire innée, une sorte de guérilla tous azimuts contre l’ennemi, qui vise à détruire le virus en le découpant en petits bouts. Cette réponse inflammatoire donne les symptômes de l’infection : fièvre, douleur, enflure des tissus touchés, sécrétion de liquide, etc. L’infection déclenche aussi la réponse immunitaire adaptative : d’autres globules blancs se mettent à fabriquer des anticorps, des molécules qui ciblent spécifiquement le virus et l’attaquent de manière encore plus agressive. Un troisième bataillon de globules blancs va, lui, se charger d’emmagasiner cette réponse en mémoire, de manière à pouvoir la déployer illico si le micro-organisme pointe à nouveau son nez.


Si le système immunitaire remporte sa bataille, la personne devient alors immunisée, pour un certain temps et avec une certaine efficacité dépendamment des virus. Un vaccin déclenche le même processus de mémorisation de la menace, avec un gros avantage : il ne rend pas malade.



On ne sait pas pour combien de temps, ni à quel point, les personnes qui ont déjà eu la COVID-19 sont immunisées, pour une raison très simple : on ne sait pas encore doser leurs anticorps! N’oublions pas que le virus est nouveau, et qu’on ne comprend pas encore tous les détails de la réponse immunitaire qu’il provoque. Impossible donc de savoir, pour l’instant, si les gens qui ont déjà eu la COVID-19 peuvent l’avoir une deuxième fois, ni quand cela pourrait leur arriver, ni avec quels symptômes.


Si le nombre de gens vraiment immunisés augmentait dans la population, le virus pourrait – peut-être – finir par avoir de la difficulté à se propager. Au-delà d’un certain seuil, il pourrait donc ne plus trouver assez d’hôtes pour causer une épidémie. La population serait alors protégée par cette immunité collective : même les individus qui n’ont pas d’anticorps seraient à l’abri, car le virus ne circulerait plus.


Le seuil d’immunité collective n’est pas le même pour toutes les maladies virales. Il dépend entre autres du taux de reproduction de base du virus, qu’on appelle le R0, qui indique le nombre moyen de personnes qu’un individu infecté contamine. Pour l’instant, on estime que le RO de la COVID-19 est quelque part entre 2 et 3.



Pour la rougeole, une maladie ultracontagieuse avec un R0 situé entre 12 et 18, le seuil d’immunité collective est estimé à 85 %, un pourcentage qu’on essaye de maintenir grâce à la vaccination. Pour la COVID-19, le seuil d’immunité collective est inconnu. Selon les estimations encore très grossières réalisées par plusieurs équipes d’épidémiologistes, il se situerait quelque part entre 30 et 70 %. Il faudrait donc, croit-on, qu’au moins le tiers de la population soit immunisé pour que la pandémie soit contenue. Comme il n’y aura pas au mieux de vaccin avant 12 à 18 mois, cela signifie que d’ici là, les seules personnes possiblement immunisées seront celles qui auront eu déjà le virus SARS-CoV-2 et qui y auront survécu.


Combien cette stratégie ferait-elle de morts? On ne connaît pas encore le pourcentage de gens qui meurent parmi ceux qui ont contracté le virus, car les personnes infectées qui n’ont pas ou peu de symptômes passent pour l’instant sous le radar. Et comme on ne sait pas doser leurs anticorps, on n’a aucun moyen de les repérer! Chose certaine, les cas graves sont tellement nombreux qu’ils peuvent mettre KO des systèmes de santé comme celui de l’Italie, un des plus performants au monde selon différents classements. Pour le seul Royaume-Uni, qui a tardé à opter pour le confinement, le virologue Jeremy Rossman a estimé que la stratégie d’immunité collective pourrait faire un million de morts.


On y verra beaucoup plus clair quand on saura doser les anticorps et qu’on pourra tester le degré d’immunité de la population à grande échelle.


Plusieurs équipes de recherche à travers le monde sont en train de développer des tests à toute vitesse. Le 18 mars, des chercheurs américains ont par exemple publié une première étude à ce sujet, qui n’a pas encore été révisée par d’autres chercheurs et reste donc très préliminaire, mais qui est encourageante.


Entre temps, on n’a malheureusement pas le choix : on doit isoler les gens les uns des autres pendant un certain temps pour acheter du temps et sauver des vies.


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