L'élection des abus

17. Actualité archives 2007


Jamais campagne pour la présidence des États-Unis n'aura été aussi singulière que celle amorcée ces jours-ci. Elle s'annonce d'ores et déjà comme la plus longue et la plus chère dans les annales de ce pays. Elle se distingue également par le nombre de prétendants au trône et leur recours aussi ample que méticuleux à Internet, YouTube et autres nouveautés technologiques. Déclinons.
Entre les candidats déclarés et ceux qui se lanceront prochainement dans la mêlée, le contingent de présidents potentiels sera le plus imposant de l'histoire de ce pays. Si, du côté républicain, les concurrents ont adopté un profil bas, pour l'instant du moins, il en va tout autrement chez les démocrates. Au cours de la dernière quinzaine, huit personnes ont dévoilé officiellement leurs intentions. Cette accélération a eu pour premier effet de contrarier quelque peu l'état-major du parti au Congrès, qui craint que cette prolifération ne détourne l'attention des médias de l'ordre du jour législatif.
Mais ce que l'on peut retenir de ce développement prématuré de la campagne, c'est qu'il est attribuable à l'énorme appétit qu'ont les uns et les autres pour l'argent. Les sommes en jeu sont si ahurissantes qu'on pourrait dire que l'édition 2004 s'est résumée à une digestion de sushi alors que celle de 2008 aura la consistance du cassoulet. Plus sérieusement, on prévoit dès à présent que les deux finalistes, soit le champion des démocrates et celui des républicains, vont dépenser chacun plus de 500 millions de dollars américains d'ici le jour J. Reprenons.
Dans la foulée du scandale du Watergate, le Congrès américain instaura un système public de financement de la campagne dont l'objectif était de réduire la tentation pour la magouille à trois fois rien et de ramener si possible le rôle du privé à celui de figurant. À la suite des ajustements effectués au fil des ans de façon à ce que ce système soit en phase avec l'air du temps, le topo est actuellement le suivant: tout candidat qui calcule que 150 millions maximum suffiront à faire entendre sa voix a droit à l'argent du fédéral. Au-delà? C'est niet, pas un dollar.
Ce méli-mélo financier explique que les vedettes démocrates aient annoncé leurs couleurs en quelques jours, chacune voulant récolter le maximum de dons. Ici et là, on assure que, si Hillary Clinton et Bill Richardson, gouverneur du Nouveau-Mexique, sont partis à l'assaut de la Maison-Blanche, c'est pour ne pas être distancés par John Edwards et Barack Obama, l'étoile montante, qui avaient annoncé leur ambition avant eux, et couper l'herbe sous le pied de John Kerry et d'Al Gore, qui n'ont pas encore précisé leurs intentions.
Si tous convoitent avec une avidité plus prononcée que jamais les sommes disponibles, c'est parce qu'ils veulent dépenser plus que jamais auparavant et non parce qu'ils sont dans l'obligation de le faire. On insiste: la facture calculée est l'addition d'un ensemble de nécessités, il va sans dire, mais aussi d'intentions, de désirs, plus nombreux qu'en 2004. Et notamment celui d'établir un réseau de télécommunications totalement indépendant des réseaux conventionnels.
À ce propos, l'exemple d'Hillary Clinton est très éloquent. Elle a fait acte de candidature de la manière suivante: une vidéo enregistrée par son équipe a été diffusée sur son site et envoyée à YouTube, la nouvelle coqueluche des internautes, où on peut la voir et la revoir aussi souvent qu'on le veut. Auparavant, on invitait les caméras de CBS, de NBC, d'ABC et les journalistes de l'écrit. Aujourd'hui, on prend soin de réduire leurs regards pour instaurer un lien direct avec le citoyen. Soit dit en passant, l'actuelle sénatrice de l'État de New York a indiqué qu'elle écartait tout recours à l'argent du fédéral, car il est prévu que sa campagne va dépasser les 500 millions.
Depuis le début d'une guerre qui s'annonce fort longue, on retient qu'un nombre inquiétant de signaux ont été envoyés. Entre la captation par le privé du financement de la campagne et cette inclination pour l'information en temps réel, par l'entremise d'Internet, qui interdit tout débat posé, toute analyse critique, on assiste à un dévoiement de la démocratie, voire à l'émergence de la dictature des opinions. Des humeurs.


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