L’exhibitionnisme numérique, un écueil pour politiciens

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Si au moins ils essayaient de se montrer sous leur meilleur jour

Manger au restaurant et le dire sur Twitter. Recevoir des chocolats fins et en parler sur Facebook, entre deux commentaires sur l’émission télévisée que l’on aime. Les nouvelles places publiques numériques ont attisé dans les dernières années, au nom de la quête d’une certaine authenticité, l’exhibitionnisme des internautes.
Le hic, c’est que quelques élus provinciaux semblent également adhérer à ce mouvement, même s’ils devraient l’appréhender avec un peu plus de circonspection, estime le commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, Jacques Saint-Laurent.
« Je les invite à la prudence, lance à l’autre bout du fil l’homme joint dans les derniers jours par Le Devoir. Les députés ne doivent pas oublier qu’ils ne peuvent pas se prévaloir de leur charge pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une personne. » Une influence que peut induire une personnalité publique en s’épanchant un peu trop, numériquement, sur son attachement à un restaurant, à une marque, à un produit, à un auteur de livre, à une entreprise de sa circonscription ou d’ailleurs.
En avril dernier, la députée libérale Marguerite Blais a matérialisé un peu la chose en annonçant sur son compte Twitter être sur la terrasse d’un restaurant célèbre du quartier Griffintown, « un des meilleurs situés dans ma circonscription », a-t-elle écrit en nommant l’établissement. En mai, c’est l’élu du Parti québécois Dave Turcotte qui s’est transformé en porte-voix publicitaire le temps d’un tweet accompagné d’une photo montrant des truffes, « #cacao éclats de #noisettes », précisait-il, d’un chocolatier de Saint-Jean-sur-Richelieu reçues pour son anniversaire.
Quelques mois plus tôt, Élaine Zakaïb, ministre déléguée à la politique industrielle vantait le développement d’une charcuterie industrielle du Québec, en la nommant, sur ce même réseau public de socialisation dédié aux messages de moins de 140 caractères, alors que Nicole Léger, ministre de la Famille, n’avait, elle, le 14 avril dernier, que de bons mots sur Twitter pour une émission populaire diffusée sur les ondes de TVA.

Une petite gêne
« Il n’y a pas de méfaits, mais il y a là un terrain glissant, résume la philosophe Sophie Cloutier, directrice de l’École d’éthique publique de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Nous sommes entrés dans une société du commentaire, une société de la recommandation qui, par moments, a tendance à transformer les internautes en supports publicitaires, lorsqu’ils se retrouvent, pour socialiser, à vanter un produit ou un service devant leurs amis numériques. Le phénomène se répand un peu partout, mais il peut aussi devenir problématique pour les élus qui, du coup, devraient se garder une petite gêne. »
Selon elle, même si ces messages sont sûrement envoyés sans mauvaises intentions, simplement pour se montrer plus humain, plus proche de la population, ils peuvent toutefois soulever des questions légitimes chez les électeurs quant aux rapports entretenus par les élus avec les produits ou entreprises dont ils parlent. « On pourrait se demander, par exemple, qui a payé la facture au restaurant dont l’élue parle avec passion », précise Mme Cloutier en s’étonnant que les politiciens, qui par les temps qui courent cherchent à redorer leur blason, « n’aient pas l’air de se rendre compte des enjeux liés à ces commentaires en apparence anodins ».
Pour Jacques Saint-Laurent, les excès de vérités, à saveur commerciale, de la classe politique sur Twitter ne représentent pas des situations de conflit d’intérêts, mais découlent surtout d’une mutation subtile de nos rapports sociaux dans les univers numériques, où l’exhibitionnisme est désormais insidieux. « Cela peut faire perdre de vue, chez les élus, que la notoriété qu’ils ont peut avoir une influence sur d’autres, que les gens peuvent se reconnaître dans leurs actions », dit-il en reconnaissant toutefois que cette question n’a pas encore fait l’objet de débat ou d’une réflexion au sein des députés.
Inciter la réflexion
« Le code d’éthique des membres de l’Assemblée nationale ne fait pas mention spécifiquement des réseaux sociaux et des univers numériques, dit-il. Cela ne m’empêche pas par contre de les tenir informés sur ces questions et de les inciter à une réflexion sur leur utilisation de ces réseaux, et ce, en lien avec leur obligation d’avoir une attitude neutre et objective par rapport aux citoyens de leur circonscription. »
Marguerite Blais, elle, qui avoue trouver un grand plaisir dans Twitter, reconnaît aussi y partager parfois des contenus un peu plus personnels, mais jamais avec malice ou intentions cachées, assure-t-elle à l’autre bout du fil. « J’aime ma circonscription et son dynamisme, dit-elle, et cela m’incite parfois à en faire part à mes abonnés sur Twitter sans la retenue que je devrais avoir. » Et elle ajoute : « Je fais ça sans doute parce que je ne me sens pas vraiment politicienne, dans la vie comme sur Twitter. » Et c’est finalement, estime-t-elle, bien avant ses dérives potentielles numériques, la seule chose que l’on pourrait lui reprocher.


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