L’arrogance allemande

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Ouch !

Lorsque, pour notre édition de février 2014, Harper’s Magazine a affiché en couverture Comment l’Allemagne a reconquis l’Europe en accompagnant ce titre du symbole de l’euro sur un brassard rappelant la croix gammée, un ami français, pourtant audacieux d’esprit, m’a exprimé sa gêne : « Ouf, c’est violent. »

« Comment ça ? ai-je répondu. Cette image vise juste pour notre dossier. L’Allemagne est non seulement dominante, elle est arrogante. Qu’y a-t-il de mal à exagérer un peu pour attirer l’attention ? » « Oh, bien sûr, les Allemands sont durs, a répliqué mon ami. Mais vous bousculez notre rêve d’amitié franco-allemande. On y tient, on est sentimentaux. »

J’étais donc anti-allemand avant la lettre ! Mais à la suite de l’humiliation imposée à la Grèce et à son premier ministre Alexis Tsipras par Berlin et Francfort le mois dernier, les comparaisons entre l’Allemagne nazie et l’Allemagne austère de la chancelière Angela Merkel et de son ministre des Finances, Wolfgang Schauble, ont déferlé un peu partout. Mon ami français m’a aussitôt envoyé un trucage photographique tiré d’Internet où l’on voit la chancelière allemande, renfrognée, en tenue et attitude comportement nettement hitlériennes, devant un drapeau rouge, blanc et noir avec l’euro-croix gammée au milieu. « Des petits malins t’ont piqué ta couverture », a-t-il commenté.

En fait, le trucage a apparemment été réalisé par un humoriste basque, Santi Orue, en 2011. Toutefois, la marée antiallemande n’est pas de la rigolade. Encore moins amusant pour Berlin et sa filière « européenne » basée à Bruxelles fut la Une du sobre Washington Post le 17 juillet, qui titrait La crise de la dette ranime « le cruel Allemand ». On y lisait qu’ayant « insisté sur encore plus d’années de coupes sévères […], Berlin a effacé des décennies de bienveillance difficilement acquises ».

Que les Grecs vont souffrir sous le joug allemand/UE/BCE pour longtemps, c’est assuré. Que Merkel et Schauble ne vont pas reculer d’un pas quant à leur tutelle d’Athènes est également certain. Ce qui est moins évident est l’attitude française envers les Allemands. François Hollande se présente comme l’homme de toutes les saisons : ami de la Grèce pour avoir soi-disant empêché son expulsion de la zone euro ; ami de Merkel pour sa soi-disant bonne conduite fiscale ; et ami du peuple français pour sa soi-disant politique socialiste. « Gloire à Hollande, sauveur de la Grèce, de l’Europe et de la France ! », déclare Le Monde avec ironie.

Évidemment, cela ne peut pas tenir. Le dégoût croissant envers le couple Merkel-Schauble va finir par attiser le dégoût pour le couple franco-allemand. La langue de bois chez les socialistes « solidaires » avec le « projet européen » n’arrête pas d’alimenter le Front national, qui s’adresse directement à la peur et à l’aliénation des anciens ouvriers de régions dépourvues de leur patrimoine industriel. Les usines allemandes qui battent leur plein ne donnent aucun élan aux chômeurs français.

Enfin, on entend des voix de la gauche, auparavant trop timides, qui se lèvent ouvertement contre l’Allemagne. Jamais très dynamique quand il était ministre de l’Économie, le Français Arnaud Montebourg a osé se prononcer avec un peu de clarté : « Les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Belges nous attendaient, et nous les avons laissés dans les griffes dangereuses des obsessions allemandes, avant de nous y précipiter nous-mêmes. »

Cependant, l’idée reçue de l’Europe comme barrage contre la guerre, comme grand ouvrage philosophique menant vers un avenir doré, domine toujours l’imagination des élites. Lisant la naïve tribune de Michel Rocard et trois autres partisans de l’Europe sociale dans Le Monde, je me suis demandé sur quelle planète ils vivaient. Pour ce quartet, le grand rêve reste intact : « Si l’Europe est une famille, il faut comme dans une famille être capable de se réconcilier… Des milliers de Grecs se sentent aujourd’hui humiliés, mais des milliers d’Allemands ont été humiliés aussi quand certains ont parlé de dettes nazies. » Les pauvres ! Or, à part un financier ou un rentier, qui voudrait faire partie de la « famille » demeurant actuellement au Bundestag ?

Et si on veut faire référence à la Deuxième Guerre mondiale, allons jusqu’au bout comme l’un des participants à notre dossier sur euro, Emmanuel Todd, qui m’a écrit dernièrement : « L’Allemagne a goûté au sang et ne va pas s’arrêter là. Il faut que l’Amérique s’en mêle. Pétain est au pouvoir en France. »

Si la situation est similaire à celle de 1940, je crains que nous attendions longtemps pour voir agir Washington, où la collaboration avec l’Allemagne est bien vivante. La tribune de Steven Rattner, parue dans le New York Times, en fait foi. « Ce n’est pas tout le monde qui aime la rigidité allemande, raconte ce doyen de Wall Street, proche de Barack Obama. Mais l’Europe devrait lui en être reconnaissante. »


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