Pourquoi emmener ses enfants à Disneyland ? Les yeux ronds comme des soucoupes, nos moussaillons rêvent tous d’embarquer sur l’Hermione, la belle frégate reconstruite à l’identique dans les chantiers de Rochefort. Elle y dresse maintenant ses trois mâts vers le ciel, presque achevée, hérissée de canons, dans l’écrin de l’arsenal historique. La figure de proue – un lion portant entre ses pattes les trois fleurs de lys d’or sur fond d’azur – regarde la corderie royale, construite par Colbert pour la plus grande gloire de son roi et de la France…
L’Hermione est moins un simple navire qu’un chantier, celui du rêve et de l’Histoire, du tourisme intelligent, de la résurrection des métiers d’antan et du mécénat astucieux. Le projet un peu insensé, lancé par une poignée de fanatiques en 1997, consiste à ressusciter le bateau qui emmena La Fayette aux Amériques, en 1780, pour porter secours aux « insurgents ». C’est donc un monument historique capable de réunir sur son nom l’attention du public et les financements du monde entier.
Quelques chiffres, tirés de la très riche documentation diffusée pour la communication du projet : plus de 65 mètres de longueur hors tout, une voilure de 1.500 m2 répartie sur trois mâts. C’est une frégate légère, rapide et maniable, équipée de 26 canons tirant des boulets de 12 livres (les vaisseaux de ligne étaient trois fois plus gros). Elle pouvait embarquer jusqu’à trois cents hommes d’équipage. Construite sur les plans de l’ingénieur Chevillard Aîné, elle nécessita, à l’époque, onze mois de travail et mobilisa des centaines de charpentiers, forgerons, cloueurs, calfats…
Mais nous ne sommes plus au temps où Rochefort, cette « ville nouvelle du XVIIe siècle », était une véritable usine à bateaux, réunissant tous les corps de métier, toutes les compétences, toutes les matières premières utiles à ce travail de haute précision, dans un arsenal considéré, même par messieurs les Anglais, comme le meilleur du monde. Évidemment, tout est à réinventer, à partir de rien ou presque. La plupart des techniques de l’époque ont été perdues, les plans complets de la frégate n’existent plus. Or, dans la philosophie du projet, tout doit être refait à l’identique, avec les outils et les matériaux du temps de la marine en bois. Les entorses à ce principe, pour des raisons de sécurité notamment, sont réduites au minimum.
Une armée d’ouvriers professionnels, assistés de nombreux bénévoles, a donc travaillé, sous le regard du public ébahi, à tresser des cordages, coudre des voiles, assembler des planches et forger des rivets, à l’ancienne. Ce public est invité, non seulement à comprendre le travail effectué, mais aussi à le cofinancer, en investissant dans certaines parties du projet comme, en ce moment, dans le fanal de poupe. L’Hermione ressemble beaucoup, en termes de ferveur et de mobilisation populaires, à une sorte de Puy du Fou flottant, que ne renierait pas Philippe de Villiers, le voisin de Vendée.
L’Hermione n’est pas un bateau-musée. La frégate est destinée à lever l’ancre, en 2015, et à parcourir (à peu près) le chemin qui mena La Fayette aux portes du nouveau monde. Ce sera l’occasion d’une immense opération de communication, impliquant la marine de guerre des deux pays et les deux gouvernements. Arrière-pensées politiques et électorales ne seront pas absentes. Mais n’est-ce pas encore une manière de rendre hommage à La Fayette, aventurier audacieux, politicien opportuniste, et personnage quelque peu inférieur à sa légende ?
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