Ce fut un des premiers gestes de Donald Trump à son arrivée au pouvoir : faire retirer la page en espagnol du site internet de la Maison-Blanche.
Plus de deux ans après, alors que le président américain se bat avec le Congrès pour financer la construction d'un mur à la frontière mexicaine pour enrayer l'immigration d'Amérique centrale, les incidents liés à l'usage de l'espagnol se sont multipliés, témoignant d'une polarisation croissante autour de cette langue pourtant omniprésente.
La langue de Cervantès est la langue maternelle de plus de 41 millions de personnes vivant aux États-Unis. Et les personnes d'origine hispanique constituent la principale minorité du pays (17 % de la population), selon le Pew Research Center.
Pourtant, selon une étude publiée par cet institut en octobre, quelque 40 % d'entre elles disaient avoir été harcelées au cours des 12 derniers mois en raison de leurs origines, y compris pour avoir parlé espagnol en public.
Depuis l'élection de Donald Trump, « nous recevons bien plus d'appels de travailleurs qui disent qu'on leur demande de ne parler que l'anglais », affirme Christopher Ho, avocat de l'association Legal Aid at Work à San Francisco, qui fournit un soutien juridique aux travailleurs et un numéro d'appel gratuit pour recueillir les plaintes de discrimination liées à la langue.
Harcèlement
Les réseaux sociaux regorgent d'incidents devenus viraux.
Quelques exemples : en mai dernier, un avocat new-yorkais s'en prenait à des employés d'un magasin de Manhattan qui discutaient en espagnol, les menaçant d'appeler la police migratoire pour les expulser.
En juin, Julio César Ovalle, 24 ans, de nationalité américaine, se promenait dans la ville de San Antonio, au Texas, quand il a été arrêté par un agent de la police migratoire. Sans papiers sur lui, Ovalle, qui est né à Los Angeles mais a grandi au Mexique et n'a jamais appris à bien parler l'anglais, a été accusé de séjourner illégalement aux États-Unis, et expulsé le jour suivant, malgré ses tentatives d'explications.
« C'était de l'injustice et du racisme, uniquement parce que je ne comprends pas ni ne parle bien l'anglais », a déclaré le jeune homme au journal San Antonio Express-News.
Une famille guatémaltèque a été harcelée en octobre pour avoir parlé espagnol dans un restaurant de Virginie. « Rentrez dans votre foutu pays ! », leur a crié une femme, après avoir demandé à voir leur passeport.
Et deux Américaines du Montana ont été arrêtées en mai par la police des frontières pour avoir parlé espagnol entre elles.
« Le gouvernement Trump et sa rhétorique ont clairement encouragé les pires réflexes de la police migratoire », estime Cody Wofsy, avocat de la puissante association de défense des droits ACLU, qui représente les deux femmes dans la plainte qu'elles ont déposée contre la police des frontières.
« Il n'y a pas de langue officielle aux États-Unis. Les gens peuvent parler la langue qu'ils veulent, et des centaines de langues sont parlées aux États-Unis », ajoute-t-il.
L'espagnol a toujours été très présent dans l'histoire des États-Unis, notamment dans l'ouest, où les territoires correspondant à six États furent rachetés par les États-Unis au Mexique au milieu du XIXe siècle.
Si l'espagnol se perd souvent au fil des générations, son dynamisme se maintient grâce au flot continu de nouveaux migrants et la proximité géographique avec l'Amérique latine.
Langue des femmes de ménage
Pour Marta Mateo, directrice de l'Observatoire de la langue espagnole à l'université de Harvard, on ne peut pas parler de discrimination sur la langue. Elle fait valoir l « 'ubiquité » de l'espagnol aux États-Unis, et les nombreux services offerts dans cette langue qui, depuis les années 70, a détrôné le français comme la langue la plus étudiée.
« Peut-être que les cas d'agressivité contre l'espagnol sont aujourd'hui simplement plus visibles », suggère Mme Mateo.
Il serait « plus rigoureux de parler de discrimination sociale, et non linguistique, contre l'immigré, encouragée par le discours populiste de Trump », dit-elle. « Les immigrés les plus nombreux sont les Hispaniques, donc on attaque leur langue ».
Maria Carreira, professeur d'espagnol à l'Université de Californie à Los Angeles, insiste elle aussi sur la discrimination sociale.
Malgré son omniprésence, l'espagnol est souvent considéré comme une langue de second rang, contrairement à d'autres langues latines comme le français ou l'italien, note-t-elle.
« L'espagnol est associé à des personnes "basanées" », « c'est la langue des femmes de ménage, des jardiniers, des nounous », dit-elle.