L’honneur de la France

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La détestation secrète de Charles de Gaulle et son oeuvre

L’honneur de la France

 

Dimanche dernier, le Président de la République a commémoré l’arrestation, les 16 et 17 juillet 1942, de treize mille Juifs par la police parisienne, leur internement au Vel d’Hiv et leur livraison à l’occupant allemand. Il est juste que les plus hautes autorités de l’Etat manifestent par leur présence, le regret et la douleur de la nation devant cet acte cruel. Nous savons aujourd’hui que ces déportés ont presque tous péri dans les camps de concentration nazis.

Mais Emmanuel Macron a cru bon de faire plus. Reprenant un thème initié par Jacques Chirac en 1995 et développé par François Hollande en 2012, il a affirmé que la responsabilité de la sinistre rafle retombait exclusivement sur notre peuple. Il a fustigé une salissure indélébile sur notre honneur national : "C’est bien la France qui organisa la rafle puis la déportation". "Pas un seul Allemand n’y prêta la main".

     

Dans le demi-siècle qui a suivi la guerre, cette interprétation ignominieuse de l’événement en question a été repoussée par tous les responsables de l’Etat. De Charles de Gaulle à François Mitterrand, ils ont fait la distinction entre la France, qui s’opposait à l’occupant, et quelques Français dévoyés qui collaboraient avec lui. Une autre génération est aujourd’hui au pouvoir. Elle se croit meilleure juge de notre histoire que ceux qui l’ont faite. Elle affirme s’appuyer sur les recherches historiques les plus récentes pour rétablir la vérité.

Si faible que soit ma voix, je veux dénoncer ce qui est aujourd’hui un mensonge officiel. Il m’est insupportable que quiconque et surtout le chef de notre propre Etat, porte des coups à la dignité de la France. Certes, comme l’a dit le même Macron, un peuple se grandit quand il reconnaît les fautes qu’il a commises. L’Allemagne nous en donne l’exemple. Mais imputer à notre patrie un crime dont elle est innocente, c’est l’humilier et l’abaisser.

Pour prouver la culpabilité nationale, le Président nous présente un raisonnement simple. Les ordres d’arrestation sont venus de Vichy. Or "Vichy était le gouvernement de la France". Donc la France est responsable de la rafle.

       

Jusqu’en 1995, pareille énormité aurait scandalisé l’opinion publique. Jacques Chirac avait veillé à en atténuer l’effet en proclamant l’existence de deux France, l’une à Vichy, l’autre à Londres, l’une mauvaise, l’autre bonne. L’héroïsme de la seconde ne rachetait pas le crime de  la première mais il lui était une sorte de contrepoids. Sarkozy et Hollande ont repris cette thèse embrouillée et contradictoire sans rien y changer.  Macron ne s’embarrasse plus des précautions de ses trois prédécesseurs. Il choisit d’aller droit à ce qu’il considère comme une vérité "implacable". Pour lui, il n’y a jamais eu qu’un seul Etat français et une seule France : celle dont le chef s’appelait Pétain. Certes le régime a eu des adversaires : "ceux qui s’étaient engagés dans la résistance intérieure et extérieure" et ceux qui ont sauvé des Juifs. Mais ils n’étaient pas la France. Ils ne constituaient même pas une force significative. La preuve ?  Vichy "a pu compter sur toutes les forces vives du pays pour mener sa politique de collaboration". De glissement en glissement, le régime de Vichy retrouve aujourd’hui sa légitimité et la "France libre" perd la sienne.  Macron offre aux maudits de notre passé une revanche éclatante. Je ne sais pas s’il en est conscient.         

        

Comment explique-t-il que la vérité officielle de notre temps n’ait pas été admise par les survivants de la guerre ? Emmanuel Macron répond à nouveau sans détour. Il écarte les explications confuses de François Hollande, pour qui "l’époque (de 1945 à 1995) était à l’indifférence". "La France ne voulait ni voir ni savoir" et elle cachait le massacre "sous une chape de plomb". Notre Président refuse d’insinuer que ses deux grands prédécesseurs, Charles de Gaulle et François Mitterrand, ont été indifférents ou timorés. Il sait que personne n’y croit. Il leur accorde une excuse de nature politique : s’ils ont choisi d’être "mutiques" c’est parce qu’ils "ont fait primer l’apaisement et la réconciliation" des Français sur la vérité.

Mais cette "vérité irrévocable" est-elle aussi prouvée que Macron le proclame ? Examinons les faits. Qui exerçait le pouvoir à Vichy en juillet 1942 ? Exprimait-il la volonté libre de notre peuple ? Quatre mois plus tôt, Pétain, Chef de l’Etat en titre, s’était résigné, sous la pression de l’occupant, à nommer chef du gouvernement un homme qui n’avait pas sa confiance : Pierre Laval. "Pour avoir cédé aux intrigues de quelques Français et aux chantages des Allemands" écrit l’historien Robert Aron, le vieillard "a été forcé de couvrir de son autorité la politique de Laval sans pouvoir la modifier ni y mettre fin". Pitoyable "potiche" (l’expression est de Laval lui-même), Pétain a signé en avril un "acte constitutionnel" qui stipulait que "la direction effective de la politique extérieure et intérieure de la France est assumée par le chef du gouvernement", c’est à dire par un politicien honni par l’opinion publique, imposé par l’ennemi et engagé dans une "collaboration" que les Français vomissaient dans leur immense majorité. Qui peut, de bonne foi, prétendre que ce personnage, c’était la France ?

       

Fin juin 1942, les émissaires nazis exigent une "action" générale contre les Juifs, qu’ils soient français ou étrangers, résidant en zones libre ou occupée. Faute de quoi, ils menacent de faire subir à notre pays le sort de la Pologne martyrisée. Laval essaie, selon sa politique constante, de "finasser" sans s’opposer. Il arrive à une "transaction" : les Allemands ne déporteront pas les Juifs français de zone occupée ; en échange, la police française recevra de lui l’ordre d’arrêter les Juifs étrangers qui s’y trouvent, notamment à Paris. Laval décide seul, sans l’approbation d’aucune "force vive". Marché déshonorant, qui flétrit la mémoire de son auteur et de ses complices actifs, comme le sinistre Darquier de Pellepoix, commissaire aux affaires juives, ou passifs comme Benoît-Méchin, secrétaire d’Etat chargé des relations franco-allemandes. C’est accorder à de tels individus un honneur bien étrange que de proclamer aujourd’hui qu’ils étaient la France. Ils faisaient horreur à leurs contemporains qui les ont condamné à mort comme traîtres à la patrie. Et personne, a l’époque, n’a osé dire que de Gaulle avait tenté de les soustraire à la justice au nom de je ne sais quelle priorité à "l’apaisement et à la réconciliation".

      

La bonne question, n’est-ce pas alors de nous demander pourquoi nos dirigeants actuels s’acharnent à travestir les faits et à imposer une "vérité" outrageante ? La réponse tient en peu de mots : notre classe dirigeante déteste secrètement Charles de Gaulle et son œuvre. Elle ne supporte pas ce rebelle, qui a mis la souveraineté française plus haut que tout, a contesté l’ordre international organisé par Washington et a montré peu de tendresse pour les possédants. Elle voit en lui, à juste titre, un reproche constant à sa politique de souverainetés partagées, de solidarité atlantique à tout prix et de respect religieux de la liberté des marchés financiers. Le meilleur moyen de se débarrasser de ce gêneur, c’est de lui retirer toute légitimité. Macron s’y emploie avec l’ardeur d’un débutant. C’est pourquoi il est tant applaudi par la France d’en haut.      


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