Pourquoi cette frilosité à traiter du profil du tueur de Dayton, en Ohio?
Le profil de l’auteur de la tuerie de Dayton, en Ohio, donne froid dans le dos. Attention, il ne s’agit pas ici de minimiser les causes des tueries chez nos voisins du Sud. Les statistiques, funestes, le prouvent: l’écrasante majorité des auteurs de carnages aux États-Unis, quand leurs motivations sont connues, sont de l’extrême droite .
C’est sans appel. Nous savons ça.
Et les reportages sur l’assassin d'El Paso, au Texas, ne manquent jamais de le rappeler. Le tueur a laissé des traces, un manifeste de haine, raciste. Il faut le dénoncer. Il est essentiel de se questionner sur ce qui pousse quelqu’un à se radicaliser de la sorte.
Et on le fait. Facile de se documenter à propos du tueur d'El Paso. Mais pas à propos de l’autre tueur.
Voilà pourquoi je suis surpris du peu de couverture que suscite le profil du tueur de Dayton, en Ohio. Pourtant, quand on fouille un peu, on s’aperçoit que l’on est devant un autre type de haine, de profil haineux. Et ça donne froid dans le dos.
Inquiétante présence sur Twitter
Un des portraits les plus complets du tueur de Dayton a été fait par les journalistes de CNN. Et ce que l’on y apprend est déstabilisant. En voici des passages, traduits:
«D'anciens camarades de classe ont déclaré qu'il avait une “liste noire” de personnes qu'il voulait tuer ou violer. Il faisait partie d’un groupe de musique “pornogrind” dont les chansons contiennent des paroles extrêmement crues et violentes. Les autorités qui ont perquisitionné le domicile de sa famille ont trouvé des écrits dans lesquels il évoquait son souhait de tuer des personnes, selon deux sources policières interrogées par CNN.
Ces écrits ne faisaient état d’aucun motif racial ou politique, ont indiqué des sources.
De plus, un compte Twitter qui appartenait vraisemblablement à Betts a “retweeté” des messages d'extrême gauche et anti-police, ainsi que des tweets soutenant les manifestants antifa, ou antifascistes.
Le dernier tweet sur le compte @iamthespookster, le 3 août, jour de la fusillade, était un partage [“retweet”] d’une publication où l'on pouvait lire: “Les milléniaux ont un message pour la génération Joe Biden: dépêche-toi et meurs.”
La biographie de cet utilisateur sur Twitter se lit comme suit: “il / lui / fan d'anime / metalhead / de gauche / je vais au diable et je ne reviens pas.” Dans un tweet, le hashtag #HailSatan est utilisé.»
«Dans les heures qui ont précédé la fusillade de Dayton, ce même compte Twitter avait “aimé” plusieurs tweets à propos de la fusillade à El Paso, qui avait fait 22 morts, parmi lesquels un tweet soutenant un contrôle plus responsable des armes à feu et d'autres micromessages où l'on qualifiait le suspect d'El Paso de “terroriste” et de “suprémaciste”.
Le compte a “retweeté” des messages soutenant les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren, des messages contre des agents de l'escouade ICE – notamment un message disant: “Ces personnes sont des monstres” – ainsi que plusieurs messages condamnant la police et soutenant les manifestants antifa, qui utilisent souvent des tactiques violentes.
Il y avait aussi beaucoup de tweets de selfies, de photos avec un ami, de mèmes ordinaires et de contenu non politique.»
Voilà qui n’est pas sans intérêt. Les informations de cet ordre, à propos d’auteurs de tueries, sont habituellement relayées. Toutefois, on ne trouve que peu de choses à propos de ces caractéristiques troublantes du tueur de Dayton.
Cette nuit, Radio-Canada a publié un long texte (sans auteur spécifique) dans lequel on évoque que le tueur «explorait des idéologies violentes», mais sans préciser lesquelles ni renvoyer à sa présence en ligne. Ça viendra peut-être plus tard.
En fait, il est très difficile de trouver dans les médias quelque évocation de l’apparent appui du tueur de Dayton à l’idéologie antifasciste. La Presse a relayé hier un texte de l’Agence France-Presse qui réfère au texte de CNN que je cite ici, et qui «présente [le tueur de Dayton] comme proche de l’extrême gauche et des mouvements “antifa” (antifascistes).»
Ce texte de l’AFP, intitulé «Deux jeunes tireurs blancs emplis de haine», est construit de manière à montrer à quel point les profils respectifs des deux tueurs semblent opposés.
Tout de même, on remarque dans les médias une certaine frilosité à traiter du profil du tueur de Dayton, alors que les informations de ce type, quand il s’agit d’un tueur lié à l’extrême droite, sont instantanément relayées. Avec raison. Car il importe de dénoncer et de combattre la radicalisation liée à ce type d’extrémisme, qui est responsable, on ne le dira jamais assez, de l’écrasante majorité des tueries idéologiques aux États-Unis.
Toutefois, il importe aussi de rappeler que tous les extrémismes sont à combattre et que la radicalisation peut aussi se faire à gauche. Les deux phénomènes n’étant pas équivalents, on s’entend. Mais la tuerie de Dayton pourrait bien nous servir de rappel: des extrémistes de gauche tiennent des discours hyper-violents (y compris au Québec). Et nous ne sommes pas à l’abri de dérapages de la part de cet extrémisme-là.